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L'archéologie au cœur des relations franco-afghanes

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À l’occasion du centenaire des relations diplomatiques entre la France et l’Afghanistan, le blog Gallica met à l’honneur l’Afghanistan par une série de billets.
Ce billet propose de revenir sur les débuts de la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA) et de montrer comment l’archéologie a été au cœur de la naissance des relations franco-afghanes.

Les préparatifs du grand départ, Hadda, Mission Jules Barthoux

En février 1919, l’avènement d’Amânullâh Khân annonce un changement radical en Afghanistan, état tampon entre l’Empire russe et l’Empire britannique privé d’autonomie en matière de politique étrangère. Dans un contexte général de panislamisme traversant le Moyen Orient et l’Inde et prônant des mouvements d’indépendance fondés sur un Islam modernisé et ouvert au progrès, l’émir instaure une stratégie politique et diplomatique d’indépendance nationale.
Dès le 8 août 1919, après avoir déclenché et remporté la troisième guerre anglo-afghane, il signe le traité de Rawalpindi qui reconnaît à nouveau l’autonomie de l’Afghanistan en matière de politique étrangère et saisit cette occasion pour proclamer l’indépendance de fait de son pays.
Il veut sortir son pays de l’isolement qui l’a maintenu dans un état de sous-développement et le moderniser. Cela passe pour lui tout d’abord par l’éducation et la culture. Dans ces domaines, il pense à la France avec qui il entre en contact grâce à un atout majeur dont il dispose dans sa politique diplomatique : pouvoir accorder l’autorisation d’entreprendre des fouilles sur un territoire encore vierge de prospections et recherches archéologiques. Un article du 1er novembre 1937 d’Affaires étrangères, revue mensuelle de documentation internationale et diplomatique rappelle la nature archéologique des premiers pourparlers entre la France et l’Afghanistan début 1921.

« […]si la mission scientifique de la République française éprouve le désir de voir les localités antiques de l’Afghanistan, le gouvernement de ce dernier pays disposera et préparera, dans les limites du possible, les moyens de faciliter leur voyage aux membres de cette mission. »

Amânullâh Khân choisit la France comme partenaire privilégié car elle est victorieuse de la Première Guerre mondiale tout en entretenant toujours une vieille rivalité avec l’Angleterre, est perçue comme une amie de l’Islam en raison de ses positions de soutien du mouvement nationaliste de Mustapha Kémal en Turquie, enfin est déjà rompue à la coopération universitaire et culturelle au Proche-Orient et en Indochine.
De son côté, la France y voit également plusieurs intérêts politiques, économiques et culturels comme les énonce un Rapport du Sénat en janvier 1923 : renforcer sa politique générale avec les peuples musulmans, se positionner dans cette région par rapport à l’Angleterre et y développer des relations commerciales, poursuivre son œuvre de valorisation et de diffusion de la culture française, enfin réaliser des découvertes archéologiques jugées très prometteuses dans cet antique carrefour entre Orient et Occident.

« L’Afghanistan est un des pays réputés les plus riches au point de vue archéologique. […] Tout le monde savant attend des résultats extrêmement importants des fouilles qui pourraient y être effectuées. »

L’archéologie est ainsi utilisée par les deux pays à des fins politiques et diplomatiques en servant des objectifs de politique étrangère.

Création de la DAFA

L’homme choisi pour mener cette mission scientifique est Alfred Foucher, indianiste et spécialiste de l’iconographie bouddhique, alors en Inde en 1921 aux côtés de John Marshall pour réorganiser à la demande de ce dernier les collections des musées de l’Inde.
Sa mission devant rester secrète, pour ne pas froisser les Anglais qui n’ont pas encore reconnu officiellement l’indépendance de l’Afghanistan et pour se garder la primauté d’une expédition archéologique, il évite la frontière indo-afghane et effectue un très long périple par terre et par mer en passant par la Perse. Parti de Calcutta le 15 mai 1921, Alfred Foucher, accompagné de sa femme, n’entre en pays afghan qu’en mars 1922.
Dans un article du 2 juillet 1925 du journal Istamboul, qui relate les premières années d’Alfred Foucher en Afghanistan, on y lit notamment son arrivée et accueil par les autorités afghanes. 

