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Tour de France 2022 de Gallica - Étape 10 : entretien avec Paul Fournel (1/2)

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11 juillet 2022

Dans la roue de quel autre écrivain se glisser afin de parcourir grand train les lieux du Tour de France, ses paysages, ses cartes ? En ce jour de repos alpin du Tour 20222, nous vous proposons la première partie d’un entretien avec l’auteur, cycliste et oulipien Paul Fournel, aussi long -mais bien plus rythmé- qu’une étape de plaine sous la chaleur de juillet.

Paul Fournel à la Bibliothèque nationale de France en 2010, lors de sa conférence « Besoin de vélo »

Bonjour Paul Fournel. Commençons par signaler un fait singulier pour un auteur contemporain : on trouve en accès libre dans Gallica un certain nombre de documents dont vous êtes auteur ou contributeur, que cela soit la conférence « Besoin de vélo », des conférences filmées de l’Oulipo ou des documents manuscrits numérisés issus des archives de l’Oulipo. Au-delà de ces documents et de votre bibliographie, avez-vous ou avez-vous eu un usage de Gallica ?

J’ai eu un usage de Gallica, beaucoup, quand je travaillais sur les marionnettes et particulièrement sur Guignol, donc à cette époque j’ai recherché pas mal de choses dans Gallica, comme j’en ai recherché partout, car la documentation sur les marionnettes n’est pas toujours très bien rassemblée. C’est à ce moment-là dont j’en ai eu le plus l’usage. Pour le Tour de France, non.

On voit dans le livre Cartes du Tour que les documents choisis sont souvent issus d’une collection personnelle

Oui, ce sont des collections personnelles, des connaissances ou des pourvoyeurs, par exemple dans le cas précis du livre c’était l’éditeur -qui est en vérité un collectionneur- qui avait collectionné au fil des années toutes ces cartes et qui me les a confiées pour composer le livre. Une collection complète et cohérente, c’était idéal.

Il m’est arrivé aussi de faire appel à Gallica quand j’ai travaillé sur des auteurs du XVIe siècle, par exemple Louise Labé, Du Bellay…  Egalement autour de l’Oulipo, quand j’avais des choses à chercher, notamment sur les plagiaires par anticipation, j’ai cherché Marc de Papillon Laphrise, des auteurs comme ça, un peu dans les coins, qui étaient des plagiaires par anticipation de l’Oulipo. 

Vous évoquez dans Besoin de vélo la façon dont enfant vous avez commencé à préparer vos sorties à vélo en étudiant les cartes. Vous dites : « Les cartes routières sont pour moi des machines à rêves ». Est-ce toujours le cas ? Cela s’applique-t-il aux cartes anciennes et dites vélocypédiques ?

Là, on vit un drame pour moi en tant que cycliste. Je vois tous les jeunes cyclistes avec qui j’ai le plaisir de rouler : ils connaissent l’itinéraire mais pas la carte. Ils ont leur téléphone, avec l’itinéraire, ils savent très bien quand il faut tourner à gauche, à droite, mais ils n’ont pas la carte avec eux, ils n’ont pas le paysage autour d’eux. Ils n’ont pas la fameuse petite bosse sur le chemin à gauche, qu’on pourrait aller faire, qu’on pourrait aller voir. Ils ont leur itinéraire, tiré comme ça tout droit, à travers la cambrousse. Je suis vieux, les cartes pour moi restent des machines à rêve. Les cartes Michelin restent ma référence. C’est mon père qui m’a appris à les lire, quand on a commencé à faire du vélo ensemble, tout môme. Il me disait « voilà ce qu’on va faire », et il me présentait la carte et il me faisait le tracé, il me le montrait en m’expliquant « là regarde il va y avoir une côte, puis là on va descendre, puis là tu verras, on pourra voir le château qui se trouve là, … » etc. Donc il m’a appris à préparer ma balade a priori. Et ensuite on regardait la carte pendant notre promenade, il me disait « on va prendre tel chemin ». Et après on pouvait relire la ballade, quand on avait terminé. C’est ce goût là que j’ai.

Ce que j’aime dans une carte, c’est ce qui est à côté, à côté de l’itinéraire. Pour ne pas laisser quelque chose d’important qu’on pourrait voir ou aimer. Ou un défi qu’on pourrait essayer de se lancer à tel ou tel endroit. C’est dans ce sens-là que j’ai un peu la nostalgie de ça, car quand je roule avec mon fils, j’ai plus besoin de plier la carte dans la poche, il a son téléphone accroché quelque part qui nous dit où tourner. Ce qui est un peu frustrant.

