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Zoonoses ou les liaisons dangereuses : la crise de la vache folle

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La crise dite de la vache folle est une des  premières crises sanitaires médiatisées dans le secteur de l’alimentation. Dès 1986, l’Europe est en ébullition face au premier cas d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) identifié au Royaume-Uni. Quelque dix ans plus tard, les scientifiques avancent l’hypothèse d’une possible transmission de la maladie à l'Homme, sous la forme d’une variante de la maladie de  Creutzfeldt-Jakob. La consommation de produits carnés contaminés est mise en cause.

[Vache folle, Elf] : [dessin de presse] / Plantu. 2001

La maladie de l'encéphalopathie spongiforme bovine est une maladie infectieuse évolutive mortelle causée par l’accumulation d’une protéine anormale, le prion, ni virus, ni bactérie,  affectant le système nerveux central de certaines espèces animales (bovin, ovins, caprins…) et l’Homme. Deux souches, peuvent être distinguées, l’une survenant  chez les animaux suite à l’ingestion d’aliments contaminés par le prion, l’autre apparaissant spontanément au sein de toutes les populations bovines.

Genèse d’une crise historique

En 1986, la maladie apparaît au Royaume-Uni. Deux ans plus tard, en 1988, Kennton L. Morgan du Département de sciences cliniques vétérinaires et d’élevage de l’Université de Liverpool émet l'hypothèse que la maladie bovine résulte de l'ingestion de protéines d'origine ovine et tout particulièrement  de moutons atteints de tremblante, une maladie connue depuis 1732.

Tremblante. Le prurit. Une attitude. Source : Les ovins : zootechnie générale : hygiène, alimentation / Marcq Joseph. 1940

La même année, Stanley Prusiner, neurologue américain, considérant que l'agent des encéphalites spongiformes résiste à tous les destructeurs des virus, démontre que la responsable de ces maladies est une protéine normalement présente chez l'animal sain, mais devenant pathogène par simple modification de sa structure secondaire. Il la baptise Prion, anagramme de Proteinaceous Infectious particle. En 1997, il obtient le prix Nobel de physiologie pour ses travaux sur les prions.

[…] dans le cas de maladies dues à la diffusion brutale d’un virus jusqu’alors inconnu ou inactif, on retrouve presque toujours un déséquilibre écologique, l’homme modifiant l’environnement […]

Intervient alors l’épisode de l'hormone de croissance, un traitement hormonal découvert aux États-Unis à la fin des années 60 et administré, par injection, aux enfants de petite taille. Elle est extraite de l'hypophyse, petite glande située à la base du cerveau, de patients décédés. Or il s’avère que certains lots prélevés sont contaminés par une protéine, le prion, pourtant présente chez chaque individu mais ayant la particularité de pouvoir  se modifier et entraîner la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Très rapidement, des mesures sont prises en France telles que le remplacement de l'hormone de croissance par des hormones de synthèse, la contre-indication au don de sang par les personnes ayant séjourné en Angleterre…

La Revue du Trésor : législation, jurisprudence, administration. Août 2003

En juillet 1989, la Communauté économique européenne (CEE)  obtient que le Royaume-Uni cesse d’expédier vers d’autres États membres des bovins vivants de plus de six mois, ainsi que des bovins nés de femelles pour lesquelles l’ESB était suspectée ou avait été confirmée.
En France, aucun cas de vache folle n’est à cette époque encore signalé. Les scientifiques s’attendent à une arrivée prochaine de la maladie d’autant plus que l’importation d’abats (têtes entières, thymus, amygdales, moelle épinière, cervelles, rates et intestins) en provenance du Royaume-Uni n’est interdit qu’en février 1990. Effectivement, un an plus tard, le premier cas d'Encéphalopathie spongiforme bovine est détecté en France.
En mars 1996, Stephen Dorell, le secrétaire d’Etat à la Santé britannique, informe le public que dix personnes ont été atteintes par une nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Parmi ces personnes, huit sont décédées.
Cette même année, le gouvernement britannique annonce que la maladie peut franchir la barrière des espèces, et se transmettre à l'homme sous la forme d'une variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il affirme être alors prêt à abattre la totalité du cheptel bovin du pays, soit plus de 11 millions de bêtes.
Un embargo total de l'Europe sur toutes les viandes et dérivés venant de Grande-Bretagne est décidé. Des campagnes d'abattage en Grande-Bretagne et en France sont menées. Les chiffres des animaux abattus sont accablants : entre 1997 et 2001, environ 13 000 bovins sont abattus dans près de 6 000 fermes du Royaume-Uni et leurs  cadavres brûlés.
Fin 1999, et cela malgré l’opposition de la Commission européenne, il est décidé de maintenir un embargo sur les produits bovins britanniques. La maladie est signalée en Écosse, en Irlande, dans les îles de Jersey, Guernesey, Man...

