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Naissance du vampire comme personnage littéraire au 19e siècle

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14 novembre 2019

Le vampire parcourt tout le 19e siècle : dans les faits divers de la presse, alimentant les superstitions populaires, et en peinture et littérature, créant un imaginaire collectif. Romans gothiques anglais et nouvelles fantastiques forgent le mythe. Le 7e art parachèvera sa dimension fantastique en offrant la représentation visuelle qui lui manquait. 

Le Horla : oeuvres complètes illustrées de Guy de Maupassant / dessins de Julian-Damazy ; gravés sur bois par G. Lemoine, 1908

Charles Nodier, « maître es vampires » ?

 

         Nodier, Charles. Estampe

 
Si le nom de Charles Nodier est intrinsèquement associé aux vampires, ce n’est pas par hasard. Au moins trois éléments de sa vie semblaient le prédestiner à faire de lui un expert en la matière : une rencontre avec un nécrophage, la lecture du fameux traité de Dom Calmet où il est question des « vampires de Hongrie », et surtout, en 1812-1813, un séjour marquant en Illyrie, actuelle région des Balkans, territoire de prédilection des « vampires » à l’époque romantique.
De retour en France, dans un article consacré aux « Poésies illyriennes », Charles Nodier s’empare du thème à la mode et contribue à forger une image du vampire qui deviendra légendaire en lui attribuant certaines caractéristiques physiques et comportementales.  Celui-ci n’est pas un monstre ailé mais un individu, solitaire, effrayant de pâleur, à la recherche de sang la nuit pour se nourrir. Sa préférence gustative va aux nouveau-nés mais en période de disette un simple cadavre peut suffire.
 

 

 
En 1819, parait dans The New Monthly Magazine la nouvelle de John William Polidori intitulée Le Vampire, dont la rédaction est associée au nom célèbre de Lord Byron. La nouvelle connait un grand succès, grâce au personnage du vampire, le fameux Lord Ruthven, dont la violence n’a d’égale que la beauté, fatale hélas pour sa propre épouse…

 

 
Charles Nodier, devinant l’engouement du public pour un tel texte, s’en fait le critique averti en s’attribuant naturellement l’expertise du sujet. Après tout, n’avait-il pas passé plusieurs mois en Illyrie ?
En 1820, il prétendit être l’auteur de Lord Ruthwen, ou les Vampires, alors qu’il n’en avait rédigé que la préface et il fit partie des rédacteurs du mélodrame à grand succès intitulé Le Vampire, représenté la même année au théâtre de la Porte Saint-Martin. En France, Charles Nodier a grandement contribué à brouiller les frontières entre réalité et légende horrifique, existence réelle et fantasme livresque. En témoigne le dialogue suivant entre lui et Alexandre Dumas :
 

 
Dans son ouvrage Infernaliana, ou anecdotes, petits romans, nouvelles et contes sur les revenants, les spectres, les démons et les vampires, publié en 1822, Nodier nie pourtant l’existence de ces créatures :

Dès lors, la mode du vampire en littérature ne faiblit pas. Le baron de Lamothe-Langon écrit en 1825 La vampire, ou La vierge de Hongrie, mettant en scène la première femme vampire (vierge) de la littérature française, aussi dangereuse que belle.
 
Prosper Mérimée s’empare du sujet en vogue en 1827 en écrivant La Guzla : ou choix de poésies illyriques, recueillies dans la Dalmatie, la Bosnie, la Croatie et l'Herzégowine.
 
En 1836, Théophile Gautier écrit la nouvelle fantastique La morte amoureuse : Romuald, un jeune prêtre est tiraillé entre sa foi et son amour pour Clarimonde, une femme morte qui s’avère être un vampire. L’amour, plus fort que la mort, est possible un temps grâce à une solution redoutablement efficace : la vampire se nourrit régulièrement, par petites piqûres d’aiguille, du sang de son amant pour « survivre ». Celui-ci se réjouit alors d’avoir des « veines plantureuses qui ne seraient pas de sitôt épuisées »

 

Hélas, le cadavre de la vampire fut trouvé, aspergé d’eau bénite et tomba en poussière, mettant un terme à la possibilité pour elle de rejoindre le monde des vivants. Et l’amant de regretter à jamais son amour perdu, malgré « l’amour de Dieu » comme substitut. Sévèrement blâmée par certains milieux catholiques du 19e siècle, la nouvelle de Gautier trouva néanmoins son public et connut plusieurs adaptations, comme un opéra fantastique
 
En 1886, dans sa nouvelle Le Horla, Maupassant imagine quant à lui une créature invisible, venue peut-être d’Amérique latine, ayant la capacité de posséder les humains, et pourvue de certaines caractéristiques du vampire. Le narrateur, saisi d’effroi, confie à son journal : « Cette nuit, j’ai senti quelqu’un accroupi sur moi, et qui, sa bouche sur la mienne, buvait ma vie entre mes lèvres. Oui, il la puisait dans ma gorge, comme aurait fait une sangsue. » Dans le passage qui suit, extrait du manuscrit numérisé de Maupassant, l’hypothèse du « vampire » est émise.

