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Ecouter la parole des paysans haïtiens

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11 janvier 2022

Dans leur série documentaire "Paysans...silences à voix basses" tournée entre 1979 et 1981, les réalisateurs Gérald et Paule Belkin se tiennent au plus près des paysans d’Haïti dont ils ont recueilli la parole. Huit films restaurés dans les studios de la BnF en 2020.

Jean Fichter, Construction d'une "kay", maison traditionnelle paysanne à Changieux, 1980

Quand la vidéo dialogue avec l’agronomie

Dans les années 80, la pratique de la vidéo est en plein essor. Le monde universitaire, en particulier, y voit une technique mobile et légère permettant d’enregistrer, documenter et garder trace des observations de terrain. Si l’ethnologie est une discipline pionnière en la matière, la série Paysans… silences à voix basses de Gérald et Paule Belkin illustre tout l’intérêt de ce nouveau médium pour un domaine tel que l’agronomie.

Cette collection de huit films, tournés entre 1979 et 1981, est constituée de conversations enregistrées sur le vif entre des paysans du sud d’Haïti et les équipes d'agronomes du centre de Madian-Salagnac. Huit séquences d'une cinquantaine de minutes, aboutissement de deux années de recherche sur la crise des agrosystèmes.

L’expérience des centres de Madian-Salagnac

Créé dans les années 70 par des missionnaires, le centre de Madian avait à l’origine une mission de développement communautaire chrétien au sein des populations rurales semblable à celle exposée cinquante ans plus tôt dans le livret de Léon Bonnaud Dans les montagnes d'Haïti :

Fondé en 1977, le centre de Salagnac s’est donné pour nouvel objectif d'associer les paysans aux processus de développement de la région, principalement dans le domaine agricole. Un siècle plus tôt, dans son livre Une année au ministère de l'agriculture et de l'intérieur, le Président de la république haïtien François Denys Légitime, après avoir vanté « la supériorité de notre sol, la variété et l'abondance de nos produits » (p.116) constatait que

La prospérité d'une nation ne dépend que de l'agriculture

À rebours des experts en développement de l’époque, les agronomes participants au projet du centre de Salagnac attachent une grande importance à la compréhension et à la mise en évidence de la rationalité des savoirs traditionnels des paysans haïtiens. Convaincus que leurs recherches ne seront efficaces qu'en s'appuyant sur les connaissances des paysans, ils décident de les filmer. Gérald Belkin, dans un entretien avec Yvonne Mignot-Lefebvre, explique l’origine du projet vidéo ainsi :

Les agronomes qui savaient bien la richesse d'expériences et d'expression de paysans ont voulu faire faire quelque chose qui rendrait [...] la mesure des faits et des gens.

Filmer les paysans sans être agronomes

Si les réalisateurs Gérald et Paule Belkin ne sont ni chercheurs ni agronomes, leurs parcours en faisaient les personnes idéales pour fixer en caméra légère les témoignages des paysans haïtiens.
Gérald Belkin, né en 1940, a débuté dans le cinéma dans les années 60 comme assistant de production. Il a réalisé plusieurs films reconnus, en particulier trois collaborations avec le compositeur Pierre Henry, dont Fait à Coaraze (1964) qui a remporté le Prix Jean Vigo et le Prix Antonin Artaud en 1965. Son épouse, Paule Halna du Fretay, est issue d'une grande famille agrarienne. Un couple de vidéastes est né.
Dans les années 70, soutenus par l’Institut d'Action culturelle pour le Développement (ICAD), Gérald et Paule Belkin effectuent un premier voyage en Tanzanie où ils observent le collectivisme dans trois villages ujamaa. Après deux ans d'enquête, ils rapportent des centaines d'heures d'images en France rassemblées sur le titre Tanzania Year 16 (TY 16).
Pour Haïti, tous deux sont sollicités par Henri Rouillé d’Orfeuil, conseiller agricole au Ministère des Relations extérieures, auteur du livre Le tiers monde paru aux éditions La Découverte.

Des méthodes de tournage originales

Pendant toute la durée de leur présence en Haïti, Gérald et Paule Belkin se sont fondus dans le pays, logeant chez l’habitant, apprenant le créole pour l’occasion. Les films seront ainsi tournés en créole puis doublés en plusieurs versions, transcrits et assortis de textes d'accompagnement.
Filmés dans trois zones de montagnes, les enregistrements proprement dits se font en équipe réduite : pas plus de deux ou trois personnes. Les entretiens bénéficient de la présence au long cours des agronomes du Centre de Salagnac et de la confiance qui s’est instaurée avec les paysans.
Les durées des films sont variables car, pour Gérald Belkin :

La forme est déterminée par les gestes, les rythmes de cheminement des discours.

