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Tour de France 2022 de Gallica - Étape 10b : entretien avec Paul Fournel (2/2)

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12 juillet 2022

Dans la roue de quel autre écrivain se glisser afin de parcourir grand train les lieux du Tour de France, ses paysages, ses cartes ? En ce jour de deuxième étape alpine du Tour 2022, nous vous proposons la seconde partie d’un entretien avec l’auteur, cycliste et oulipien Paul Fournel ; entretien aussi rythmé qu’une traversée de la Bretagne à vélo et bien plus gourmand que le contenu d’une musette. 

Paul Fournel à la Bibliothèque nationale de France en 2010, lors de sa conférence « Besoin de vélo »

La première partie de l'entretien, publiée hier, est à retrouver via ce lien  

Dans Besoin de vélo, vous évoquiez la Bretagne, un territoire cycliste que vous ne connaissez que par les cartes : « un paysage que j’imagine ». Comment un cycliste passe-t-il de la carte au territoire ? 

En se rendant compte que le vent souffle. Ça a été ma surprise, je suis allé en Bretagne il y a deux ans. Je suis allé découvrir la Bretagne à vélo, et j’ai pris un gros coup de vent… C’est vrai que sur le papier la Bretagne c’est joli, ça monte, ça descend, ça fait des bosses et tout, et quand je m’y suis retrouvé, il y avait une telle différence entre vent de face et vent de dos, que j’ai découvert une autre façon de pédaler. C’était pas tout à fait la route et son gradient qui commandaient, c’était l’ennemi invisible. Pour faire le même trajet avec le vent de face ou avec le vent de dos, il n’y avait pas de commune mesure, d’un côté on avait l’impression de monter une interminable côte et de l’autre on avait l’impression de glisser dans la vallée de Nice. Donc c’est assez paradoxal, c’est ce que j’ai découvert, c’est ce qui m’a frappé sur mes chemins de Bretagne. Sinon c’est joli, c’est vert, il y a des bosses, ça redescend, c’est très animé, il y a des cyclistes, il y a aussi beaucoup beaucoup de touristes aux beaux jours et donc les routes sont un peu étroites… C’était à découvrir, j’étais content de le faire.

 

France nord-ouest. Normandie, Bretagne, Touraine, avec indications des routes vélocipédiques, éditions Lanée, 1893 ; détail Bretagne
BnF, département Cartes et plans, GE C-1752

 

Cela a encore un lien fort avec la notion de paysage, vous nous le disiez précédemment et vous l’écrivez dans Peloton maison : « Le Tour de France a depuis très longtemps banni de son tracé les paysages délabrés, les usines fumantes, les quartiers péri-urbains, les ruines récentes et toutes les laideurs du monde. Le Tour sera celui de la belle France ou ne sera pas. » En tant que cycliste, comment appréhendez-vous ces paysages ? Les beaux, les moches, les transformés pour l’occasion ?

En tant que cycliste, je pense qu’on éprouve aussi le paysage par son corps et par ses capacités. On ne l’éprouve pas que par ses yeux. Les yeux bien sûr sont au spectacle, mais il y a des paysages dans lesquels on est mieux que d’autres, on est mieux d’un point de vue cycliste. Moi je suis mieux dans la moyenne montagne que dans la très haute montagne. C’est certainement un problème de poids, la façon de brûler l’oxygène, tout ça, à coup sûr, l’âge venant, mais c’est vrai que mes paysages favoris sont les paysages de moyenne montagne. J’inclus là-dedans le Morvan, le Massif central, peut-être pas la partie où il y a le Puy Marie et le Puy de Sancy  qui dont vraiment des bosses très très dures, mais plutôt le revers est du Massif central, la Haute-Loire, l’Ardèche… ça c’est des paysages dans lesquels je me sens bien et donc je les aime, évidemment. Ce qui ne m’empêche pas d’aimer beaucoup l’Izoard et d’aimer la corniche du Soulor et le Tourmalet, mais quand même, il y a une sorte de complicité avec les paysages dans lesquels on pédale bien, où le climat est favorable, où on respire à son aise et tout ça. A titre personnel, étant le touriste le plus basique qu’on puisse imaginer, je n’ai pas d’obligation à aller courir dans des endroits où je n’ai pas envie d’être, donc personne ne me poussera à aller faire les pavés de Paris-Roubaix, personne ne m’obligera à aller courir des banlieues hostiles.

