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Intelligence scolaire ?

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14 avril 2022

Dans le cadre du cycle de conférences Les Débats au cœur de la science, consacré cette année aux multiples facettes de l’intelligence, la BnF vous invite le 14 avril à 18h30 à une conférence sur le thème des apprentissages scolaires sous le regard croisé de la sociologie et des neurosciences.

Agence de presse Meurisse. La rentrée des classes.1936

Chacune des séances de ce cycle de débat s’ouvre par le commentaire d’un document patrimonial présent dans Gallica. Pour cette conférence, le document retenu est Les idées modernes sur les enfants, publié en 1909 par le prolifique psychologue et pédagogue français Alfred Binet (1857-1911), pionnier dans le champ de la mesure de l'intelligence.

Alfred Binet, Idées modernes sur les enfants. 1916

L'histoire a surtout retenu de Binet l'invention d’une échelle métrique de l'intelligence. Elle fait de lui l'un des précurseurs des mesures de QI qui, bien que très controversées, restent associées à l'idée que l'on se fait communément de l'intelligence. Les recherches de Binet étaient directement liées au système scolaire et avaient des applications très pratiques. Le test Binet-Simon, qu’il mit au point en 1905 à la demande du ministère de l’Instruction publique avec le psychiatre Théodore Simon, devait permettre d’identifier les enfants qui avaient des difficultés cognitives pour les orienter vers des « classes de perfectionnement ». Ces tests essayaient de mettre en rapport l'âge des enfants et leurs capacités et, donc, de détecter un éventuel retard cognitif. C’est seulement un an après la mort de Binet, en 1912, que le psychologue allemand William Stern établira un rapport entre cet « âge mental » et l’âge chronologique pour donner naissance à un outil de mesure du quotient intellectuel.
On cite beaucoup de Binet cette boutade : "l'intelligence, c’est ce que mes tests mesurent" qui, sous les dehors de l’ironie, dit l’embarras des expérimentateurs qui s'interrogeaient finalement peu sur la nature de l'intelligence- et la concevaient souvent comme quelque chose d'immuable, d'innée et d'unimodal - on écartait généralement qu'il puisse exister une pluralité de formes d'intelligence.

Portrait d'Alfred Binet dans "L'année psychologique", 1912. BIUS

Certes, Binet était un expérimentateur prudent, peu enclin aux grandes généralisations théoriques. Il se tenait à distance des conceptions héréditaristes les plus dures qui font, dans leurs versions les plus caricaturales, de l’intelligence un donné transmissible et aussi tangible qu’un taux de glycémie sanguine. On trouve néanmoins sous sa plume ce type de formules : "Si on prenait cette précaution (étudier les aptitudes individuelles des enfants)… on augmenterait le rendement économique de tous en mettant chacun à sa vraie place" qui résonnent avec quelques-unes des dystopies qui- de Bienvenue à Gattaca au Meilleur des mondes- condamnent les individus à un destin tracé à l’avance par les algorithmes prédictifs. Ce discours montre également que le fantasme de faire de l’école l’antichambre d’une répartition optimale des ressources humaines n’est pas neuf. Même ses plus fervents zélateurs n’oseraient le formuler aujourd’hui de manière aussi crue.
Rendons tout de même justice à Binet, il nuance quelques pages plus loin son propos, en pointant "tous les inconvénients très grands qu'il y aurait à spécialiser de trop bonne heure des enfants ». « Nous ne voyons pas », poursuit-il, « ce que la liberté individuelle gagnerait à la reconstitution de ces jurandes et maîtrises de l'ancien temps qui emprisonnaient les ouvriers dans des métiers fermés".

Agence de presse Mondial Photo-Presse. La rentrée des classes, école Simon Bolivar, Paris. 1932

De fait, Les idées modernes sur les enfants, qui paraît en 1909, soit deux ans avant sa mort, marque une inflexion très nette de la pensée de Binet. C'est moins un traité scientifique qu'un manuel pratique. Il s'adresse aux éducateurs et délivre, à grand renfort d'exemples, des conseils pour exercer de manière correcte le métier d'enseignant. Il montre que l'ambition de la psychologie expérimentale d'avoir un effet concret sur la manière dont on enseigne est présente dès les origines et n'est pas un phénomène récent, né dans le sillage du succès des neurosciences cognitives. On trouve dans l'ouvrage de Binet beaucoup de thématiques qui sont encore au cœur des discussions actuelles : par exemple, celle de la personnalisation de l'enseignement ou encore du respect des rythmes psycho-biologiques.
Mais surtout, alors que Binet affirmait quelques années auparavant que l'intelligence est un capital figé qui doit commander l'orientation des enfants et le choix d'un métier, il consacre désormais un chapitre entier à "l'éducation de l'intelligence"

Alfred Binet, Idées modernes sur les enfants. 1916

Entre ces deux dates, Binet a ouvert un laboratoire de pédagogie expérimentale et des classes de perfectionnement à destination des enfants qu'il appelle brutalement "anormaux", c'est-à-dire qui possèdent d'après ses tests un niveau mental inférieur à leur âge réel. C'est dans ces classes spéciales qu'il constate que "l'intelligence de quelqu'un est susceptible de développement ; avec de l'exercice, de la méthode, on arrive à augmenter son attention, sa mémoire, son jugement, et à devenir littéralement plus intelligent qu'on ne l'était auparavant".
Binet et ses collaborateurs y ont mis au point des exercices "d'orthopédie mentale", basés sur l'habileté motrice, la mémoire, l'observation, l'immobilité, sa conviction étant qu'il ne faut pas seulement agir sur le niveau d'instruction mais sur la capacité à apprendre.
C'est donc la pratique de la pédagogie qui a bouleversé tardivement les conceptions de psychologue de Binet, montrant, s'il en était besoin, que le passage du laboratoire à la salle de classe apporte toujours son lot de surprise.

Pour en savoir plus :

Informations pratiques et modalités d'accès, conférence du 14 avril 2022

Pour aller plus loin :

Sélections autour de l'éducation et l'école sur Gallica
 

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