Il revendique de tourner au jour le jour, « dans la foulée de la vie des gens, sans imposer les sujets ». Au-delà de leur fonction pédagogique, les séquences « communiquent en même temps un contenu d'idées et une présence du temps vécu » (Gérald Belkin).
Le matériel tourné par Gérald et Paule Belkin en Haïti va bien au-delà des huit films présentés dans la série Paysans… silences à voix basse. L’ensemble de ces films, ainsi que les films tournés en Tanzanie et les archives imprimées afférentes, ont fait l’objet d’un don à la BnF par leurs enfants Aurore et Kostia. Le fonds est décrit dans la base Archives et manuscrits de la BnF et sera accessible dans son intégralité sur Gallica à l'issue du processus de numérisation.

Synopsis des films

Les huit films de la série Paysans… silences à voix basses sont disponibles sur Gallica en versions française, créole et anglaise. Ils sont indépendants les uns des autres et peuvent être visionnés dans l'ordre souhaité.

Conversation avec Daniel Alestor (1980, 45 min)
Daniel Alestor, jeune paysan sans terre, évoque ses contraintes pour constituer un capital, réunir des moyens de production, gérer ses activités agricoles et faire face à l’avenir.

En version originale créole :

Doublé en français :

Doublé en anglais :

Un pays d'abeilles (1981, 38 min)
Gillus Désir, paysan de Moneyron, expose sa vision de l'histoire agricole de sa région et se place ainsi en position d’auto-observation, caractéristique de l’approche de recherche-formation suscitée par le centre de Salagnac.
En version originale créole :

Doublé en français :

Doublé en anglais :

La consultation (1980, 62 min)
La consultation complète dispensée par Titok, agriculteur, guérisseur et modeste « hougan » vaudou dans sa communauté paysanne.

En version originale créole :

Doublé en français :

Doublé en anglais :

Saint Jules dans son jardin d'ignames (1980, 57 min)
Saint Jules Clocy, agriculteur, explique l’organisation de son jardin et la place de la culture d'ignames dans les associations de culture, illustrant ainsi le décalage entre la plupart des interventions en Haïti et les logiques paysannes.
En version originale créole :

Doublé en français :

Doublé en anglais :

Chaque époque a sa façon de travailler (1980, 40 min)
Des paysans de trois zones différentes participent à un stage qui réunit paysans, chercheurs et étudiants, l’un des aspects les plus originaux du projet de recherche-développement de Salagnac.
En version originale créole :

Doublé en français :

Doublé en anglais :

Conversation avec l'agronome Luc (1980, 40 min)
L'agronome haïtien Luc Pierre-Jean présente l'élevage porcin en Haïti et illustre le type de formation pratiquée par l'équipe de Salagnac afin d'observer et d'analyser les réalités paysannes.
En version originale créole :

Doublé en français :

Doublé en anglais :

Souvenance (1980, 13 min)
À travers certains évènements de la vie de son père agriculteur, Saint Jules Clocy évoque la façon dont la crise agraire peut bouleverser l’univers d’une famille.
En version originale créole :

Doublé en français :

Doublé en anglais :

Octobre (1979, 52 min)
Un groupe de travail de six femmes sèment un champ de haricots et échangent au sujet de leurs préoccupations quotidiennes, caractéristiques de la crise aigüe de leur société agraire.

En version originale créole :

Doublé en français :

Doublé en anglais :

De ces huit films émane un grand respect porté au paysan haïtien, tant par les vidéastes que par les agronomes qui interviennent à l’écran. Leur attention portée à l’autre, à ses connaissances, à son expérience, ainsi que leur absence de préjugés, confèrent aux films une grande modernité qui aujourd’hui dépasse largement les seules recherches des centres de Madian-Salagnac. Gérald Belkin le revendique :

Notre action militante, c'est pour que les paysans puissent s'expliquer - s'exprimer - alors que dans le monde il existe comme une conspiration de silence à leur égard.

La restauration de la BnF

Les huit films de la série "Paysans... silences à voix basses" ont été restaurés en 2020 dans les studios de la Bibliothèque nationale de France par Gérald Robin. Le projet a été conduit par Danielle Maricar.
La restauration, effectuée à partir des éléments master sur cassettes U-matic, a principalement porté sur les images : suppression des drops, recadrage, réparation des instabilités. Elle vise à restituer ces vidéos au plus près de leur état d'origine.
Retrouvez sur notre page dédiée toutes les restaurations vidéo de la BnF.

Nos remerciements à Kostia Belkin, Aurore Belkin, Adeline Bouvard, Ariane Degroote et Jean Fichter.

Pour aller plus loin

Photographies de Jean Fichter :

  • Gaguère sur le plateau de Salagnac, 1979 / BnF, Estampes et photographie.
  • Construction d'une "kay", maison traditionnelle paysanne à Changieux, 1980 / BnF, Estampes et photographie.

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