Paris-Roubaix 1932 : Marcel Bidot et Herbet Sieronski au pont de Courrières, [photographie de presse] / Agence Meurisse
BnF, département Estampes et photographie, EI-13 (2890)

 

Et en tant qu’écrivain, votre pratique du vélo influence-t-elle la façon dont vous décrivez les paysages dans vos romans et vos nouvelles ?

Oui, parce que je décris généralement des paysages que je connais et donc si je les connais c’est que je les ai pédalés, parce que je ne suis pas un gros randonneur, je n’aime pas le tourisme, donc je ne suis pas non plus un fanatique des sorties en voitures, donc c’est des endroits que j’ai plutôt pédalés dont je me sers.

On voit sur des photographiques accessibles dans Gallica des coureurs de Six jours qui mangent des huîtres. Or il y a une célèbre anecdote, que vous rapportez dans Anquetil tout seul, qui raconte qu’après avoir mangé des huîtres Anquetil « pédalait dans la choucroute ». Alors, huîtres ou pas huîtres pour les cyclistes ?

Ah moi je suis tout à fait huîtres pour les cyclistes. Je suis huîtres pour tout le monde, il n’y a pas de problème, choucroute aussi d’ailleurs. Je n’ai pas ces coquetteries alimentaires des cyclistes de haut vol qui comptent les grammes de feuilles de salade. Je n’en suis pas là, et grâce au ciel je suis plutôt vieille école. J’aimais bien voir les cyclistes autrefois qui mangeaient leur pilon de poulet et leur banane en pédalant, ça me faisait marrer, il y avait la banane qui dépassait du maillot, il y avait quelque chose de rigolo. Anquetil avec ses petits sandwichs, ses tartines de fromage blanc et de miel, il y avait ce côté un petit peu « nourritures terrestres » alors que maintenant on est dans les nourritures célestes, on voit vraiment, c’est un petit gramme par ci, un petit gramme par là. Par exemple, il se trouve que j’ai rencontré Guillaume Martin, le coureur français : il a fait récemment un stage très prolongé dans la région de l’Etna. Il y avait des photos avec des gâteaux, et il disait voilà mon régime, c’est ça, et c’était comme une sorte de libération, comme s’il transgressait une règle absolument intouchable. Il y a quelque chose d’un peu plus hédoniste dans ma pratique du vélo. Mais je me comprends bien… il me disait qu’à 200 grammes près de poids de corps, il sentait la différence dans les cols, ça me paraît un peu risqué, mais quand même... 
 

Le pistard belge Hubert Pagnoul, son assistant et ses huîtres, lors d'une course de six jours à Paris en 1923,  [photographie de presse] / [Agence Rol] 
BnF, département Estampes et photographie, EI-13 (998)
 

200 grammes ce n’est même pas un bidon…

Oui, c’est pour ça qu’ils s’en débarrassent, ils jouent vraiment à 200 grammes près, c’est impressionnant, ça fait très peur, il y a beaucoup d’anorexiques dans le peloton et c’est quand même un souci, quand on bouffe 8 000 calories dans une journée de haute montage avec quatre cols, il faut quand même en manger un peu. C’est pour ça que j’ai créé dans Peloton maison ce coureur à qui on conseille un régime, on lui demande de perdre de l’indice de masse corporelle, il dit « mais moi j’ai pas envie de faire du vélo si je suis aussi maigre que ça » et donc il préfère ne pas gagner, j’ai pensé à Thomas de Gendt qui a un moteur fabuleux, qui a des capacités incroyables et qui c’est sûr, s’il avait deux kilos de moins, il ferait sauter la baraque, mais voilà, il aime ça.

 

Le routier belge Gustave Vanslembrouck, maillot jaune sur le Tour 1926, travaillant son rapport poids/puissance dans les côtelettes, Le Miroir des sports du 30 juin 1926
 INSEP (Institut National du Sport de l'Expertise et de la Performance), 2013-54014
 

2022 marque (enfin) la reprise du Tour féminin. Vous parlez indifféremment de cyclistes hommes et femmes dans Peloton maison…

Moi je roule indifféremment avec les uns et les autres et mon Dieu, une fille ça cogne, je veux dire qu’alors là, en l’espace d’une dizaine d’années le peloton féminin est devenu incroyable et qu’il répond absolument aux mêmes règles que le peloton des hommes : elles ont la même façon de gagner, la même façon de perdre, la même façon de s’exploser les cuisses et la tête, donc c’est vraiment extra. Et je pense que c’est une très bonne idée de raviver le Tour de France féminin, que le public va venir et qu’elles finiront par gagner autant d’argent qu’elles le méritent, c’est-à-dire autant que les hommes, sinon plus. Et je suis très fanatique du cyclisme féminin, je suis les courses féminines avec autant d’assiduité que les courses masculines et il y a là des championnes, waouh , qui sont vraiment incroyables. Avant c’était Jeannie Longo et Maria Canins, et puis c’était tout, tandis que maintenant il y en a une vingtaine qui sont capables de gagner et qui embarquent le peloton à des moyennes absolument faramineuses.