 

Mentionnons, pour finir, Bram Stoker, qui écrit Dracula en 1897, roman érigeant définitivement le personnage du vampire en mythe littéraire puis en figure populaire au cinéma. Pour preuve, l’on peut recenser plus de 200 films qui en firent un personnage central, dont Nosferatu le vampire, réalisé par Friedrich Murnau en 1922, ou encore Dracula de Tod Browning en 1931.
 

 
Mais est-ce seulement un thème de nouvelle fantastique ou de film d’épouvante ? Est-ce vraiment une simple fiction ? Rien n’est moins sûr…
 
L’histoire d’Arnold Paul, le vampire serbe « vampirisé » par un vampire turc, est relayée par Le Petit Journal en 1886. Considéré comme un vampire par son village à la suite de morts suspectes dans son entourage, le corps d’Arnold Paul fut déterré et trouvé en parfait état de conservation. Comment s’en débarrasser ? Pieu dans le cœur, tête décapitée et corps brûlé furent alors les solutions approuvées par la communauté et exécutées par le bailli du territoire. L’affaire semblait résolue mais l’on se réjouit trop vite…
 

 
Crédulité, superstitions populaires et lectures romanesque sont le résultat d’un tel fait divers, qui eut lieu en 1740. 

 
Pour autant, la réalité dépasse parfois la fiction...

La preuve, avec l’histoire macabre du « vampire de Düsseldorf ». Défrayant les chroniques des années 1929 et 1930, l’affaire fut véritablement palpitante à suivre en raison de la personnalité complexe du criminel et des aspects de thriller moderne qu’ont pris les événements.
Instaurant un véritable jeu de course poursuite avec la police, le criminel prévenait par missives journaux et enquêteurs des meurtres accomplis et annonçait les suivants, tout en précisant adorer boire le sang de ses victimes. Les journaux se firent l’écho de l’effroi et des interrogations de la population : qui est l’assassin ? ; Est-ce une femme ? ; Quel est son signalement ? ; Qui sont les victimes ?
 

 

 

 
Il n’en fallut pas moins pour extrapoler maintes hypothèses psychanalytiques sur son cas, jusqu’à le rapprocher de Baudelaire et Poe, dont le génie littéraire et l’imagination créative auraient servi de soupape à une possible folie meurtrière.

Suite à son arrestation et après de multiples rebondissements dignes d’un roman à suspens, le procès commença en avril 1931 et le coupable fut exécuté en juillet 1931. Son cerveau fut confié pour analyse à l’Institut allemand de psychiatrie de Munich. Et le résultat ne tarda pas :

 
Dès la même année, le réalisateur Fritz Lang s’en inspira pour la réalisation de son premier film parlant, M le maudit, transformant définitivement ce fait-divers sanglant en réflexion politique et sociale en lien avec la montée du nazisme. Au-delà d’un seul film – aussi réussi soit-il – c’est en réalité une nouvelle catégorie d’analyse dans le domaine du cinéma qui a émergé grâce, entre autres, au personnage de Düsseldorf : celle du sadisme associée à la violence érotique.
L’histoire du vampire de Düsseldorf devint également un classique du jeu pour enfants et en 1932 l’histoire devint un récit à suspens dans la collection populaire Crimes et Châtiments.
 
Aux 20e et 21e siècles, le personnage du vampire en littérature ou au cinéma plait toujours autant et l’on assiste à une réelle prolifération du mythe : si celui-ci peut être traité de manière classique, comme dans le roman Salem de Stephen King en 1975, il subit aussi ajustements et variations selon les modes et goûts du moment. Pensons au western vampirique Billy the Kid contre Dracula de William Beaudine en 1965, ou encore aux très nombreuses parodies comiques qui en ont été faites.
 
Pour aller plus loin
- A découvrir sur les postes audiovisuels des salles de lecture de la bibliothèque tous publics :
Le bal des vampires de Roman Polanski ou Nosferatu le vampire de Friedrich Wilhelm Murnau.
- Exposition à la Cinémathèque française, Paris : "Vampires, de Dracula à Buffy", jusqu'au 19 janvier 2020
- Voir aussi les précédents billets de la série :
1. Les vampires, des créatures à (re)découvrir
2. Les vampires, portée politique et sociale du monstre

Prochain billet : "Stryges et Goules, ces vampires femelles protéiformes"

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