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De rares dessins de Hokusai dans Gallica et à l’honneur au British Museum

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12 novembre 2021

L’étude comparée de dessins préparatoires d’estampes attribués à Hokusai, conservés au département des Estampes et de la photographie de la BnF et au British Museum, a permis d’affirmer leur authenticité et de lever un coin du voile sur la méthode de travail de l’artiste. Elle donne lieu à une exposition qui se tient à Londres jusqu’en janvier 2022.

Les dessins préparatoires aux estampes japonaises parvenus jusqu’à nous sont extrêmement rares. En effet, le processus de fabrication de l’estampe elle-même, où le graveur repasse sur le dessin,  suppose précisément la destruction de ce dernier. L’ensemble que conserve la BnF est donc particulièrement précieux : 150 dessins originaux, attribués à Hokusai, ayant appartenu au japoniste Atherton Curtis (1863-1943), dont la collection a été léguée à la Bibliothèque nationale en 1949.

L’album présente environ 150 fragments, réalisés au pinceau à l’encre noire, découpés et collés sur un recueil factice de 36 pages portant la mention Hokusai sōkōshū , soit « Recueil d’esquisses de Hokusai ». On y trouve toutes sortes de représentations : animaux, scènes fantastiques, paysages, personnages en action…  Ces fragments ont été rassemblés par Katsushika Isai (1821-1880)  élève de Hokusai, comme traces du travail de son maître : rappelons que Hokusai (1760-1849) était, déjà de son vivant, immensément célèbre, et que sa renommée dépassait les frontières du Japon. La valeur de ses dessins était donc déjà établie au moment de leur collecte.

L’arrivée du recueil en Europe est documentée par une lettre de vente du marchand d’art Samuel (Siegfried) Bing (1838-1905), conservée par Curtis et également numérisée et visible sur Gallica à la suite de l’album de dessins. Dans cette lettre datée de 1903, Samuel Bing explique avoir acheté l’album « plus de vingt-cinq ans » auparavant aux héritiers d’Isai. Il le propose alors à Curtis, en insistant sur le fait qu’il s’agit d’un « monument remarquable pour l’histoire de l’art japonais ».
 
Le travail de comparaison entre esquisses et œuvres abouties de Hokusai n’avait jusqu’ici jamais été mené. L’authenticité des dessins avait même pu être mise en doute par certains experts qui en attribuaient la paternité à Isai. Surtout, une question centrale demeurait : pourquoi ces dessins ont-ils survécu ? S’ils n’ont pas été détruits lors de la réalisation de l’estampe définitive, comme leurs contemporains, cela signifie qu’ils ont été créés pour un projet qui n’a jamais vu le jour, mais lequel ?
 
La récente redécouverte d’un autre ensemble de dessins de Hokusai a permis, par un travail comparatif minutieux, d’apporter quelques éléments de réponses à ces questions. En 2020, lors d’une vente à Paris, le British Museum s’est en effet porté acquéreur d’un ensemble de 103 dessins  dont la trace avait été perdue depuis 1948, et qui avait appartenu au bijoutier art nouveau et collectionneur japoniste Henri Vever (1854-1942). Grâce au groupe de recherche international Hokusai : thought, technique, society, mené conjointement par le British Museum et la School of Oriental and Asian Studies (SOAS) University, une étude fouillée de ces dessins a pu être réalisée, dont les résultats sont actuellement visibles dans l’exposition qui les présente à Londres jusqu’en janvier 2022.
Le commissaire de l’exposition, Timothy Clark, s’appuie également sur un troisième album de dessins, conservé cette fois au Museum of Fine Arts de Boston. Étudiés ensemble, ils constituent les trois pièces d’un puzzle qui s’assemble et permet de retracer l’origine des dessins.
Les dessins de l’album du British Museum ne sont pas reliés dans un album comme celui de la BnF, mais rassemblés dans une boîte portant le titre Banmotsu ehon daizen zu, que l’on peut traduire par Grand livre illustré de toutes choses  (en anglais the Great picture book of everything, titre repris pour l’exposition en cours).L’expertise du British Museum a permis d’établir que ce titre correspond à un projet éditorial de publication d’une encyclopédie illustrée par Hokusai qui n’a pas jamais vu le jour.
 Ce type de publication était abondante au Japon à l’époque d’Edo : la société urbanisée, très lettrée, consommait de grandes quantités de livres illustrés, vendus à des centaines d’exemplaires. La plus célèbre de ces réalisations, par Hokusai également, est sans doute la Mangaqui représente faune, flore, activités humaines et figures fantastiques comme une collection encyclopédique de centaines de croquis répartis sur quinze volumes. La BnF en conserve également plusieurs exemplaires. Outre les estampes en feuille et les peintures, Hokusai réalisa encore les illustrations de bien d’autres ouvrages, qu’il s’agisse d’anthologies de poèmes, de romans historiques ou de manuels de dessin.
 
Le projet du Grand livre illustré de toutes choses s’inscrivait ainsi dans une activité éditoriale ambitieuse et foisonnante ; la raison pour laquelle ce projet-ci n’a pas abouti reste encore inconnue, mais cela  aura permis de conserver intacts les dessins préparatoires. La comparaison des ensembles conservés par la BnF, le British Museum et le Museum of Fine Arts de Boston permet de retracer processus de fabrication des estampes : ainsi, on peut constater qu’une esquisse préparatoire de l’album Curtis correspond à un dessin mis au propre de l’album Vever.
 
 
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Dessin préparatoire pour gravure, « Virudhaka foudroyé », tiré du Grand livre illustré de toutes choses. 10 x 15,4 cm. British Museum.
 
Ces recherches permettent d’attester sans ambiguïté que les dessins sont bien de la main de Hokusai : à la fois par la caractérisation du trait, vif, original, souvent plein d’humour, mais également par leur ressemblance avec d’autres œuvres connues. Leur datation, établie entre 1820 et 1840, confrontée à la chronologie biographique de Hokusai, indique en outre qu’il est peu probable qu’ils soient de la main de l’un de ses élèves.
L’exposition se tient à Londres jusqu’au 30 janvier 2022 ; elle présente les résultats de l’étude sur les dessins du British Museum tout autant qu’elle ouvre de nouvelles pistes pour l’étude de l’œuvre de Hokusai et de ses méthodes de travail, particulièrement à la fin de sa vie.

 

 

Voir aussi : 
Les pages consacrées à l'estampe japonaise dans Gallica
 
Pour aller plus loin :
Hokusai, the Great picture book of everything, exposition au British museum, Londres, du 30 septembre 2021 au 30 janvier 2022
Late Hokusai : site présentant les activités de recherches autour de Hokusai, coordonnées par le British Museum et de la SOAS
Les dessins de l’album acquis en 2020 par le British Museum
Dessins préparatoires de Hokusai conservés par le Museum of Fine Arts de Boston
La Manga de Hokusai  
Le site France-Japon pour explorer les collections japonaises de la BnF
 A rebours d’Hokusai : l’art japonais avant 1850, bibliographie

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