Au-delà des coureuses actuelles, aviez-vous en tête certaines pionnière du cyclisme des premiers temps ? On peut penser à Marie Marvingt a qui a été refusée l’inscription au Tour en 1908 par exemple ?

Oui, il y a eu des exemples comme ça. Mais ce qui fait quand même la coureuse, la championne cycliste, c’est la course. Tant qu’il n’y a pas eu de courses véritablement organisées, structurées, sur le modèle des courses masculines ; et puis tant qu’on a cru que les femmes n’avaient pas assez de force… C’est quand même assez hallucinant, pendant très longtemps on a cru ça, aujourd’hui, ça c’est terminé- et il y a des courses, dès qu’il y a des courses il y a des coureurs. c’est la course qui fait le coureur, et donc dès qu’on a remis sur pieds [les courses]… les filles elles courent Paris-Roubaix, voilà, comme les garçons, il y a des pavés, elles y vont pareil et elles se tapent le derrière de la même façon et donc c’est ça qui fait le renouveau du cyclisme…Sinon autrefois il y avait toujours un côté un peu bête de foire, un peu curiosité, telle championne qui etc. fait telle ou telle chose. Elles faisaient des « exploits », ce n’était pas des courses, tandis que là maintenant ce sont des courses. Cela dégage une hiérarchie, ça dégage tout ce que la course dégage, c’est bien !

Pour finir hors du vélo, après celles de Perec et de Jacques Bens, les archives de l’Oulipo sont arrivées à la biblothèque de l'Arsenal. D’autres auteurs oulipiens ont suivi et suivent, dont vous-même. Que signifie pour vous faire don de vos archives à la BnF ?

Ça signifie rester avec les copains. Au-delà de la mort, même apparente ; au-delà de tout ça c’est être avec les copains et être dans un tout cohérent, qui est un tout qui a vécu ensemble, qui a travaillé ensemble, qui s’est trompé ensemble, qui a réussi ensemble. Voilà, là je suis bien, je suis content que mes archives y soient, avec celles de Noël Arnaud, avec celles de Jacques Bens, de Jacques Jouet ; ça me paraît cohérent. J’ai eu des propositions, aux Etats-Unis notamment, mais ce n’était pas les copains. Donc là, c’est vraiment dans cet esprit-là. Et puis dans l'esprit de proposer aux éventuels chercheurs, si un jour il y en a -peu importe- un ensemble le plus vaste et le plus cohérent possible. Donc, c’est vrai que ça rebondit, toutes ces archives elles rebondissent les unes sur les autres, c’est évident qu’on va trouver chez Braffort des trucs sur Calvino. Alors évidemment Calvino lui il a sa pièce entière à la bibliothèque nationale italienne, mais là nous on est nombreux maintenant à être là, il y en aussi quelques-uns qui sont à l’IMEC, comme Jean Lescure, mais pour l’essentiel on est là. Je ne sais pas ce que fera Marcel [Bénabou] de ses archives, mais en tout cas les archives de l’Oulipo, les archives de Bens, les archives de Jouet, de Noël Arnaud, de Paul Braffort, de Georges Perec... le fonds Perec bien évidemment qui est colossal…

C’est un beau peloton…

Il y a ce qu’il faut !

 

Propos recueillis à la BnF fin mai 2022, en plein Tour d'Italie. 

Pour aller plus loin 

Une portion de la longue bibliographie d'ouvrages de Paul Fournel sur le cyclisme :
Peloton maison, Paris, Ed du Seuil, 2022
- Cartes du Tour, Londres, Rapha éditions, 2018
Anquetil tout seul, Paris, Ed du Seuil, 2009
Méli-vélo, Paris, Ed du Seuil, 2008
Besoin de vélo, Paris, Ed du Seuil, 2001
 
Et sur Gallica :
- Un billet-portrait du fonds Oulipo dans Gallica
- Une captation de la conférence Besoin de vélo à la BnF le 10 juin 2010
- L’ensemble des billets sur le Tour de France sur le blog de Gallica

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