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La kleptomanie : naissance d'une nouvelle maladie

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14 juin 2024

Au XIXe siècle, émerge un nouveau concept en santé mentale.Très contesté par les médecins, il va cependant finir par s'imposer dans un contexte bien particulier. 

Le Bon Marché : [Estampe] / Félix Valloton (graveur), 1893.

La monomanie du vol 

Vers 1802, dans la classification des maladies mentales établie par l'aliéniste Etienne Esquirol (1772-1840), on trouve les folies partielles, parmi lesquelles figurent les monomanies instinctives - ou perversions de la volonté sans autre délire - désignant des compulsions à des actes criminels ou délictueux. Esquirol n’évoque cependant pas la monomanie du vol dans ses écrits.
 En 1816, un médecin genevois, André Matthey (1779-18..) est le premier à parler de la monomanie du vol à laquelle il donne le nom de klopémaniell désigne par là un dérèglement de l’esprit d’ordre pulsionnel consistant à voler sans nécessitéMais en 1818, le corps médical semble encore réticent à admettre ce nouveau concept.
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En 1840, Charles Chrétien Henri Marc (1771-1840) développe la théorie de la kleptomanie dans son Traité De la folie (du grec ancien : je vole - manie). Cependant, dans les années 1850, cette idée d’une folie partielle se heurte au scepticisme d’anciens élèves d’Esquirol, Benedict-Auguste Morel (1809-1873) et Jean-Pierre Falret (1794-1870) : il est impossible qu’un trouble morbide puisse exister sans altérer le jugement dans son ensemble.
Le psychiatre Valentin Magnan (1835-1916) ne nie pas son existence mais considère qu'il s'agit d'un syndrome fort rare.

Le Monomane du vol (dit aussi Le Kleptmomane) /  Théodore Géricault, 1822 (Musée des Beaux-arts de Gand)

Ce portrait fait partie des dix études de physionomies typiques d’aliénés que Géricault a peintes entre 1821 et 1824 à la demande de son psychiatre Etienne Georget.

Un nouveau contexte sous le Second Empire

1838 voit l'ouverture du premier grand magasin parisien : le Bon Marché. Cette évolution du commerce de détail mène à une démocratisation de la mode et à l'accès à des biens jusqu'alors réservés à une élite. Les grands magasins innovent en ce sens qu'on peut y déambuler sans obligation d'achat et que la clientèle a un rapport tactile à une profusion de marchandises exposées en libre accès sur les comptoirs. Les différentes enseignes rivalisent de créativité et de faste pour attirer la foule. Leur art de l'étalage a pour but de susciter l'achat compulsif, sans nécessité réelle. 

Mais cette tentation permanente est propre à créer des frustrations et des idées de larcins. D'autant plus que les employés qui servent plusieurs clientes à la fois, sont débordés et dans l'impossibilité de surveiller leur marchandise. 

Dessin de Ferdinand Lunel. Source : Collection Jaquet. Dessinateurs et humoristes. Tome 4, 1870-1920.

La maladie des bourgeoises 

A partir des années 1880, le vol à l’étalage frappe la capitale de plein fouet et c'est bientôt une véritable épidémie : en 1893, on dénombre 662 arrestations au Bon Marché. La kleptomanie ou magasinite est définie comme majoritairement féminine ; on la différencie ainsi du vol non genré, sévèrement sanctionné par les instances judiciaires qui n'émettent alors aucun doute sur l'équilibre mental des inculpés.
Gustave Macé, chef de la Sûreté de Paris décrit la procédure mise au point. Une fouille au corps permet de repérer les vols prémédités avec des techniques de dissimulation très élaborées. Certaines délinquantes sont des ouvrières, mais ce sont majoritairement des femmes appartenant à la classe moyenne ou des grandes bourgeoises. Selon l’expérience des inspecteurs, ce sont les femmes du monde qui volent le plus. Elles évoquent alors un moment d'égarement. Les juges, soucieux de préserver la réputation de familles appartenant à la bonne société, se montrent de plus en plus sensibles à l'allégation de monomanie du vol.

Le code pénal de 1810 reconnaît l'irresponsabilité du prévenu en état de démence ou contraint par une force irrésistible pendant son acte. C'est pourquoi dans les prétoires, l’avis de l’aliéniste est pris en compte. Le critère motivant le plus fortement l’indulgence des juges est la contradiction entre la valeur dérisoire des objets volés et l’importance des ressources économiques de la voleuse. Plus le niveau social de la coupable est élevé, plus elle a de chances de s’en sortir. 

Source : Collection Jaquet. Dessinateurs et humoristes. Artistes divers, tome 6, 1895-1928.

Regain d'intérêt 

C'est ainsi que ce concept de monomanie du vol précédemment très contesté réapparait : 

 Source : Collection Jaquet. Dessinateurs et humoristes. Pierre Falke. Marcel Vertes. Tome 35, 1911-1924.

Dénonciation de ces abus 

Il est clair que ces délinquantes atypiques se sont emparées de cette maladie dans l'air du temps pour se victimiser, obtenant ainsi un classement sans suite. Après que ces abus aient été dénoncés, on a pu constater une très nette diminution du nombre de larcins dans les grands magasins.

Pour aller plus loin : 

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