On a beaucoup grossi cette affaire ! Dis-moi plutôt ce qu'on mange ce soir ! : [dessin de presse] / Plantu . 2000

En novembre 2000, Lionel Jospin, alors Premier ministre, présente un moratoire sur l’emploi des farines animales sans attendre l'avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA).
En mai, le Comité vétérinaire permanent de l’UE refuse de lever l’embargo sur les produits dérivés du bœuf d’outre-Manche, malgré les fortes pressions des Britanniques.

Les symptômes : démence et mouvements anarchiques

L’encéphalopathie spongiforme bovine appartient au groupe des encéphalopathies spongiformes transmissibles auquel appartient la maladie de Creutzfeld-Jakob.
Charles Pilet, membre correspondant de l'Académie des Sciences, Professeur à l'École nationale vétérinaire d'Alfort, précise dans un article intitulé Sur l'état actuel des connaissances concernant l'encéphalopathie spongiforme bovine (maladie des vaches folles) que l'archétype de ce groupe est la tremblante du mouton.
Mme Jeanne Brugère-Picoux, enseignante à l'École d'Alfort, avance, au cours d’une émission en avril 2000,  que des cas concernant les bovins avaient déjà été identifiés en 1883.

Les symptômes de cette affection n’apparaissent qu’après une période d’incubation de plusieurs années. La maladie se caractérise par des troubles nerveux touchant à la fois l’appareil sensitif et moteur, évoluant progressivement vers la mort de l’animal. Les éleveurs sont alertés par le comportement de l’animal qui devient craintif, avec des mouvements désordonnés, et réagissant dans certains cas violemment par des coups de pied.
L’équivalent chez l’homme est la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ), une pathologie neurodégénérative rare caractérisée par l’association de troubles psychiques (dépression grave, hallucinations, agitation, démence) et moteurs (mouvements anormaux, rigidité), évoluant en quelques mois vers la mort. Les lésions observées sont localisées dans le cerveau et forment des cavités au sein des neurones, d’où le caractère spongiforme de ces maladies. Le décès intervient en quinze mois en moyenne.

L’origine de la maladie : les farines animales

A partir de 1980, les procédés de fabrication des farines destinées à l'alimentation des bovins sont modifiés pour des raisons économiques.  L'utilisation mal maîtrisée et incontrôlée de celles-ci pour nourrir le bétail serait  à l'origine de la propagation des années 90.
Le 27 juin 1996, les recommandations du comité d'experts concernant les farines de viande et d'os destinées à l'alimentation animale font l’objet de mesures très strictes

[…] les herbivores d'élevage sont nourris avec des abats et des farines de viande, (ce qui les transforme en sortes de carnivores).

Alain Rérat, docteur vétérinaire, rappelle que cette technique alimentaire est utilisée depuis plus d'un siècle sans aucun inconvénient. Il précise que l'épidémie de "vache folle" est apparue, parce que ces farines de viande ne font pas l’objet d’une cuisson adaptée.

On ne doit pas interdire les farines de viande et d'os en alimentation animale pour de telles raisons, mais veiller à mieux les préparer.

Les immédiates conséquences économiques

Deux semaines après l’annonce de Stephen Dorell, alors ministre de l’agriculture du gouvernement de John Major, la demande de boeuf s’effondre d'environ 35% en France et de plus de 50 % en Allemagne. Parallèlement, les cours des bovins chutent de 12,3%.