« Pour le recevoir, l’émir avait envoyé jusqu’à la frontière une escorte nombreuse et magnifique. Partout, sur son passage le savant français fut accueilli avec les plus grands honneurs »

Le premier Français à entrer en Afghanistan et à représenter officiellement la France est donc un archéologue.
Lorsqu’il arrive à Kaboul en mai 1922, des légations étrangères sont déjà présentes. En effet, le 21 novembre 1921, par un deuxième traité, l’Angleterre a officiellement reconnu l’indépendance de l’Afghanistan. En parallèle, l’émir a envoyé une mission diplomatique en Europe pour ouvrir des légations. En revanche, il n’y a pas encore d’ambassadeur français à Kaboul. Alfred Foucher comprend immédiatement la nature diplomatique et non purement archéologique de sa mission. D’une part, il s’attelle à la création d’un collège français, priorité pour l’Afghanistan. En Juillet 1922, le collège Amânya, premier collège étranger à Kaboul, voit ainsi le jour. D’autre part, durant le mois d’août, c’est à lui que revient de négocier et rédiger la convention devant régir la coopération archéologique entre les deux pays. L’Afghanistan choisit de prendre modèle sur la convention signée entre la France et la Perse en 1895.
L’article du 2 juillet 1925 du journal Istamboul rappelle les principaux points de cette convention :

«  … la convention […] reconnaît à la mission archéologique française le droit exclusif de pratiquer des sondages et des fouilles sur le territoire de l’empire afghan. Ce privilège est concédé pour 30 ans sous deux réserves : un site […] pas […] exploré […] au cours d’une période de 5 ans pourrait être attribué à une mission étrangère ; l’interruption de tous travaux pendant 18 mois consécutifs permettrait au gouvernement afghan de reprendre sa liberté. Le produit des fouilles est divisé par moitié […] exception faite pour les pièces dites « uniques » qui sont réservées au musée de Caboul. » 

Le 9 septembre 1922, Mahmoud Tarzi, ambassadeur d’Afghanistan en France, part à Paris avec le texte bilingue de la convention.
Pour mener à bien cette mission scientifique, la France crée la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA) émanant du Ministère des Affaires étrangères et dont le premier directeur est Alfred Foucher.

Entre archéologie diplomatique et archéologie scientifique

Lorsqu'Aldred Foucher peut enfin se lancer dans sa mission archéologique, il est pris dès le départ par ses souhaits et considérations scientifiques (réaliser des repérages pour savoir où et comment mener des fouilles,  mettre en pratique des techniques de fouilles modernes requérant temps et précision) et les pressions des gouvernements afghan et français pour des fouilles immédiates pourvoyeuses de grandes découvertes notamment à Bactres, capitale de la Bactriane à l’époque hellénistique puis de l’empire Kouchan au tournant de notre ère.
De plus, Alfred Foucher, alors seul représentant français en Afghanistan, estime qu’il n’est pas souhaitable d’un point de vue diplomatique de trop s’éloigner de Kaboul.
Il concentre ainsi ses travaux dans un premier temps aux environs de Kaboul et à la région de Bâmyân. Dans une lettre adressée au président de la Société asiatique du 30 novembre 1922 et publiée dans Journal asiatique, il fait un compte rendu de sa première exploration de la vallée de Bâmyân .
Début 1923, à sa demande, il reçoit du renfort en la personne d’André Godard, accompagné de sa femme. Parti avec l’intention de fouiller Bactres, ce dernier doit se plier aux instructions de Foucher : prospections à Kapisa, sondages à Hadda et exploration en août et septembre 1923 de Bâmiyân. Il publie les résultats de cette mission en 1928 dans l’ouvrage Les antiquités bouddhiques de Bâmiyân.
En novembre 1923, après l’arrivée de Maurice Fouchet à Kaboul, premier ambassadeur français en Afghanistan, le couple Foucher, libéré de toutes contraintes diplomatiques, part finalement à Bactres. Site énorme nécessitant des travaux gigantesques, la fouille s’avère improductive compte tenu des moyens humains, techniques et financiers dont dispose Foucher qui évoque un mirage bactrien. Après 18 mois très éprouvants physiquement, le couple Foucher regagne Kaboul et organise son retour en France. En septembre 1925, Foucher accueille Jules Barthoux, arrivé à Kaboul pour le seconder et assurer son intérim.
Lors d’une séance de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, le 13 mai 1927, Foucher dresse un bilan de sa mission en Afghanistan et dessine les perspectives de recherches pour la DAFA : progressivement le projet scientifique de la DAFA se dessine.
Bien qu’il ne retourne finalement jamais en Afghanistan, Foucher reste officiellement directeur de la DAFA jusqu’en 1945. Entre 1942 et 1947, il publie La vieille route de l’Inde, de Bactres à Taxila une grande synthèse réalisée grâce aux prospections et repérages qu’il a menés de l’automne 2022 à l’automne 2023 et durant l’année 1925.

Les premières grandes fouilles de la DAFA commencent avec Jules Barthoux sur le site d’Hadda entre 1925 et 1928 et s’avèrent immédiatement très productives. Jules Barthoux et Joseph Hackin en rendent compte dans un article du 1er janvier 1928 de la Revue des Arts asiatiques accompagné de plusieurs planches représentant les sculptures mises au jour à Hadda.

