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La coupe des Ptolémées

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12 juillet 2022

Dans cette nouvelle série de billets de blog Gallica, autour des "Trésors de Richelieu", nous vous invitons à découvrir des oeuvres provenant des départements de collections spécialisées, tels que les Monnaies et médailles, les Cartes et plans, les Estampes, les Arts du spectacle ou encore les Manuscrits. Ces œuvres sont exposées dans le cadre du musée de Richelieu.

La « coupe des Ptolémées » est un vase d’exception, autant par sa technique de fabrication, sa matière, son décor, que par son histoire, étroitement liée à celle de la France.

Un rarissime vase monolithique antique

Taillé dans un seul bloc de sardonyx, une pierre dure faite de différentes couches de couleur, ce vase est l’un des rares vases-camées antiques qui nous soient parvenus. Deux autres coupes peuvent rivaliser avec la virtuosité de son exécution : la « Tasse Farnèse » de Naples et le « Vase Rubens » de Baltimore. Sa fabrication a nécessité une grande virtuosité et de très longues heures de travail de la part de l’artiste anonyme qui en est l’auteur. L’évidement nécessaire pour créer les délicates anses, qui reprennent une forme connue en orfèvrerie, témoigne du talent du graveur. Dans chacune, il a su dégager deux tiges  ornées de feuilles de vigne et de grappes de raisin gravées à la pointe, terminées par des fleurs de pavot sculptées. L’intérieur de la vasque, complètement lisse, laisse passer la lumière à travers les couches les plus claires, rendant le vase en partie translucide.

 

Détail d’une anse
 

La coupe a été attribuée aux Ptolémées, rois d’Egypte de la fin du 4e siècle avant J.-C. jusqu’à la mort de Cléopâtre en 30 avant J.-C., par Jean Tristan de Saint-Amant , un auteur du 17e siècle. Sa richesse et sa préciosité ont été rapprochées des descriptions des fêtes d’Alexandrie au cours desquelles Ptolémée II (309-246 av. J.-C.) avait exhibé des richesses inouïes incluant des vases précieux. Sa date de fabrication se situe en fait entre le 1er siècle avant J.-C. et le 1er siècle après J.-C., sans qu’il soit possible d’être plus précis. Elle a donc probablement été créée après la fin de la dynastie des Ptolémées, mais elle vient en revanche sans doute bien d’Alexandrie.

Dionysos, dieu du vin
 
Le décor de la coupe est particulièrement riche et complexe. Le choix des plantes qui s’enroulent sur les anses donnent le ton : la vigne et le pavot apportent une ivresse mystique qui s’empare des adorateurs de Dionysos, dieu du vin, lors de la célébration des mystères de son culte.
Sur une face, une table à pieds en forme de sphinx assis supporte un panier (ciste) orné d’une guirlande et fermé d’un couvercle conique. Différents récipients sont liés à la consommation du vin : vases à boire (canthares) et vase à verser le vin (oenochoé). Un brûle parfum est aussi représenté, à côté d’un pilier dont la partie supérieure représente Priape, dieu de la fertilité, barbu. Le dessous de la table est aussi chargé que le dessus. Un masque de Pan, barbu et cornu, côtoie un bouc couché, un autre masque, imberbe cette fois, et une corbeille d’osier, deuxième exemplaire de la ciste mystique. Celle-ci contenait les objets sacrés du culte du dieu qui n’étaient révélés qu’aux initiés lors de cérémonies qui leur étaient réservées.
 

Détail de la table de la première face

Le serpent, à droite, symbole du dieu, vivait dans son sanctuaire. La panthère rappelle que Dionysos était réputé avoir conquis l’Inde dont elle est originaire. Les nombreux masques rappellent les mystères du dieu du vin, de l’extase mais aussi du théâtre et de la végétation. La présence de lierre, plante toujours verte, grimpant dans l’arbre qui ombrage le décor, signale que Dionysos est aussi le dieu de la résurrection.

 

Serpent sortant d’un panier (ciste mystique) et panthère se désaltérant
 

Sur l’autre face, une table à pieds cannelés terminées par des pattes de lion supporte une statuette de Déméter, des torches dans les mains. Une corne à boire terminée par un buste de centaure et différentes formes de vases complètent le mobilier. Un bouc, animal qui accompagne fréquemment Dionysos, des masques et des outres figurent dans le décor.

