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Catherine Duchemin et les sœurs Boulogne : être ou ne pas être artiste ?

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10 juillet 2020

Être ou ne pas être artiste, telle est la question que nous posent les premières académiciennes. Pour une femme, franchir pour la première fois les portes de l’Académie jusqu’ici exclusivement réservée aux hommes relève d’un véritable défi tant leur accession au statut d’artiste à part entière est loin d’être gagnée.
 

 
Catherine Duchemin : la première académicienne

Sur ordre du pouvoir royal qui souhaite « répandre ses grâces sans distinction de sexe », l’Académie finit par accepter la présence des femmes à condition qu’elles soient sœur, fille ou épouse d’académiciens. Catherine Duchemin (1630-1698) est l’épouse du sculpteur Girardon. Présentée par Testelin, sous les auspices de Charles Lebrun, elle devient en 1663 la première académicienne avec comme morceau de réception Un panier de fleurs posé sur une table et obtient ainsi la reconnaissance « pour l’excellence de ses tableaux de fleurs et de fruits ».

Ce sujet de peinture classé dans la catégorie la plus basse de la hiérarchie des genres laisse deviner la frileuse adhésion des académiciens à admettre les femmes dans leur confrérie en limitant d’emblée leur contribution artistique aux genres jugés les moins nobles. En effet, au sein de l’institution, les femmes, rappelons-le ne bénéficient pas des mêmes conditions et privilèges que les hommes. Interdiction leur est faite, notamment, d’assister aux cours de modèles vivants, ainsi qu’aux conférences sur l’anatomie, la géométrie et la perspective.

 

 
Doutes, poncifs et préjugés s’énoncent dans ce court extrait sur la valeur de la première académicienne et la question ainsi posée : « Catherine Duchemin fut-elle reçue académicienne pour son génie ou pour sa vertu ? » dénote la force des idées reçues quant aux talents des femmes. Très peu d’œuvres de cette artiste ont traversé le temps, cependant son admission à l’Académie sert de faire valoir à ses qualités de peintre qui furent sans doute exceptionnelles. Le musée de Troyes, qui conserve deux de ses tableaux, considérés comme les plus beaux joyaux de sa collection, mentionne néanmoins qu’ils furent d’abord attribués à deux autres peintres malgré la signature C. G. (pour Catherine Girardon) ; une méprise coutumière pour les femmes artistes.
 
 
Mais nous ne saurons jamais ce qu’a pu éprouver Catherine Duchemin, isolée au milieu de cette confrérie masculine, lorsqu’elle a dû se résoudre à renoncer à son art. L’épouse de Girardon, mère de six enfants cesse en effet toute activité artistique pour se consacrer entièrement à la charge de sa famille, offrant ainsi un modèle édifiant de sacrifice vertueux :
 
 
Sans doute est-ce en raison de son statut de première académicienne que le nom de Catherine Duchemin apparaît, suivi d’une courte mention élogieuse, dans les principaux dictionnaires biographiques du XVIIIe siècle comme le Dictionnaire des artistes de l’Abbé de Fontenai ou encore le Dictionnaire portatif des femmes célèbres de Jean François de la Croix, avant de tomber da s l’oubli. Par la suite, les notations la concernant se font plus rares et s’avèrent, du reste parfois inexactes comme dans le texte exalté de P. Eugène Simon dédié À la femme, qui présente un inventaire des premières femmes artistes et où son nom figure dans la rubrique des sculpteurs ! 
 
Que dire encore de la mention de Catherine Duchemin en fin de notice concernant son époux dans la Biographie universelle des hommes qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes ; malgré le renvoi à « voyez ce nom » aucune notice biographique ne lui est consacrée !

 

Quoiqu’il en soit, cette première réception d’une femme à l’Académie revêt une importance extrême, au-delà de la personne même de Catherine Duchemin, parce qu’elle a créé un précédent qui a rendu plus difficile tout retour en arrière.
 
 

Geneviève et Madeleine Boullogne : de surprenantes compositions !

Les sœurs Geneviève (1645-1708) et Madeleine (ou Magdelaine) (1646-1710) Boullogne (aussi orthographié Boulogne ou Boullongne), issues d’une famille d’artistes, sont admises en 1669 sur présentation de leur père Louis 1er, l’un des membres fondateurs de l’Académie, devançant ainsi leurs frères Bon, reçu en 1677 et Louis, reçu en 1681. Les deux sœurs élues deviennent les deuxième et troisième académiciennes :
 
 
Michel Faré, dans Le grand siècle de la nature morte en France, attribue cependant à chacune d’elles un tableau de réception différent : « Geneviève avec une toile représentant un grand vase rempli de fleurs et un tapis de damas, Madeleine avec une tige de pavot et quelques feuillages de chardons ».
 
Dans le corpus des œuvres des sœurs Boullogne qui reste cependant très réduit, entre quelques natures mortes et peintures de paysage, se détache un ensemble surprenant de huit dessus de porte représentant des trophées des arts et des sciences réalisés par Madeleine Boullogne pour l’antichambre du grand Couvert et pour le salon des Nobles de la reine à Versailles. Six d’entre eux furent présentés au Salon organisé par l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1673. Une étude récente analyse la savante composition des tableaux, preuve d’une incontestable maîtrise, et en précise l’histoire ; ainsi, les quatre dessus de porte du salon des Nobles attribuées à Alexandre-François Desportes (1161-1743) suite aux déplacements successifs des œuvres, sont rendus à leur véritable auteur grâce à la description détaillée donnée par le peintre Nicolas Bailly dans son inventaire des tableaux du roi au château de Versailles en 1709 :
 
 
La grande encyclopédie précise que les peintures sont payées « aux filles du sieur Boulogne » pour un travail en commun comme celui de la Grande Galerie du Louvre. Toutefois les peintures restent attribuées à Madeleine car il semble que sa sœur ne se trouvait pas à Paris au moment de leur exécution.
 
 
Demeurant rue Saint Honoré à Paris avec son frère Bon et restée célibataire, Madeleine mène une vie austère et fréquente assidûment l’abbaye de Port-Royal-des-Champs :
 
 
Ces deux miniatures de l’Abbaye exécutées d’après Madeleine illustrent deux aspects de la vie monastique qui attirait Mademoiselle Boulogne très respectée pour sa grande piété et la qualité de ses peintures religieuses :
 
 

Le Mercure de France nous livre une dernière trace de l’art de Madeleine Boulogne à travers quinze « gouaches d’une charmante ingénuité » représentant l’Abbaye de Port Royal et la vie des solitaires :
 

 
Geneviève Boullogne épouse l’ami de son frère Bon, Jean-Jacques Clérion, sculpteur du roi Louis XIV. Il existe très peu de sources concernant Geneviève dont l’œuvre se confond avec celle de sa sœur Madeleine.
 

 
Au terme de notre enquête, les données recueillies sur ces premières académiciennes restent relativement parcellaires. Se dessine déjà la difficulté de prétendre à une expression artistique pour les femmes hors d’un cadre masculin tutélaire posant en quelque sorte une garantie sur le bien-fondé de leur admission. L’absence de sources précises contribue à entretenir un mystère sur leurs motivations profondes, entre renoncement et abnégation. Oubliées par l’histoire, leur image s’efface dans l’ombre d’un époux célèbre ou dans les profondeurs austères d’un cloître, malgré nos tentatives de ranimer leur souvenir.
 
Notre prochain billet poursuivra sa quête sur les femmes élues à l’Académie avec Elisabeth Chéron.
 

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