 

Circuit d'Auvergne. Éliminatoires françaises et Coupe Gordon-Bennett 1905. Carte dressée par Michelin, 1905 ; Détail Clermont-Ferrand et alentours
BnF, département Cartes et plans, GE C-3368
 

Cela répond par anticipation à une partie de notre question suivante sur votre regard sur la migration d’une partie des usages de la cartographie routière vers le numérique et le GPS pour les cyclistes. Mais peut-on selon vous être cycliste ou suivre le cyclisme sans aimer les cartes ?

Ah non non non. C’est simplement impossible car le vélo appartient à la carte, lui aussi. La carte, c’est la préparation, c’est la reconnaissance. Les coureurs attendent LA carte du Tour, avec impatience, la grande messe du mois d’octobre, où on va leur dévoiler la carte du Tour. Et c’est là qu’ils commencent à se dire « aïe aïe aïe, la troisième semaine, pfiou, ça va chauffer » ou « oh merde on passe par le Massif Central, c’est pas un cadeau » et ainsi de suite. C’est un moment très attendu, le moment où on dévoile la carte. Et il y a aussi, ce qui correspond un peu à la carte, ces courses classiques qu’ils connaissent par cœur. Où ils ont l’itinéraire, la carte gravée en eux. Ils savent qu’à tel endroit il va falloir tourner à gauche, qu’on va rentrer dans un boyau pavé à tel kilomètre. Ils savent tout ça, ce qui leur permet de se préparer, de faire leur place à l’avant du peloton, s’il y a du danger, etc… Donc bien sûr que le vélo est indissociable de la carte. Il est indissociable de la route et la route est indissociable de la carte.

Le tracé du Tour de France en lui-même répond à des contraintes (sportives, économiques, géographiques…). Peut-on parler d’une cartographie oulipienne ? qui serait exercée par les organisateurs du Tour de France…

Il y a un Oucarpo, ouvroir de cartographie potentielle. Donc je leur laisse la responsabilité des cartes, ils font ça très très bien. Je ne pense pas que cela soit oulipien, mais que cela répond quand même à une gamme de contraintes assez fortes.

La gamme de contrainte est d’abord gouvernée par la géographie. Il se trouve que si on tire une diagonale de Strasbourg à Biarritz, la France est montagneuse à droite et plate à gauche. Donc il y a déjà un première contrainte si on veut panacher les étapes de plaines, les étapes de montagne, et offrir des difficultés à la mesure de chaque type de coureurs. C’est une première contrainte.

La deuxième contrainte qui se pose : l’hébergement. C’est un village entier qui se déplace de jour en jour. Et donc il est difficile d’aller faire une étape à Triffouilly-les-Oies parce qu’il faut avoir une quarantaine d’hôtel à disposition dans les parages, donc c’est une logistique importante.

Il y a une troisième contrainte qui s’applique maintenant : la contrainte de la « Belle France ». On fait plus passer les coureurs dans les usines, dans les zones inhospitalières, dans les banlieues sordides… C’est la « Belle France » ou pas. Depuis le jour où la boule Wescam [la caméra sur hélicoptère] a permis de tourner l’œil et de regarder les châteaux, les lacs, les montagnes et les gouffres qui se présentaient, on est condamné à un tour de la « Belle France ». On peut plus aller n’importe tout. Tout cela pèse.

Et puis il y a aussi une contrainte économique très lourde, qui pèse sur le Tour de France : les villes payent pour accueillir le Tour de France. Elles payent pour être départ, elles payent pour être arrivée, elles payent encore davantage si elles sont devenus grand départ, comme c’est devenu l’usage aujourd’hui, que cela soit en France ou à l’étranger. Et donc il faut aussi aller de ville en ville avec cette considération. Même si le directeur du Tour de France m’a toujours dit que les gens se précipitaient pour être candidats à l’arrivé ou au départ d’une étape du Tour, je pense quand même qu’il faut tenir compte de ces contraintes économiques dans la construction du spectacle. C’est un spectacle, un spectacle télévisé. Il faut tenir compte des contraintes audiovisuelles, il faut un aéroport pour que l’avion puisse se poser pas trop loin, la logistique pour les hélicoptères, des pompes à essence car il y a des centaines de bagnoles qui tournent là derrière. Toute une logistique autour de cette compétition qui fait que les contraintes sont massives.