Le livre de cuisine : la cuisine de ménage et la grande cuisine / Jules Gouffé ; [pl... dessinées... par E. Ronjat]. 1902

2001 restera une année noire pour les éleveurs de bovins qui vivent une seconde crise de la vache folle et une épizootie de fièvre aphteuse.
Malgré le dépistage obligatoire de l'ESB pour tous les bovins de plus de trente mois destinés à la consommation, la confiance des consommateurs n’est pas au rendez-vous.

Vers une prise de conscience des consommateurs

On assiste à la confrontation de deux univers.

Pour le scientifique, la vache a besoin de protéines et l'origine de la protéine n'a aucune importance symbolique.

Pour le consommateur, la vache est herbivore et les méthodes employées par l’agriculture laissent parfois sceptiques, voire choquent les esprits. L’article Vache folle, une vie de chien exprime tout à fait l’incompréhension qui s’installe.

Un bon petit veau / Benjamin Rabier . 1936

La maladie de la vache folle est emblématique du lien qui existe entre la production et la consommation, entre l’animal et l’homme. Frédéric Keck, directeur du laboratoire d’anthropologie sociale au CNRS, pense même que cette crise relève  d’une approche anthropologique.

Les consommateurs s’inquiètent de la qualité de leur alimentation. La confiance est en berne, le sujet suscite une hypersensibilité.
Une conséquence inattendue de l’exigence en matière de sécurité sanitaire est la place nouvellement occupée par les vétérinaires dans le champ social qui intègre dorénavant la protection humanitaire des animaux. Par ailleurs, dès 1976, se crée la Direction de la Qualité, puis la Direction générale de l'Alimentation en 1986. En 2002, les services vétérinaires seront déconcentrés du Ministère de l'Agriculture, afin de leur conférer une plus grande autonomie.

Responsabilité et environnement. Octobre 1996

Le 1er mars 2001, l'Observatoire national de l'agriculture biologique publie ses premières statistiques. Le constat est sans appel. Le nombre d'exploitations ayant recours à l’agriculture biologique croît de 12 %, passant de 9 260 en 2000 à 10400 l’année suivante. Fin 2001, 420 000 hectares sont cultivés en bio contre 370 000 fin 2000, soit une progression de 13 % en un an. Quant au cheptel bovin bio, il augmente de 30%. Le chiffre s’élève à 20%  en ce qui concerne le cheptel ovin bio.

C'est sans doute un effet vertueux du phénomène "vache folle".

On assiste alors à la montée spectaculaire du principe de précaution dans le domaine sanitaire. Il sera systématiquement invoqué pour justifier les mesures que prend l'administration pour gérer les crises de sécurité alimentaire. Le concept de traçabilité sera inventé et imposé pour la plupart des produits d’origine animale. 

Conclusion

La majorité des cas a été diagnostiquée entre 1997 et 2002. La France, en raison de la forte importation de dérivés bovins britanniques, a été le deuxième pays au monde le plus touché, avec un pic de fréquence en 2004.
Selon l'Organisation mondiale de la santé animale, le nombre de cas d’ESB dans le monde est tombé de près de 2.000 en l’an 2000 à six en 2015, dont quatre dans l'Union européenne.
En France, tous les bovins âgés de plus de quatre ans qui passent par l'équarrissage sont systématiquement testés pour l'ESB.
La crise de la vache folle a mis en évidence les dangers d’une modification artificielle des modes de fonctionnement de la nature.
Les dernières crises sanitaires - « vache folle », listériose, dioxine – font de la sécurité alimentaire des aliments une préoccupation majeure pour plus de 80 % de la population, dans un contexte de sûreté pourtant croissante des aliments consommés.
En France, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) accompagnée de l'Institut de veille sanitaire (InVS) et leurs homologues européens, coordonne depuis 1992, un réseau de surveillance épidémiologique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. 
Jusqu’à aujourd’hui, aucun traitement ne permet de modifier le cours de ces maladies.
 

Pour en savoir plus

Les billets de blog Gallica de la série Zoonoses ou les liaisons dangereuses
 

Pour aller plus loin

Maladies à prions / Maladie de Creutzfeldt-Jakob : une dégénérescence rapide du système nerveux central
Source : inserm.fr – 03/05/2021 (dernière mise à jour)

Quand l’homme, devenu fou, rend les vaches complètement folles
Source : franceinter.fr – 13/06/2017

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