Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

La mode anglomane au 18ème siècle

0
11 mars 2020

Dans le cadre du projet européen Digitens auquel collabore la BnF, portant sur les sociabilités britanniques au 18ème siècle, des marque-pages ont été édités à l'effigie des silhouettes de mode anglomane, échappées des pages du premier journal de mode français, le Magasin des modes nouvelles françaises et anglaises. Nous vous proposons de retracer ici la fureur anglomane qui s'est emparée du vestiaire parisien dans la deuxième moitié du 18ème siècle, et d'exposer ici quelques-unes de ses pièces maîtresses.

Les aristocrates anglais du 18ème siècle ayant le goût de la vie au grand air, amateurs de chasse à courre et autres sports, cependant adeptes d'une certaine austérité, opteront pour des vêtements en général moins encombrants, moins fragiles et plus confortables que ceux choisis alors par la même classe sociale en France, attaché aux fastes de la vie de cour.
La redingote des cavaliers, littéralement "riding-coat", franchit la Manche sous Louis XV; puis sous Louis XVI, le frac et le chapeau rond, empruntés aux classes laborieuses par la bonne société masculine anglaise, que l'on accuse de se vêtir à la façon des cochers.

On peut lire dans le Mercure de France de février 1726:

Depuis l'année passée les hommes portent beaucoup de redingotes; c'est une espèce de grand surtout boutonné par devant avec un collet et des ouvertures par derrière et aux cotés, dont l'origine vient d'Angleterre.

L'aspect rustique en est toutefois souligné, puisque la description s'achève sur le commentaire de bon sens suivant:
"C'est à la vérité un habit très propre pour monter à cheval et pour résister aux injures de l'air."

Un peu plus tard au cours du 18ème siècle, c'est par l'intermédiaire de Gravelot, un dessinateur français de retour au pays natal en 1754 après un séjour de vingt ans en Angleterre, qui diffusa une série d'estampes de mode, que les femmes françaises font connaissance avec la mantua, qui devient en France la robe à l'anglaise.

La robe à l'anglaise, en s'opposant à la robe à la française, répond au besoin d'une certaine simplicité, à un souci de dégager complétement la taille et marque l'une des premières offensives de ce qui deviendra l'anglomanie de la fin du siècle. Les paniers y sont abandonnés et remplacés par une tournure (canevas matelassés de crin). On peut lire dans l'essai des Frères Goncourt, La femme au XVIIIème siècle, au chapitre 8 consacré à "La beauté et la mode", le passage suivant:

"Vers 1780, une grande révolution s'accomplit dans la mode : la révolution de la simplicité..."

La mode féminine ne s'ingénie plus qu'à être simple. Elle ne fait plus travailler les couturières et les tailleuses que sur la mode masculine ou sur la mode anglaise, ses deux patrons de simplicité."

Cette anglomanie vestimentaire, premier degré d'imitation de l'anglomane, est décrite par Louis-Sébastien Mercier, dans un chapitre du Tableau de Paris, Tome 7 (1783), intitulé "Le fat à l'anglaise":
 

C'est aujourd'hui un ton parmi la jeunesse de copier l'Anglais dans son habillement. Le fils d'un financier, un jeune homme dit de famille, le garçon marchand prennent l'habit long, étroit, le chapeau sur la tête, les gros bas, la cravate bouffante, les gants, les cheveux courts et la badine. Cependant aucun d'eux n'a vu l'Angleterre et n'entend un mot d'Anglais."
 

La planche d'illustration ci-dessous, provenant du Magasin des modes nouvelles françaises et anglaises du 30 novembre 1786, semble corroborer à merveille la description faite par Louis-Sébastien Mercier. Tout comme lui, l'éditorialiste nous met en garde de nous en tenir seulement à l'habit, et de ne pas aller jusqu'à imiter l'attitude anglaise; un certain air de fatuité est ce qu'il faut bien se garder de prendre en modèle chez les Britanniques:
 

 

Le Magasin des modes françaises et anglaises succéda fin 1786 au Cabinet des modes, première revue de mode française à périodicité régulière lancée par le journaliste Lebrun-Tossa fin novembre 1785. Ce changement de titre accompagnait un changement de format et de périodicité; par ailleurs, il rendait la courtoisie à ses confrères d'Outre-Manche, en laissant place à chaque livraison à une planche illustrée et décrite dédiée à la mode anglaise : en effet, l'année précédente, The Fashionable Magazine citait largement le Cabinet des modes comme une source d'inspiration, et intégrèrent parmi leurs pages, quelques planches de celui-ci:
In France, where the fashions are still more transient than with us, it has been found advantageous to publish twice in every month a little work on that subject only, which is delivered by subscription, and sold for two shillings each number, in London...The French cabinet des modes has made it's way into all parts of Europe, and the English Fashionable Magazine bids fair to become still more popular.

Le Cabinet des Modes étaient distribuées dans toutes les grandes capitales d'Europe et ce jusqu'en Russie: en inventant le magazine de mode, il se substituait ainsi à la poupée habillée grandeur nature à la dernière mode de Paris, qui était envoyée aux quatre coins de l'Europe, comme en atteste là aussi Louis-Sébastien Mercier dans les Tableaux de Paris, Tome 2, à l'article "Les marchandes de modes":

L'avantage de ces fascicules de mode, largement diffusables, sur la poupée de mode encombrante et coûteuse, Lebrun-Tossa put vite le mesurer avec le succès rencontré par son magazine (Cabinet des modes du 15 novembre 1785)

Dans un échange de bons procédés avec The Fashionable Magazine, le Cabinet des modes du 1er novembre 1785 annonce sa parution à venir sous son nouveau titre "Le magasin des modes nouvelles françaises et anglaises" et le contenu idoine:

Non seulement des articles de mode seront repris et traduits du magazine anglais, mais des planches illustrées seront  dessinées par un "correspondant spécial":

un Dessinateur habile, entretenu à grands frais à Londres, est chargé de ne nous laisser ignorer aucune des Modes nouvelles qui auraient échappées au Journaliste Anglais.

Si grande que soit la quantité de redingotes, autrement dit, des robes Franco-Anglomanes, que nous avons données, il faut pourtant que nous en donnions encore. Nos Dames n'ont presque plus d'autres habillements. (seconde année, n°7)

 


L'objectif du projet DIGITENS est de construire un cadre afin de mieux appréhender les interactions, les tensions, les limites et les paradoxes propres aux modèles européens de sociabilité et d’étudier la question relative à l'émergence et la formation des modèles européens de sociabilité tout au long du XVIIIe siècle. Il s’agit d’un projet européen RISE (Research and Innovation Staff Exchange) piloté par le laboratoire HCTI (Héritages et Constructions dans le Texte et l’Image) de l’Université de Bretagne occidentale basée à Brest qui rassemble 11 partenaires originaires de France, de Pologne, du Royaume-Uni et du Canada.

Les résultats de cette recherche collaborative, internationale et intersectorielle sera la mise en ligne de la première Encyclopédie numérique à accès ouvert de la sociabilité en Grande-Bretagne au siècle des Lumières. Cette encyclopédie numérique comportera une anthologie historique de sources textuelles ou iconographiques et proposera à un large public une cartographie des savoirs. Pour cela, des échanges de chercheurs entre les différentes institutions partenaires (The National Archives, Warwick University, Greiswald University, Kazimierz Wileki University, MacGill University, BnF) sont prévus.
Le projet DIGITENS est financé par le programme cadre de recherche et innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (accord de subvention n°823863).

 

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.