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Mai 1871, "Le Grelot" fabrique son "JO"

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12 juin 2023

Le Grelot, dans ce pastiche, malmène la chronologie et rassemble des nouvelles invraisemblables même si elles ont pour origine des faits réels. Il se moque en particulier de la presse provinciale qui continue à colporter la nouvelle des animaux exotiques tués et vendus aux restaurateurs pendant le siège de Paris.

Le numéro 5 du Grelot observe ironiquement que Le Journal officiel publié à Paris pendant la Commune est interdit en province :

Nous avons donc très habilement reproduit dans Le Grelot, - de façon à ce que les gendarmes n’y voient que du feu, - le numéro du jour du Journal officiel.

et publie en page 3 un pastiche du JO, monde à l’envers dans lequel les réactionnaires servent à nourrir les animaux du Jardin des Plantes.

Lorsque Thiers, chef de l'exécutif, effrayé par l'insurrection du 18 mars 1871 qui marquait le début de la « Commune de Paris », a quitté Paris pour Versailles, il a entraîné derrière lui toute son administration, et en particulier les rédacteurs du Journal officiel. Le siège du journal et l'imprimerie Wittersheim, 31 quai Voltaire, laissés vides, ont été investis par la garde nationale et, dès le 20 mars, « la Commune » a fait paraître le Journal officiel de la République française, dans un format et sous un titre exactement semblable à celui des jours précédents.

Le Journal officiel de la République française de la Commune de Paris

Pendant que, à Versailles, les « vrais » rédacteurs publiaient, forcément, un autre journal, à l'allure assez différente.

 Le Journal officiel de la République française publié à Versailles

Pendant toute la durée de la Commune, il y a donc eu deux éditions du Journal officiel (et même trois, puisque celle de Paris avait aussi une édition du soir).

  L'édition du soir du Journal officiel de la république française, publié à Paris

Le pastiche publié par Le Grelot imite assez parfaitement la typographie et la mise en pages du Journal Officiel (édition de Paris). Le Grelot était alors un hebdomadaire satirique tout neuf (son premier numéro est daté du 9 avril) dont le titre lui-même était une référence à celui de La Cloche. Quatre pages, une caricature en couverture, de Bertall (1820-1882) pendant la Commune. Républicain sans doute, mais pas favorable à la Commune.

Bertall a d'ailleurs réalisé toute une série de caricatures de « types de la Commune » réunies dans son recueil Les Communeux, telle cette « clubiste ».

 

Numéro 1 du Grelot, illustré par Bertall et une illustration des Communeux

Pour le numéro du 30 avril 1871, il a dessiné une caricature de Courbet, colonne Vendôme renversée à la main, à qui les statues de Paris viennent demander de ne pas être fondues (noter qu'aucune statue n'a été fondue pendant la Commune) pour le plaisir du distique. Mais les communards ont fait plus drôle, dans la complainte « de la colonne », publiée par Le Tribun du peuple daté du 18 mai.

Revenons au pastiche du Journal officiel par Le Grelot.

Le numéro du Grelot à feuilleter avec en page 5 le pastiche de JO

Dans le bandeau du titre, l'information sur le rédacteur en chef, à la fois membre de la Commune, musicien, marchand de charbon et administrateur de son arrondissement, est bien sûr exagérée et satirique, mais elle témoigne à sa façon d'une réalité : les membres de la Commune étaient surchargés de tâches.

Bandeau du pastiche de JO

Quant aux articles, chacun d'eux pastiche, d'une façon ou d'une autre, le Journal officiel. Les noms, « Cadet-Roussel » pour le jeune Louis Rossel (1844-1871), délégué à la guerre, les noms à consonance étrangère pour le général polonais Jaroslaw Dombrowski (1836-1871) – et d'autres dans lesquels les lecteurs reconnaissaient parfaitement en « Albert Wolff, prussien » un journaliste (d'origine allemande) du Figaro... journal qui ne paraît plus à Paris depuis le 20 mars.