 

Détail de la table de la seconde face
 

Suspendus aux arbres du décor, une peau de panthère et des instruments de musique (un tympanon, des tintinnabula, une syrinx) rappellent l’ambiance des fêtes en l’honneur de Dionysos. Sur les deux faces, la table est protégée par une toile tendue aux branches d’un arbre.

Tous les éléments de ce riche décor sont immobiles et forment un contraste frappant avec l’atmosphère habituelle du culte de Dionysos, marqué par la possession, l’ivresse mystique, la musique et les processions endiablées de ses adorateurs.
 

Rois et reines de France
 
La coupe des Ptolémées est identifiée pour la première fois dans le trésor de la Basilique de Saint Denis en 1505. Cette mention dans un inventaire voile une date d’entrée dans le trésor bien antérieure. Au Moyen Age, elle a reçu une monture d’une ornementation d’une exceptionnelle richesse – rubis, saphirs, émeraudes, grenats et perles – connue par des publications des XVIIe et XVIIIe siècle.
 

Gravure de la Coupe des Ptolémées dans B. de Montfaucon. L'antiquité expliquée et représentée en figures . Paris, entre 1719 et 1724, I,2, p. 256-259, pl

Elle consistait en un support conique fixé sur le pied de la coupe, peut-être d’époque carolingienne, complété sans doute au 12e siècle d’une bordure inférieure ornée d’une dédicace en latin : HOC  VAS XPE TIBI MENTE DICAVIT / TERTIUS IN FRANCOS REGMINE KAR[O]LUS (Ô Christ, Charles, troisième de ce nom sur le trône des Francs t’a consacré ce vase). Le roi Charles le Chauve (823-877) ainsi évoqué a été l’un des principaux donateurs de l’abbaye de Saint Denis, sans que sa relation avec la coupe puisse être établie cependant. La fortune dépensée dans cette monture est à la hauteur de la valeur historique et artistique accordée au vase, l’ensemble étant estimé 6000 écus (des monnaies d’or) en 1505.

 
Deux faces de la monture médiévale. Détails de la planche CLXVII dans B. de Montfaucon, L'antiquité expliquée et représentée en figures. Paris, entre 1719 et 1724, I,2.
 

L’immense valeur de la coupe en a fait l’un des instruments du sacre (regalia) des reines de France, et ce malgré son décor païen. Le fait est attesté par l’érudit Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (1580-1637) qui, étudiant la coupe, évoque le « canthare de Bacchus en agate orientale qui sert à l'ablution de la reine à son sacre, après la communion ». Il rapporte aussi la tradition qui attribue à Saint Louis la découverte de ce vase rapporté d’Egypte.

Rescapée d’un vol
 
Transférée durant la Révolution au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale (aujourd’hui département des Monnaies, médailles et antiques de la BnF), la coupe perd sa monture orfévrée lors d’un vol en 1804. Une nouvelle monture en bronze doré est alors commandée à l'orfèvre Pierre-Maximilien Delafontaine, qui s'inspire de motifs de pierres gravées dont le taureau de Hyllos du Cabinet des Médailles. Aujourd’hui, la coupe est présentée nue au Musée de la BnF, telle qu’elle était utilisée dans l’Antiquité.

Bibliographie
 
Babelon, Ernest. Catalogue des camées antiques et modernes de la Bibliothèque nationale. 1897, 201-208, n°368.
Fabri de Peiresc, Nicolas-Claude. Dessins du Cabinet de Peiresc. Recueil factice.
Félibien, Michel. Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denys en France. Paris : 1706, pl.VI.
Lapatin, Kenneth. The Berthouville Silver Treasure and Roman Luxury [cat.exp.]. Los-Angeles : 2014, p.138, fig.87; p.140; p.158.
Montfaucon, Bernard de. L'antiquité expliquée et représentée en figures. Paris : entre 1719 et 1724, I,2, p. 256-259, pl. CLXVII.
Le trésor de Saint-Denis [cat.exp.]. Paris : RMN, 1991, 83-87, n°11 D. Gaborit-Chopin.
Tristan de Saint-Amant, Jean. Commentaires historiques contenans l'histoire générale des empereurs, impératrices, caesars et tyrans de l'Empire romain. Paris : 1644, II, p.603-648.
 

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