Un empire français au Nouveau monde ?
Pendant près de 300 ans, les puissances coloniales européennes (France, Grande-Bretagne, Espagne) se livrent d’âpres luttes pour le contrôle des territoires et du commerce du Nouveau Monde. Les années 1688-1713, en particulier, forment une période de guerre quasi continue entre la France et la Grande-Bretagne. Chacune des parties produisait en Europe et dans les colonies des documents destinés à soutenir ses revendications territoriales (correspondance officielle, mémoires, plans, proclamations royales, lois etc.). Dans cet abondant corpus, les cartes reflètent souvent davantage les ambitions que la réalité. Les métropoles y projettent leurs rêves d’empire.
Cette magnifique carte de la Nouvelle France, dessinée sur vélin et rehaussée de lavis et d’or, en constitue un bon exemple. Ornés des armes du Grand Dauphin, héritier de la couronne de France, elle n’est ni datée ni signée. Sa ressemblance frappante avec une carte dressée en 1708 par Jean-Baptiste Franquelin pour le comte de Pontchartrain, ministre de la Marine, permet cependant d’en connaître l’auteur et la date approximative (1708-1712).
Originaire du Berry, Jean-Baptiste Franquelin (1651-1712) arrive au Canada en 1672. Quelques années plus tard, il est chargé de la réalisation de cartes pour le compte de l’administration coloniale et se voit pourvu, en 1686, du titre d’hydrographe du roi à Québec. Avec une cinquantaine de cartes (dont 21 signées de son nom), il est considéré par les historiens comme le cartographe le plus important de la Nouvelle France. La plupart de ses cartes ont été dressées sur les observations et les mémoires d’explorateurs – tels Louis Jolliet ou Cavelier de La Salle – ou lors de voyages d’inspection ; une dizaine d’entre elles sont des cartes générales de la Nouvelle France dédiées au roi et aux grands officiers du royaume.
La carte offerte au Grand Dauphin est la dernière en date. Elle offre la synthèse des connaissances accumulées par le cartographe au cours de sa carrière ; elle est aussi l’expression des ambitions françaises dans le continent nord-américain en ce début du XVIIIe siècle. La volonté hégémonique de la France s’y exprime haut et fort : le nom de la « Nouvelle France » est écrit de manière à recouvrir tout l’Est américain, du Canada au golfe du Mexique, prenant en tenaille les autres colonies européennes et faisant de la Louisiane, nouvellement découverte, une extension méridionale de cette Amérique française. La carte localise, en outre, avec grand détail, les tribus indiennes dont la France recherchait l’alliance pour contrer les prétentions de ses rivaux espagnols et britanniques. Les Indiens, par le jeu des alliances et des guerres inter-tribales, jouent en effet un rôle décisif sur le théâtre nord-américain.
L’iconographie de la carte renforce cette interprétation. Le cartouche d’échelle montre un Amérindien soutenant une règle d’arpenteur d’une main et un compas de l’autre, soulignant le rôle des autochtones dans l’exploration, la mesure et le contrôle du territoire colonial. Le cartouche de titre est orné d’une ravissante vue de Québec, qui rend manifeste la prééminence de la « belle province », tandis qu’une scène de vie mêlant Indiens et Européens (trappeurs ou missionnaires) autour d’un repas et d’un calumet illustre la pax gallica que la France se propose alors de faire régner dans cette partie du monde. Les figures qui encadrent les armoiries du Grand Dauphin – un ange de la renommée et une femme couronnée, boussole en main, à qui l’on présente une carte aux limites indécises – suggère une Amérique du Nord promise tout entière à l’héritier du trône. Dès 1713, cependant, le traité d’Utrecht marquera les premiers abandons de la France (Acadie, Terre Neuve, baie d’Hudson) et le premier démembrement de cet empire français d’Amérique du Nord, définitivement emporté au terme de la guerre de Sept ans (1763).
Catherine Hofmann
Département des Cartes et plans
Ajouter un commentaire