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Ciné-mondial : un magazine de cinéma sous l’Occupation

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14 mai 2020

Publié en France de 1941 à 1944, Ciné-mondial est un hebdomadaire consacré au cinéma soutenu par les autorités allemandes et le gouvernement de Vichy. Ce magazine, prétendument apolitique et populaire, est révélateur du contrôle de la presse et de l’organisation de l’industrie cinématographique sous l’Occupation. 

Manchette du premier numéro de Ciné-mondial

 

Les Éditions Le Pont et le groupe Hibbelen

Ciné-mondial, l’hebdomadaire du cinéma est lancé en août 1941 par les Éditions Le Pont. Propriété de l’ambassade d’Allemagne, la société a publié plusieurs périodiques. Parmi eux, citons l’hebdomadaire Les Ondes, la revue de Radio-Paris sous l’Occupation, l’hebdomadaire agricole collaborationniste La Terre française dirigé par André Bettencourt ou encore le quotidien Nouvelles continentales. Les Éditions Le Pont publient également, via son département spécialisé Les Documents contemporains, des livres de propagande tels que Les raisons de l’antijudaïsme de Louis Thomas ou La France est morte... Vive la France ! de Pierre Heuzé, le directeur de Ciné-mondial.

Les Éditions Le Pont appartiennent au groupe Hibbelen, du nom de Gerhard Hibbelen, en charge de l’édition auprès d’Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne en France. Suite à de nombreux rachats sous contrainte rendus possible grâce à l’aryanisation imposée par l’occupant dès l’été 1940, le groupe Hibbelen devient rapidement le principal éditeur sur le territoire français et contrôle plus de la moitié des titres de presse.

La Société parisienne d’édition des frères Offenstadt fait partie, entre autres, des entreprises spoliées. Elle publie notamment depuis 1922 la revue de cinéma Le Film complet qui changera de direction dès octobre 1940.

Un magazine à l’image du cinéma : divertissant et sous contrôle

Le journal, de bonne facture malgré les pénuries de matières premières qui contraignent toutes les productions imprimées de l’époque, rappelle dans son format les magazines grand public d’avant-guerre tels que Pour vous ou Cinémonde. Conçu pour divertir, il met à l’honneur en couverture une vedette du grand écran et fait la part belle aux photographies dans ses pages intérieures.

Chaque numéro présente l’actualité du monde du cinéma, des tournages et des acteurs. Dès le premier numéro, le ton est donné dans l’éditorial intitulé « Tour du monde ». Le cinéma permet de rêver, de voyager et de s’identifier aux vedettes du grand écran. À l’heure où la production cinématographique reprend progressivement, le magazine fait cette promesse aux lecteurs :

Ciné-mondial sera le trait d’union. Il vous rendra le goût de l’aventure, du merveilleux, de la joie. Il vous rendra votre cœur et cette patrie lumineuse qu’est un écran ! Vos artistes préférés, de nouveau, seront près de vous, présents, entièrement liés à vous, partie intégrale de vous-même.

Ce même numéro donne la parole au Comité d’organisation de l’industrie cinématographique (COIC), créé par le gouvernement de Vichy par le décret du 4 décembre 1940 afin de réorganiser le cinéma français. Une des premières missions du COIC a été de faire respecter la loi relative au statut des juifs en les excluant de toutes les professions en lien avec le cinéma.

Raoul Ploquin, le directeur du COIC, se félicite du lancement de l’hebdomadaire, tout comme de la reprise de la production cinématographique et de sa réorganisation. Il encourage le jeune magazine en ces termes :

Nous savons que Ciné-mondial aura toujours à cœur de soutenir par ses effort les films de qualité et d’aider ainsi ceux qui ont la responsabilité de demain […] en ne permettant pas que des films de qualité inférieure, que des pantalonnades souvent trop vulgaires, que des films morbides et déprimants viennent empoisonner l’âme du public français.

Le contrôle du cinéma est régulièrement relayé et justifié par Ciné-mondial. C’est par exemple le cas dans le numéro du 21 novembre 1941, où le travail de Raoul Ploquin est mis en scène.

La critique bienveillante

Ciné-mondial présente les coulisses des tournages et offre des critiques bienveillantes des films autorisés. Si des productions allemandes et italiennes sont présentées, la majeure partie des articles est consacrée aux films français, et notamment ceux de la Continental-films qui sont particulièrement mis en avant.