Tête de divinité et tête de Bouddha, Hadda, Mission Jules Barthoux

Entre 1929 et 1940, la DAFA est incarnée sur place en Afghanistan par Joseph Hackin, trés apprécié des autorités et de la population afghanes tant sur le plan politique qu’archéologique. Accompagné de sa femme Ria, il se partage entre l’Afghanistan où il se rend lors de la saison des fouilles et Paris où il dirige le Musée Guimet et consacre sa chaire à l’Ecole du Louvre à l’art d’Afghanistan.
Lors de sa deuxième mission en 1929, l’Afghanistan est en pleine guerre civile suite à la destitution de l’émir en 1928. Joseph Hackin, un des rares Occidentaux encore présents à Kaboul, fait œuvre de diplomate. En l’absence du ministre de France ayant quitté les lieux, il représente et défend la légation de France puis règle les problèmes des ressortissants français. En 1930, il est décoré au titre d’officier de la légion d’honneur pour sa courageuse défense des intérêts de la France.
Lorsque la situation semble s’apaiser et qu’un nouveau représentant français arrive à Kaboul, il reprend sa mission archéologique. En mai 1930, le couple Hackin se rend à Bâmyân accompagné de l’architecte Jean Carl afin de poursuivre les travaux d’André Godard. La publication en 1933 de Nouvelles recherches archéologiques à Bâmiyân est le fruit de cette mission.
À l’occasion des 10 ans de la DAFA, Joseph Hackin publie L'œuvre de la délégation archéologique française en Afghanistan (1922-1932) où il fait le point sur les prospections, sondages et fouilles menées par la mission archéologique française à Hadda, Paitava, Begram, Bâmiyân, Bactres et en Bactriane.

À partir de 1936, le couple Hackin et l’architecte Carl se concentrent sur le site de Begram et mettent au jour le fameux trésor du même nom.

Les membres de la DAFA en 1938 (de gauche à droite) : Ahmed Ali Khan, Joseph et Ria Hackin, Jean Carl, Jacques Meunié

En 1940, Joseph et Ria Hackin et Jean Carl décident de rallier la France libre. Le couple Hackin perd la vie lors du naufrage de leur bateau torpillé le 24 février 1941.
Durant la Seconde Guerre mondiale, pour ne pas perdre l’exclusivité archéologique prévue par la convention, un archéologue, Roman Ghirshman, est tout de même envoyé en mission.
À partir de 1945, la DAFA poursuit son action par les grandes fouilles de Lashkari Bazar, Surkh-Total et la fouille d’Aï-Khanoum. Durant les années 1970, suite au coup d’Etat abolissant la monarchie et l’instabilité politique qui en résulte, les activités de terrain devenues dangereuses laissent place aux études portant sur les matériaux accumulés par la DAFA durant les décennies précédentes.

En 1982, la DAFA est suspendue par les autorités afghanes.

Le musée Guimet, bénéficiaire des relations franco-afghanes

Le monopole français des fouilles en Afghanistan et plus précisément la clause sur le partage des trouvailles bénéficie, dès les premières années de la DAFA, au musée Guimet, alors seule institution nationale consacrée à l'Asie.
Le premier partage des objets entre la France et l’Afghanistan a lieu lors de la fouille de Paitava en 1925, durant la première mission de Joseph Hackin, au cours de laquelle est notamment exhumé le Bouddha au grand miracle.

Le musée s'enrichit ensuite considérablement avec les importantes fouilles de Jules Barthoux (1926-1928) à Hadda. Joseph Hackin, directeur du Musée Guimet depuis 1923, inaugure début 1929 une salle consacrée à l’Afghanistan.
De nouvelles salles sont organisées grâce aux missions de la DAFA dans les années 1930 et notamment aux découvertes du couple Hackin à Bâmyân et à Begram. 

Depuis la création de la DAFA et grâce à la convention de 1922, le musée Guimet fait ainsi rayonner le patrimoine afghan à l’étranger. 

En 2002, suite au renversement du régime taliban, la DAFA est réinstallée après 20 ans d’absence et de nombreuses destructions. Elle poursuit aujourd’hui principalement trois missions : lutter contre le pillage, mettre en place une archéologie de sauvegarde face aux projets d'aménagement ou économiques, former des professionnels du patrimoine (archéologues, conservateurs).
Au cœur de la naissance des relations franco-afghanes, l’archéologie demeure encore aujourd’hui une composante essentielle de la coopération entre les deux pays.

Pour aller plus loin :

Bibliographie

Ressources en ligne

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