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La fête nationale du 14 juillet : aux sources d’une double commémoration

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14 juillet 2021

En ce jour de fête nationale de la République française, Gallica revient sur les deux 14 juillet à l’origine de cette commémoration : la prise de la Bastille, avec l’insurrection populaire du 14 juillet 1789, ainsi que la première fête de la fédération du 14 juillet 1790, symbole d’unité nationale.

Paris, 6 juillet 1880
"Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Article unique. – La République adopte la date du 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle."
 

Si cet article de loi instaure clairement la fête nationale annuelle en date du 14 juillet, il ne donne pas d’information précise quant à l’événement qu’il s’agit de célébrer en cette date. Commémore-t-on le soulèvement du peuple parisien et la prise de la Bastille du 14 juillet 1789, ou bien l’ordre et l’unité nationale qu’incarne la fête de la Fédération du 14 juillet 1790 ? Les discussions autour du projet de loi des mois de mai et juin 1880, largement relayées par la presse, nous éclairent quant au débat concernant l’événement effectivement fêté le 14 juillet.  
Paul Berne, Souvenir du 14 juillet 1880. Trois dates, 1880

 

Houel, Jean-Pierre-Louis-Laurent, Prise de la Bastille1789

 

Prise de la Bastille (14 juillet 1789) : [estampe] / Fabrique de Pellerin, imprimeur-libraire, à Epinal, 1839 

 

Une double commémoration ? 

Le 21 mai 1880, accompagné par plus de soixante membres de la gauche, le député Benjamin Raspail dépose à la Chambre une proposition de loi visant à instaurer la date du 14 juillet comme date officielle de la fête nationale, en référence à la prise de la Bastille du 14 juillet 1789. Cette proposition, accueillie par des acclamations du camp de Raspail - « Très bien ! et applaudissements sur divers bancs de gauche », peut-on lire dans la presse – ne fait pas tout à fait consensus.
 
Le Bulletin de vote, numéro 54, 1877

 


La Presse, 1 juillet 1880, p. 3/4
 
En effet, après le vote à l’Assemblée lors des séances des 21 mai et 8 juin, c’est au Sénat que les discussions sont les plus vives. Certains parlementaires, comme M. Fresneau, déplorent la prise de la Bastille et jugent cet événement sanglant indigne d’être consacré, dans la mesure où une fête nationale se doit d’être un appel à la modération.
En réponse à M. Fresneau, Henri Martin, désigné comme rapporteur de la séance, rappelle les circonstances de la prise de la Bastille qui, d’après lui, a rendu toute sa force à l’Assemblée nationale, et ajoute que tous les grands progrès ont été ainsi achetés par des larmes et du sang. Pour convaincre son auditoire et unir tous les républicains, il mobilise le souvenir de la fête de la fédération, célébrée un an plus tard et qui symbolise l’union de la nation :
 "Mais n’oubliez pas que, derrière ce 14 juillet, où la victoire de l’ère nouvelle sur l’ancien régime fut achetée par une lutte armée, n’oubliez pas qu’après la journée du 14 juillet 1789 il y a eu la journée du 14 juillet 1790. (Très-bien ! à gauche.) Cette journée-là, vous ne lui reprocherez pas d’avoir versé une goutte de sang, d’avoir jeté la division à un degré quelconque dans le pays, Elle a été la consécration de l’unité de la France. Oui, elle a consacré ce que l’ancienne royauté avait préparé. L’ancienne royauté avait fait pour ainsi dire le corps de la France, et nous ne l’avons pas oublié ; la Révolution, ce jour-là, le 14 juillet 1790, a fait, je ne veux pas dire l’âme de la France, - personne que Dieu n’a fait l’âme de la France, - mais la Révolution a donné à la France conscience d’elle-même (Très-bien ! sur les mêmes bancs) ; elle a révélé à elle-même l’âme de la France. Rappelez-vous donc que ce jour-là, le plus beau et le plus pur de notre histoire, que d’un bout à l’autre du pays, les Pyrénées aux Alpes et au Rhin, tous les Français se donnèrent la main. Rappelez-vous que, de toutes les parties du territoire national, arrivèrent à Paris des députations des gardes nationales et de l’armée qui venaient sanctionner l’œuvre de 89. Rappelez-vous ce qu’elles trouvaient dans ce Paris : tout un peuple, sans distinction d’âge ni de sexe, de rang ni de fortune, s’était associé de cœur, avait participé de ses mains aux prodigieux préparatifs de la fête de la Fédération ; Paris avait travaillé à ériger autour du Champ-de-Mars cet amphithéâtre vraiment sacré qui a été rasé par le second empire. Nous ne pouvons plus aujourd’hui convier Paris et les départements sur ces talus du Champ-de-Mars où tant de milliers d’hommes se pressaient pour assister aux solennités nationales.
[…]  Messieurs, vous consacrerez ce souvenir, et vous ferez de cette espérance une réalité. Vous répondrez, soyez-en assurés, au sentiment public, en faisant définitivement du 14 juillet, de cette date sans égale qu’a désignée l’histoire, la fête nationale de la France. (Applaudissements à gauche.)"  
(discours autour du projet de loi le 29 juin 1880, intervention d'Henri Martin)

 

Malgré les réticences de certains parlementaires – à l’image de MM. Helgan et Poriquet qui auraient préféré la date du 4 août en référence à l’abolition des privilèges féodaux – la date du 14 juillet est retenue par le Sénat lors de la séance du 29 juin et la loi promulguée le 6 juillet 1880. Dès lors, l’ambiguïté qui demeure dans le texte de loi invite à une double lecture : alors que la date du 14 juillet 1789 marque l’émancipation du peuple parisien qui devient acteur de sa propre histoire en venant à bout d’un symbole de l’arbitraire royal, celle du 14 juillet 1790 atténue le caractère violent de la prise de la Bastille au profit d’une célébration modérée de la Nation fédérée autour d’un projet commun. C’est donc cette double acception que nous commémorons chaque 14 juillet.    
 
Ainsi, dès le 14 juillet 1880, jour déclaré chômé sur l’ensemble du territoire national, la fête nationale est célébrée par un défilé militaire sur les Champs-Élysées de Paris, de nombreux bals ainsi que par des spectacles pyrotechniques organisés dans plusieurs villes de France.
 
 

 

 Le 14 juillet : feu d'artifice au Pont-Neuf : [photographie de presse] / Agence Meurisse, 1928
  • Nejma Omari

    Enseignante et doctorante à l'Université Montpellier 3, Nejma Omari travaille sur les rapports entre presse et littérature au XIXe et XXe siècle.

Commentaires

Soumis par Leslie le 14/07/2021

Super article on pense seulement à la prise de la Bastille habituelement j'ai appris quelque chose !

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