Mais ils y arrivent, ils sont une bonne équipe, des anciens coursiers. Et ils ont -non pas des espions- mais des locaux, des cyclosportifs, qui reconnaissent, qui disent « tiens la Planche des Belles Filles là, attention. Il y a une belle bosse, ça pourrait faire une magnifique arrivée ». Donc ils vont voir. Gouvenou [Thierry Gouvenou, ancien cycliste, traceur pour ASO société organisatrice du Tour de France], va voir, il constate, effectivement il y a une rude bosse. Donc voilà ça se construit comme cela, même avec des côtes moins réputées ou des passages très jolis, comme le passage du Gois, qui peuvent être des endroits que les cyclotouristes connaissent bien et partagent avec les organisateurs du Tour de France.

Passage de Gois, en Vendée ; photograghie issue du fonds Geneviève Massignon
BnF, Département Son, vidéo, multimédia. MAS-91

 

Dans Cartes du Tour, vous évoquez le Tour 1903 et son règlement initial où les coureurs avaient la possibilité de courir l’ensemble des 2428 kilomètres ou de ne prendre part qu’à une seule ou plusieurs étapes. Ce qui sera modifié dès 1904 par Henri Desgrange. Dans « Peloton maison » vous parlez de Luc Van der Star, archétype du coureur qui « fait son marché » : pour ces coureurs, passés ou actuels qui choisissent d’abandonner dès que la montagne arrive, peut-on parler de Tour à la carte ? Quel regard portez-vous sur ces coureurs intermittents du spectacle ?

Un regard nouveau. C’est extrêmement décevant selon moi, car ils ne font même plus semblant. Pendant longtemps, on sait bien qu’il y a eu des abandons bidon. Des gars qui abandonnaient mais ils avaient mal au genou, mal à la tête au moins… Tandis que là plus du tout. Caleb Ewan a quitté le Tour d’Italie par exemple parce qu’il a dit, je vais préparer le Tour de France. L’année dernière c’était Van Der Poel, le petit Poulidor qui a dit c’est fini [au bout d’une semaine de Tour]. Je l’ai poussé au ridicule dans ma nouvelle, en supposant qu’il voudrait revenir en en faisant une autre, ce qui n’est même pas imaginable. Mais oui c’est un peu étrange et un peu malsain car ça fausse un peu les premières étapes. Un gars qui vient, qui a du jus, et qui fait une première étape comme on fait Paris-Roubaix, à fond les manettes car il sait que le lendemain il va rentrer à la maison, il pénalise les 150 autres qui derrière ont dû subir l’accélération les coups de boutoir, et qui eux derrière ont encore deux semaines à se taper. Il me semble que la bonne logique voudrait qu’on prenne le départ dans l’idée d’arriver. Il y a suffisamment de chutes, suffisamment d’aléas, suffisamment d’emmerdements pour qu’on fasse confiance à la route pour qu’elle élimine quelque cycliste en route. Ce n’est pas l’esprit du Tour de France, sans jeter la pierre à personne, une course, il y a une ligne de départ et une ligne d’arrivée. On fait tout ce qu’on peut pour aller de l’une à l’autre, le mieux possible et le plus vite possible. Faut comprendre aussi que les enjeux d’une victoire d’étape pour les coureurs sont tels que cela peut amener à avoir une stratégie un peu complexe.

À suivre... 

Retrouvez ici la seconde partie de l’entretien, publiée avant le départ de la dixième étape du Tour 2022 Morzine-Megève.

Pour aller plus loin 

Une portion de la longue bibliographie d'ouvrages de Paul Fournel sur le cyclisme :
Peloton maison, Paris, Ed du Seuil, 2022
- Cartes du Tour, Londres, Rapha éditions, 2018
Anquetil tout seul, Paris, Ed du Seuil, 2009
Méli-vélo, Paris, Ed du Seuil, 2008
Besoin de vélo, Paris, Ed du Seuil, 2001
 
Et sur Gallica :
- Un billet-portrait du fonds Oulipo dans Gallica
- Une captation de la conférence Besoin de vélo à la BnF le 10 juin 2010
- L’ensemble des billets sur le Tour de France sur le blog de Gallica

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