Gallica
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Une prestigieuse bibliothèque du XVIIe siècle dans Gallica
Une recherche doctorale en cours permet de redécouvrir les riches collections de Charles-Maurice Le Tellier, archevêque de Reims et bibliophile.
Charles-Maurice Le Tellier, né à Turin en 1642 et mort à Paris en 1710, est principalement connu pour avoir été archevêque de Reims de 1671 à sa mort. Fils de Michel Le Tellier et frère de Louvois, qui se sont succédé au secrétariat d’État de la Guerre, c’était un important prélat du règne de Louis XIV, proche du pouvoir royal.
La cathédrale de Reims le jour du couronnement de Louis XV (23 octobre 1722), gravure, BnF, Estampes et photographie
Cette proximité est d’ailleurs mise en scène par l’image, comme dans la gravure de sa tentative de thèse de 1663, réalisée par François de Poilly sur un modèle de Charles Le Brun ; elle exalte la gloire militaire et religieuse de la monarchie, au travers d’un programme iconographique riche et complexe qui fait surtout référence à la récente paix des Pyrénées, et place au centre de la composition un portrait de Louis XIV, porté sur un globe par une allégorie du temps.
Thèse de théologie de Charles-Maurice Le Tellier, dédiée au Roy, 1663. BnF, Estampes et photographie
"Le Triomphe de l'Eglise par les Armes du Roy dans les pays Nouuelleme(n)t Conquis sur les Hollandois", almanach pour l'année 1673. BnF, Estampes et photographie
Détail : Le Tellier est le premier personnage à gauche.
Il est également réputé pour sa bibliophilie. Elle s’apprécie notamment grâce au catalogue de sa bibliothèque, réalisé par Nicolas Clément, et passé sous les presses de l’Imprimerie royale en 1693.
Bibliotheca Telleriana, sive Catalogus librorum bibliothecæ illustrissimi ac reverendissimi D. D. Caroli Mauritii Le Tellier, archiepiscopi ducis Remensis..., 1693. Page de titre et portrait gravé de Le Tellier en regard. BnF, Réserve des livres rares
La préface de ce catalogue « donné à l’utilité publique » (en latin, comme tout bon catalogue de bibliothèque à l'époque) affirme l’existence d’une communauté d’érudits, véritable public concerné par l’entreprise, et qui serait en attente de sa publication. Le Tellier soignait ainsi sa réputation d’homme du livre, qui trouve une illustration dans la gravure de 1694, vendue par Antoine Trouvain, le représentant un billet à la main, et assis à sa table sur laquelle s’empilent livres et papiers.
Portrait de Charles-Maurice Le Tellier, archevêque de Reims. Gravure d'Antoine Trouvain, 1694. BnF, Estampes et photographie
La diffusion d’un catalogue, dans le cercle restreint des savants, était en effet autant la mise à disposition d’un outil pratique qu’une opération publicitaire, au sens le plus actuel du terme. Il permet de mettre en valeur un capital tant matériel que culturel, qui se distinguerait par la quantité des ouvrages possédés, leur qualité, conséquence d’une sélection précise, et une régularité dans leur ordonnancement. Le recensement et la publication d’un catalogue ordonné de sa bibliothèque – d’après les exemples revendiqués des index des bibliothèques de la Cour de Vienne par Pierre Lambecius, de Saint-Laurent-de-l’Escurial par Claude Clément, ou de Francesco Barberini, récemment publié à Rome en 1681 – pouvaient aussi participer d’un effort de développement de la bibliothéconomie.
Têtes de chapitres du catalogue de la bibliothèque de Charles Maurice Le Tellier : bibles (p. 1), histoire de France (p. 290), médecine (p. 368)
Charles-Maurice Le Tellier se positionnait ainsi, lui et sa bibliothèque, au cœur du champ de l’érudition. Un espace qu’il occupait d’autant plus du fait de ses responsabilités institutionnelles, ayant la charge effective de la Bibliothèque du roi pour le compte de son neveu, Camille de Louvois, nommé bibliothécaire du roi en 1684 alors qu’il n’était âgé que de neuf ans. Il a d’ailleurs profité pleinement de cette position, en faisant réaliser le recensement de ses collections propres par Nicolas Clément, commis à la garde de la Bibliothèque du roi, et créateur de la cotation qui porte son nom, utilisée par la Bibliothèque nationale de France jusqu’en 1996.
La publication de ce catalogue en 1693 était aussi une manière de saluer la mémoire d’Antoine Faure, dont il avait récupéré, par voie testamentaire, les ouvrages susceptibles d’enrichir sa propre bibliothèque, parmi lesquels un missel à l’usage du diocèse de Paris, datant d’une période allant de la fin XIIIe au XVe siècle, avec des lettres de couleurs, quelques enluminures, des indications musicales.
