L'affaire Nozière : quand dénoncer l'inceste était "monstrueux"
Violette Nozière, dans Marianne, 6 septembre 1933, p.10
Violette Nozière. Ce nom résonne dans l’imaginaire judiciaire et médiatique français, jusqu’à avoir été transposé dans un film. Robert Badinter, s’était pris de passion pour cette affaire qui emballa la presse et enflamma l'opinion publique, entre-deux-guerres, conduisant à la condamnation à mort de l’accusée, jusqu’à sa grâce le 13 mars 1963 par la cour d’appel de Rouen.
« Violette l’empoisonneuse »
"Le drame de la rue de Madagascar" a été maintes fois raconté. Dans la nuit du 21 au 22 août 1933, Violette Nozière, jeune lycéenne de 18 ans, fait avaler à ses parents du Soménal, un barbiturique, et quitte le domicile familial. Son père est tué mais sa mère en réchappe. L’enquête est confiée au commissaire Gueudet, qui retrouve Violette et l'emmène à l’hôpital Saint-Antoine, au chevet de sa mère, le 23 août. La jeune fille prend alors la fuite signant par là même sa culpabilité. Elle est arrêtée le 28 août 1933 par le commissaire Marcel Guillaume dans le 7e arrondissement. Commence alors l’affaire Violette Nozière.
Violette Nozière d'après une photographie récente publiée dans Le Petit Parisien, 25 août 1933
« Violette l’empoisonneuse » fait très vite la une de tous les quotidiens. Et c'est dans les journaux que débute l'enquête, notamment dans Paris-Soir sous l'impulsion de Jean Prouvost, qui joue le tout photographique ramassé dans une formule : « nous ne nous contentons pas de savoir, nous voulons voir ». Ainsi, la vie de débauche de la jeune fille dans les bistrots du Quartier Latin, de Montmartre ou de Montparnasse est égrenée à longueur d’articles, la presse prend fait et cause contre « la parricide ». Quelques jours seulement après les faits, les formules obscènes fusent : « un monstre en jupons », dans La Charente, qui fera florès ; « fleur vénéneuse du trottoir » selon Paris-Soir qui enfonce le clou « tant de vice derrière ce front lilial surprend et épouvante ».
« Mon père abusait de moi »
Rapidement, pourtant, les premiers témoignages de Violette Nozière au juge Lanoire, en charge de l'enquête, mettent en avant un autre mobile que la cupidité, présumée par l'ensemble de la presse. L'accusation d'inceste s'insinue dans l'enquête :
Et Violette en donne des éléments de preuve : « mon père après chaque outrage, se servait de chiffons qu’il jetait derrière un porte-manteau ».
Loin d'emporter la presse et la morale, ces révélations d'un scandale sexuel détournent le regard des journalistes, non sans quelques allusions brumeuses. Le 31 août 1933, Le Petit Journal informe ses lecteurs que l’affaire, après avoir fait passer du mystère à l’horreur, « prend un tour qui soulève de dégoût le cœur de l’honnête homme », tout en avançant, en grosses lettres, des témoignages de proches selon lesquels : "Violette a menti". Selon La Liberté, il faudra recourir à un « huis-clos partiel (...) certains détails ne pouvant, de toute évidence, être évoqués en public ». L'Oeuvre, de son côté, ne doute à aucun moment que les jurés « rejetteront avec mépris la fable du père incestueux ». « Veut-elle pour sa défense déshonorer ce père qu’elle a tué ? Ou bien dit-elle la vérité ? » s’interroge l’Action Française. La soumission à un examen de « trois experts mentaux », opportunément décidée par le juge, doit permettre de débrouiller la thèse de la parricide, selon la presse.
« Tout le reste est accessoire... »
Pour les « éminents psychiatres » interrogés par Paris-Soir, le 15 septembre, il ne fait aucun doute que Violette Nozière est une « mythomane dangereuse » pour l’un, « dont les sens ont été éveillés trop tôt aurait été inconsciemment attirée par son père et aujourd’hui elle l’accuserait d’un acte qu’il n’a jamais commis mais qu’elle souhaitait involontairement dans le plus profond de son être », pour un autre qui requiert par « modestie » l'anonymat. L'accusée a beau étayer ses accusations, elle demeure « une perverse » dont on se garde bien de relayer les « honteuses calomnies » . Et pourtant, Le Petit Parisien du 18 septembre, concède que les preuves retrouvées au domicile des Nozière « ne laissent plus à sa monstrueuse accusation un caractère aussi invraisemblable ». Mais les journaux continuent d'étaler en première page la « monstrueuse accusation ».
Malgré les indices, Le Figaro ne s'embarrasse par de telles circonvolutions et amorce, sans embages, son article sur l'affaire Nozière : « Violette Nozière a tué son père et voulut tuer sa mère par intérêt [...] Tout le reste est accessoire ».
Dans les journaux, bien avant l'ouverture du procès, le verdict semble déjà entendu.
« Le nom que ton père t'a donné et ravi »
Quelques pages plus loin, dans la même veine, Paul Eluard livre trois vers restés célèbres :
Rue de Madagascar, reconstitution du crime de Violette Nozières : Agence Meurisse, 1933
Un procès expéditif
L'Intransigeant résume le sentiment général au soir du dernier jour du procès : « Faut-il la croire? On explique mal la tardive révolte d’une vertu par ailleurs fort peu intacte. En outre, il est manifeste que nous avons devant nous une mythomane, une maniaque du mensonge ». Même la chronique de Colette, le lendemain dans ses impressions du procès, épouse l'opinion ambiante, et le regard acéré qu'elle porte sur l'accusée évince quasiment la violence subie - tout juste évoquée par la litote "C'est terrible et mesquin une enfant sans honneur que plusieurs promiscuités ont blettie".
Bien que partie civile dans l’affaire et après une déposition accablante, la mère de Violette Nozière, ébranlée par les supplications de sa fille, est prise d’un revirement « Violette je ne puis oublier que tu es mon enfant », elle implore les jurés dans un dernier souffle « Pitié, pitié pour mon enfant ». Dans l'Excelsior, André Reuze souligne : « Tout est extraordinaire dans ce procès ».
Violette Nozière condamnée à mort durant le procès, debout sur l'estrade Paris
H. Manuel, ca 1934 (Bibliothèque Ville de Paris)
La tardive réhabilitation
Le pourvoi en cassation que Violette Nozière et ses avocats ont formé est rejeté le 19 décembre 1934 mais le doute s'instille après « un grand procès manqué » , relayé par une poignée de journaux. Ainsi Marcel Aymé, dans Marianne, « On se rappelle avec quelle unanimité dans l'hypocrisie fut escamoté la question des relations incestueuses qui étaient le nœud de l'affaire » réclame au président de la République qu'il fasse « grâce à Violette Nozière. On ne dira pas que c'est faiblesse, mais simple justice ».
Bibliographie :
- « L'Affaire Nozière. La parole sur l'inceste et sa réception sociale dans la France des Années 30 », Anne-Emmanuelle Demartini, Revue d'histoire moderne et contemporain 2009/4 N°56-4 (pp.190 à 214)
Commentaires
Violette Noziere
Événement d’une grande actualité…dont on ne parle pas .Presse amnésique !!!!
Ajouter un commentaire