Détail du pastiche et caricature du général Dombrowski dans Le Fils du Père Duchêne

Passons sur l'article qui pastiche à la fois un rapport militaire et une critique théâtrale.

Détail du pastiche et caricature d'Offenbach

Et venons-en à la « partie officielle ». Les Parisiens, en ce 7 mai, ne peuvent que se souvenir des jours douloureux du siège prussien (15 septembre 1870 à fin janvier 1871), cinq mois et demi pendant lesquels la nourriture n'entrait pas dans Paris. La population a terriblement souffert de la famine,

Dessins de Cham dans Le Charivari, 2 novembre, 1er décembre et 8 décembre 1870

pendant que quelques riches bourgeois ont pu acheter la viande des animaux du Jardin d'acclimatation à la Boucherie anglaise du boulevard Haussmann ou en manger dans certains restaurants, dont le célèbre Brébant, sur les Grands Boulevards, que fréquentaient Edmond de Goncourt et Théophile Gauthier.

Croquis de Cham, 18 décembre 1870 dans Le Charivari

Pendant que, comme le dit notre pastiche, les animaux du Jardin des Plantes souffraient, « comme le commun des mortels, d'une nourriture malsaine et totalement insuffisante ». Voir le reportage du Rappel le 23 mars 1871.

Début de l'article du Rappel, 23 mars 1871 et les actualités de Cham dans Le Charivari, 18 décembre 1870 

Noter que la « fausse nouvelle » selon laquelle on aurait mangé les éléphants du Jardin des Plantes continue à être colportée de nos jours. Elle prend sa source dans le fait que les animaux du Jardin d'acclimatation avaient été hébergés au Jardin des Plantes.

abattage_elephant.jpg

Abattage de l'éléphant, estampe du Musée de l'Image - Ville d'Épinal

 

"Chasse à l’éléphant dans Paris", Le Gaulois, 1er janvier 1871 et le Journal officiel, 18 janvier 1871

Et peut-être aussi, même si ce journal a été peu lu, dans un article d'Henri Verlet, dans le journal La Patrie en danger, du révolutionnaire Auguste Blanqui, le 24 octobre 1870.

Et les animaux du Jardin des Plantes ? Est-ce qu’on leur donne de la viande fraîche pendant que le peuple meurt de faim ?
Qu’on tue et qu’on mange, s’il le faut, tous ces animaux. Les bonnes d’enfants seules en pleureront.

Propos qui seront repris et commentés dans Le Figaro du 28 octobre 1870, La Liberté du 2 novembre, Le Petit journal du 11 novembre ou encore Paris-journal du 15 novembre 1870.
 

Brèves dans Le Figaro, La Liberté et  Paris-journal

C'est presque dans cette ligne que se place l'article du Grelot, qui propose, juste retour des choses, que l'on nourrisse ces animaux de la chair des « réactionnaires » – bourgeois parmi lesquels on peut imaginer les consommateurs d'éléphant de janvier.

Fantaisies autour des menus de restaurant pendant le Siège, Escoffier et BM de Dijon

La plupart des animaux visés étaient herbivores et d'ailleurs, malgré les efforts versaillais, la nourriture entrait dans Paris pendant la Commune. Une fois de plus, les « réactionnaires » ne risquaient rien !

Il reste à découvrir la fin joyeuse de la page du Grelot en rappelant qu'au cours de ce mois de mai, plusieurs journaux « réactionnaires » ont en effet été « supprimés » par l'assemblée communale parisienne (notamment Le Bien Public, Le Soir, et L’Opinion nationale) , et que le patron de l'imprimerie Wittersheim voyait son imprimerie imprimer le Journal officiel communard « malgré lui ».

Détail du pastiche

Michèle Audin, mathématicienne et Oulipienne, est spécialiste de la Commune. Elle anime le blog Ma commune de Paris et a publié sur ce sujet :

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