Missel à l'usage de Paris, XIIIe-XVe siècles. BnF, Manuscrits, Latin 830, f. 7r
La préface du catalogue donne d’ailleurs de plus amples détails sur les modalités de constitution de la bibliothèque de Le Tellier, dont le noyau serait constitué par les livres acquis en 1662, à l’occasion de ses études en théologie, notamment des volumes des Pères de l’Église. Elle se serait étoffée avec les acquisitions réalisées durant ses voyages en France ou à l’étranger, notamment le voyage d’Italie réalisé en 1667 et 1668. Le travail de recherche et d’acquisition des ouvrages a aussi été délégué aux « hommes les plus savants, et aux chercheurs de livre les plus perspicaces ». Il a également pu profiter de l’acquisition de bibliothèques préalablement constituées, dont les propriétaires sont parfois identifiés, comme Charles de Montchal, archevêque de Toulouse, décédé en 1651.
Meditationes et orationes in Epistolam Divi Pauli ad Romanos (Méditations et discours sur l'Épître de saint Paul aux Romains). Manuscrit du XVIe siècle provenant de la bibliothèque de Charles de Montchal. BnF, Manuscrits, Latin 677
Abrégé des neuf premiers livres du Code de Justinien, en provençal. Manuscrit du XIIIe siècle provenant de la bibliothèque de Charles de Montchal. BnF, Manuscrits, NAF 4138
Un rapide tour sur Gallica permet d’apprécier la richesse et la diversité des collections de Le Tellier. Elles s’orientent principalement, comme le signale la préface de son catalogue, vers « les choses sacrées et ecclésiastiques ». L’archevêque de Reims a réuni de nombreux manuscrits de livres de la Bible, de commentaires sur l’Écriture sainte, de Pères de l’Église ou d’autres auteurs chrétiens. Les œuvres de saint Augustin, principale référence théologique de Le Tellier, y sont en bon nombre. Il a ainsi été le possesseur d’un manuscrit qui rassemble plusieurs écrits d’Augustin, daté du XIe siècle et provenant probablement de l’abbaye Saint-Martin de Tournai, qui s’ouvre sur un dessin de Christ bénissant :
Augustinus, Tournai, XIe siècle. BnF, Manuscrits, Latin 1972
ou encore d’un exemplaire du XVe siècle de La Cité de Dieu dans sa traduction de Raoul de Presles, en deux volumes décorés par 24 peintures de maître François, enlumineur parisien, et légués, avec d’autres ouvrages, au roi en 1700. Ce don de 1700 est d’ailleurs le principal chemin par lequel certains des ouvrages de Le Tellier ont rejoint la Bibliothèque royale.
Saint Augustin, La Cité de Dieu, traduite en français par Raoul de Presles, livres I-X. Paris, XVe siècle. BnF, Manuscrits, Français 18
Mais il ne s’est pas contenté de collecter les œuvres des autorités les plus traditionnelles. Les ouvrages issus de la bibliothèque de Le Tellier sont assez diversifiés, faisant montre d’une certaine curiosité. S’ils ont le plus souvent des thèmes religieux, sa bibliothèque comprenait par exemple plusieurs manuscrits hébreux, dont un commentaire des Psaumes par Emmanuel Ben Salomon de Rome, poète et exégète juif, résidant dans les États pontificaux aux XIIIe-XIVe siècles. L’exemplaire est sorti de la bibliothèque de l’archevêque via une vente effectuée par son secrétaire.
Emmanuel ben Salomon de Rome, Commentaire des Psaumes, XIVe siècle. BnF, Manuscrits, Hébreu 233
La pièce la plus spectaculaire et célèbre de ses collections, entrée en 1700 à la Bibliothèque royale, est sans doute le Codex Telleriano-Remensis, manuscrit mexicain qui contient un calendrier liturgique, un tonalamatl (calendrier divinatoire) et une histoire de l’Empire aztèque, et comprend des illustrations réalisées par des tlacuiloque (scribes-peintres) indigènes.
Codex Telleriano-Remensis. BnF, Manuscris, Mexicain 385, f. 24r
Toutefois, si la BnF, héritière des collections royales, a récupéré plusieurs de ses ouvrages, principalement par dons de son vivant, ou par l’intercession de son neveu Camille de Louvois, bibliothécaire du roi, l’archevêque de Reims a légué l’essentiel de sa bibliothèque par testament à l’abbaye Sainte-Geneviève de Paris, constituant l’un des principaux socles de l’actuelle bibliothèque éponyme.
Arthur Fagnot
Doctorant, Université de Lorraine
Chercheur associé au département des Manuscrits de la BnF
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