Sur les 220 films français réalisés sous l’Occupation, trente films parmi lesquels les plus prestigieux ont été  produits par la Continental. Cette société française à capitaux allemands, créée par Goebbels en 1940 et dirigée par Alfred Greven, a produit les films de grands réalisateurs tels que Clouzot, Cayatte, Tourneur ou Christian-Jaque. Parmi les acteurs qui tournent pour la Continental, on retrouve également de grands noms : Raimu, Fernandel, Michel Simon, Danièle Darrieux, Denise Grey, Gérard Philippe…

Si Ciné-mondial est le reflet d’un cinéma qui se veut léger ou tout du moins apolitique, il met néanmoins en avant des films de propagande. Le documentaire antisémite Le Péril juif, projeté dans le cadre de l’exposition « Le Juif et la France » organisée par l’Allemagne à Paris durant l’automne 1941, est mis à l’honneur dans le numéro du 12 septembre 1941.

Son visionnage permet notamment d’en apprendre davantage sur « l’influence pernicieuse des juifs sur le cinéma et les arts ». Ce même numéro fait également l’éloge du film de propagande allemand Face au bolchévisme, présenté comme un « grand film sensationnel et inédit » qui montre « le danger que la France a évité ».

Le vedettariat comme propagande

Les vedettes du grand écran sont au cœur des articles de Ciné-mondial. Leur cadre de vie et de travail, présenté non sans mièvrerie comme idyllique, permet au lectorat de s’évader. Mais ces vedettes peuvent aussi être au cœur d’un exercice de propagande, et l'hebdomadaire nous en livre un exemple fameux.

Du 18 au 31 mars 1942, le ministère allemand de la propagande organise un voyage de six vedettes françaises en Allemagne et en Autriche pour une série de visites et de présentations. Trois d’entre elles travaillent pour la Continental : Danielle Darrieux, Suzy Delair et Albert Préjean. Les trois autres sont Viviane Romance, Junie Astor et René Dary.

Si la presse et les actualités filmées relaient abondamment cette visite, Ciné-mondial ira jusqu’à en faire un véritable feuilleton. Les comptes rendus du voyage signés par Pierre Heuzé, le directeur du journal qui a accompagné les acteurs, s’étalent sur neuf numéros, du 10 avril au 12 juin 1942.

Le récit du périple débute dans le numéro du 10 avril qui relate un voyage en train plein d’enthousiasme : « Ce pays où nous voguons n’a plus pour nous de confins très précis, ou plutôt c’est un peu comme une grande patrie qui se serait dilatée en même temps que l’espace ; c’est l’Europe !... mieux que le rêve, peut-être la réalité de l’avenir ! » Le numéro suivant est consacré à l’arrivée à Berlin et à l’accueil chaleureux réservé aux vedettes.

Les visites, toujours très agréables, se succèdent. Le numéro du 24 avril revient sur une soirée chez Carl Froelich, réalisateur allemand et président de la Reichsfilmkammer (l’organisme de contrôle du cinéma rattaché à la Chambre de la Culture du Reich dirigée par Goebbels). Ce voyage est aussi l’occasion d’organiser la première à Berlin du film Premier rendez-vous produit par la Continental avec Danielle Darrieux en premier rôle. Selon le numéro du 1er mai, la projection se termine par les acclamations du public allemand : « Qui donc oserait désormais parler de fossé ? »

La visite des studios de Babelsberg, racontée dans le numéro du 8 mai, permet à nos vedettes de constater le cadre de travail agréable de leurs homologues, tout comme celui des ouvriers français travaillant dans une usine de la banlieue de Berlin (voir le numéro suivant).

Le voyage se poursuit à Vienne, à Munich et aux studios Bavaria. Le feuilleton de Pierre Heuzé se termine dans le numéro du 12 juin par ces mots :

Je crois en l’avenir de mon pays précisément parce que j’ai entendu battre le cœur de l’Allemagne. J’écris non pas aux ordres mais parce que, ayant repris fierté à Berlin, à Munich, à Vienne, je reste à l’ordre de la France.

 
Le dernier numéro de Ciné-mondial, touché par les ordonnances du 6 mai 1944, est publié le 4 août pendant la Libération. Il consacre un article à une évolution majeure qui s’est opérée depuis les années d’avant-guerre : les acteurs aux regards mièvres et aux coiffures gominées ont désormais les cheveux au vent.

Bibliographie sélective

  • Jean-Pierre Bertin-Maghit, Le Cinéma sous l’Occupation : le monde du cinéma français de 1940 à 1946, O. Orban, 1989 (notice).
  • Pierre Darmon, Le monde du cinéma sous l’Occupation, Stock, 1997 (notice).
  • Jacques Siclier, La France de Pétain et son cinéma, Ramsay, 1990 (notice).
  • Christine Leteux, Continental films : cinéma français sous contrôle allemand, La tour verte, 2017 (notice).

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