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Représenter le vivant à la fin du XVe siècle : l’Hortus Sanitatis ou Jardin de Santé

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Parmi les succès de l’imprimerie à la fin du XVe siècle figurent des herbiers. Ceux-ci décrivent les plantes connues à l’époque et leur utilisation médicale, et sont illustrés de gravures sur bois, parfois mises en couleur à la main comme l’Hortus Sanitatis paru en 1491.

Jean de Cuba, Ortus Sanitatis, Des herbes et des plantes, 1497

Le Moyen Âge nous a laissé de nombreux manuscrits d’histoire naturelle, de botanique médicale et de médecine. L’auteur le plus connu reste Dioscoride, qui décrit l’utilisation médicale de centaines de plantes. Le premier herbier illustré imprimé est, en 1481, une impression de l’herbier du Pseudo-Apulée, œuvre remontant au IVe siècle. En 1484, Peter Schöffer, ancien apprenti de Gutenberg, fait paraître à Mayence un Herbarius en latin, illustré de gravures sur bois et compilant des sources médiévales (ici dans une édition de 1485). Son auteur est vraisemblablement Jean de Cuba (en allemand Johannes Wonnecke von Kaub), médecin de Francfort.
Les deux hommes réitèrent en 1485 avec la parution du Gart der Gesundheit, écrit en allemand et non en latin comme la majorité de la production scientifique de l’époque. L’ouvrage est commandité par Bernhard von Breydenbach, ecclésiastique de Mayence et auteur d’un récit de voyage en Terre Sainte illustré par Erhard Reuwich, lui-même auteur supposé des planches du Gart der Gesundheit. Ce dernier s’inspire du Buch der Natur de Conrad de Megenberg, du De virtutibus herbarum de Macer Floridus et de plusieurs compilateurs médiévaux. L’ouvrage est réédité plusieurs fois dans les années suivantes à Augsbourg, Bâle, Strasbourg et Ulm.


Mandragore mâle et Mandragore femelle, Jean de Cuba, Ortus Sanitatis, Jacob Meydenbach, 1491. BIU Santé

En 1491 paraît à Mayence l’Hortus Sanitatis, communément attribuée à Jean de Cuba, sous les presses de Jacob Meydenbach qui en assure le financement, les fontes (caractères d’imprimerie), l’illustration et la mise en couleur. Il ne s’agit pas d’une simple traduction du Gart der Gesundheit mais d’une refonte complète de ce livre, largement augmentée et puisant aux mêmes sources. L’Hortus Sanitatis est une œuvre d’histoire naturelle et de médecine. Elle s’inscrit dans la tradition encyclopédique médiévale en proposant une représentation du monde naturel dans sa globalité tout en renseignant le lecteur sur la manière de tirer les remèdes que la providence divine y a dispensés. Elle appartient en cela à un genre de littérature médicale apparu au XIIIe siècle et qui connaît son apogée au XVe siècle : le régime de santé (« regimen sanitatis »). Elle apparait cependant davantage comme une œuvre de compilateur et d’éditeur intégrant les textes de l’Antiquité grecque et romaine. En effet, son contenu emprunte largement à trois grandes encyclopédies antérieures : le Speculum naturale de Vincent de Beauvais, les Pandectes de Matthieu Silvaticus et le De animalibus d’Albert le Grand.


Narcisse, Jean de Cuba, Ortus Sanitatis, 1491. BIU Santé

A la différence du Gart der Gesundheit, l’Hortus Sanitatis est une œuvre plus ambitieuse dans la mesure où elle décrit non seulement les végétaux, mais également les animaux et les minéraux, le tout divisé en différents « livres » : les plantes, les animaux terrestres, les poissons, les oiseaux et les pierres. Elle se clôt par un traité des urines remaniant le Tractatus de urinariis indiciis de Bartholomeo de Montagnana. A une époque où la pratique médicale est encore largement concentrée dans les monastères, l’ouvrage est destiné dans un premier temps à une population érudite et spécialisée. Pour la forme, il est largement redevable à l’édition strasbourgeoise du Gart der Gesundheit publiée par Grüninger en 1485-1486.

Si l’Hortus Sanitatis n’innove pas particulièrement par ses textes, citations d’œuvres elles-mêmes déjà compilées, il n’en reste pas moins un travail remarquable par sa richesse iconographique : 1 066 bois gravés et coloriés attribués à des artistes de renom tels Hans Baldung Grien, Urs Graf ou Hans Wechtlin. De plus, chaque livre s’ouvre par une enluminure pleine page illustrant le thème du traité. Si l’intention première est de représenter le monde « au naturel », ainsi que s’y engage l’auteur dans son prologue, il faut se replacer dans le contexte de la tradition iconographique de la fin du Moyen Âge et ainsi se détacher de toute notion de réalisme. Certaines plantes et animaux apparaissent de manière très schématisée, car outre l’observation de la nature, l’image est employée à des fins mnémotechniques : on insiste sur un ou deux détails caractéristiques du sujet représenté afin de faciliter le travail d’identification et de mémorisation, comme la salamandre ou le phénix dans leur brasier.


Traité des animaux terrestres, Jean de Cuba, Ortus Sanitatis, 1491. BIU Santé

La présence de créatures fantastiques comme la sirène ou la licorne ne doit pas étonner. En effet, les gens du Moyen Âge croient autant à l’existence du lion qu’à celle du dragon, sans avoir vu jamais l’un ou l’autre, car l’autorité des auteurs reconnus prime, or ceux-ci décrivent de telles créatures.
Un autre paramètre entre en compte dans l’iconographie : la représentation de l’invisible et du monde divin, où l’animal est un trait d’union entre l’homme et la création. En cela, l’Hortus Sanitatis ne se veut pas simple manuel de santé mais ambitionne de donner un sens spirituel à la préservation de la santé du corps.
Après l’édition de Mayence, une deuxième édition paraît en 1497 chez Johann Prüss à Strasbourg puis viennent les traductions française, allemande, néerlandaise et anglaise au XVIe siècle, signe de son succès. Ces éditions adoptent les polices de caractères et la mise en forme mises au point par les humanistes ou reproduisent celles utilisées au début de l’imprimerie.


Traité des pierres, dans Jean de Cuba, Ortus Sanitatis, Mayence, Jacob Meydenbach, 1491. BIU Santé

L’Hortus Sanitatis ouvre la voie aux grands traités de sciences naturelles du XVIe siècle, tels que de le De historia stirpium de Leonhart Fuchs (1542), où l’on peut par ailleurs constater l’évolution notable des techniques employées pour l’illustration botanique : respect des proportions, illusion du volume et finesse du dessin.

Pour aller plus loin :
- Hortus sanitatis : Livre IV, Les Poissons, Université de Caen
- "L’Hortus sanitatis", Kentron, n°29, 2013, Presses universitaires de Caen. En ligne.
- Brigitte Gauvin, Catherine Jacquemard, Marie-Agnès Lucas-Avenel, "L’Hortus sanitatis : transmission et réorganisation de la matière encyclopédique au xve siècle", Revue d'histoire des textes, vol 7, 2012, Brepols p. 353-369. En ligne
- le blog de la BIU Santé

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