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Pour ou contre la vaccination ? Polémiques actuelles et débats du passé

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La course à la vaccination que nous vivons s’accompagne d’inquiétudes et de résistances. Mais si le nouveau vaccin contre le COVID19 fait effectivement débat, les arguments mobilisés contre l’immunisation préventive n’ont rien d’inédit et remontent en fait aux origines de la pratique vaccinale.

"The Cow - Pock - or - the Wonderful Effects of the New Inoculation!", Anti Vaccine Society.

Pfizer, Moderna ou encore AstraZeneca… En une année seulement, les scientifiques sont parvenus à mettre au point un vaccin visant à enrayer la pandémie de COVID19. Cependant, alors que les campagnes de vaccination s’accélèrent à l’échelle mondiale, plusieurs études comparatives - notamment les sondages Ipsos réalisés depuis décembre dernier auprès de quinze pays - mettent au jour les réticences des populations à l’égard de ce nouveau préventif contre le virus. Ainsi, malgré une augmentation des intentions de vaccination au cours de ces dernières semaines, la France demeure parmi les pays les plus réfractaires (41% des citoyens interrogés déclarant ne pas souhaiter se faire vacciner contre le COVID19). Les Français seraient-ils donc particulièrement rétifs à la pratique vaccinale ou bien cette défiance est-elle spécifique à l’immunisation contre le coronavirus ? Une enquête dans la presse ancienne numérisée via Gallica démontre que ce désamour pour la « vaccine », loin d’être nouveau, naît en fait avec la médiatisation des premières inoculations, au XVIIIe siècle. Car si Internet, et notamment les réseaux sociaux, exacerbent la méfiance et les doutes des « vaccinophobes » en diffusant massivement les rumeurs et les croyances les plus fantaisistes, le journal était déjà un instrument de sélection et de dissémination des discours sur cette pratique. Ainsi, plusieurs justifications, au cœur de la polémique actuelle sur la vaccination, trouvent leurs sources il y a plusieurs siècles, aux origines de l’immunisation préventive. Parmi ces nombreuses vaticinations sur la vaccination, voici trois arguments qui traversent les époques et les supports médiatiques, sans prendre une ride.

  

Le vaccin est dangereux : effets secondaires, maladies graves et manque de recul

 
La première raison évoquée par les Français opposés à la vaccination contre le coronavirus concerne la crainte de développer d’éventuels effets secondaires. Or cette inquiétude est inhérente à la pratique vaccinale. En effet, dès 1796, lorsqu’Edouard Jenner, médecin de campagne anglais, invente la vaccination, l’opinion publique redoute particulièrement la survenue de sensations indésirables. La technique que propose Jenner consiste à injecter à un enfant la variola vaccina (ou variole des vaches, ce qui donnera son nom à la vaccination) inoffensive et non contagieuse pour l’homme, de sorte à le préserver de la variole humaine. Cette méthode remplace l’inoculation (ou variolisation), plus risquée et approximative, qui visait à infecter volontairement un sujet sain en lui administrant une forme peu dangereuse de la variole humaine.
 

 Ainsi dès cet épisode, les effets secondaires inquiètent : la transmission du pus variolique provenant d’un animal engendre de nombreux fantasmes que les caricaturistes du XIXe siècle ne manquent pas de mettre en images. La crainte d’être contaminé par les fluides bovins, de développer des maladies jusqu’alors réservées aux bêtes ou bien de se transformer en vache circule alors dans la presse mais finit par s’éteindre car elle ne repose sur aucun symptôme réel. Aujourd’hui encore, la peur des effets secondaires les plus extravagants, particulièrement vivace malgré les progrès hygiéniques, est esquissée par les dessinateurs de presse, véritables catalyseurs de l’appréhension des populations.

 
Outre ces symptômes latéraux et les doutes quant à l’innocuité du vaccin, le manque de recul fait partie des arguments souvent mobilisés par les antivax. Si la célérité des essais cliniques et la nouveauté du vaccin expliquent en partie cette inquiétude dans le cas du COVID, nous pouvons en fait constater que celle-ci était déjà d’actualité au XIXe siècle. En effet, à partir des années 1850, plusieurs études suggèrent que le vaccin se contenterait de déplacer la maladie à l’âge adulte et serait ainsi responsable de nombreux maux qui n’apparaîtraient que tardivement et dont on ne pourrait pas se rendre compte tout de suite. La vaccine provoquerait alors une dégénérescence collective en plus d’être en cause, à l’échelle individuelle, lorsque se produisent des accidents vaccinaux.

La vaccine a déplacé la variole. Dans tous les temps et dans tous les lieux, a dit M. Hector CARNOT, l'agent de la variole a toujours eu « deux modes d'action : l'un externe, l'autre interne ». Depuis la vaccine, au mode externe a succédé le plus fréquemment le mode interne. Mais que la variole soit faciale ou intestinale, c'est-à-dire, avec ou sans son symptôme le plus apparent, sa manifestation, au lieu de se faire ordinairement dans l'enfance, a lieu dans l'âge adulte ; il y a donc, presque toujours, chez les vaccinés déplacement dans l'âge." (Armand Bayard, Influence de la vaccine sur la population, ou De la gastro-entérite varioleuse avant et depuis la vaccine, Paris, Librairie de Victor Masson, 1855)

 

 
Pour Verde de Lisle, la vaccination, « cause unique de ce désastre multiple », serait également coupable d’une pléthore de maladies : angines varioleuses, croup, phtisies, ou encore cancers. Ces accusations ne sont pas sans rappeler la controverse sur le rôle de la vaccination dans l'autisme alimentée par les articles de presse sensationnalistes à la fin des années 2000. Alors que les thèses incriminant les vaccins finissent souvent par être invalidées, l’efficacité de ceux-ci continue à être remise en cause.

 

Le vaccin est inefficace : contraction et transmission malgré l’immunisation

 
Mutations génétiques et variants qui rendraient le virus insensible aux vaccins, inutilité chez les personnes âgées ou encore possibilités de contaminations malgré la vaccination : les dernières nouvelles – plus ou moins fiables – n’ont de cesse de faire planer le doute quant au bénéfice des nouveaux vaccins sur le marché. Ces incertitudes viennent nourrir les théories vaccinophobes visant à affirmer que l’immunisation artificielle est moins efficace que l’immunisation développée naturellement ou encore que le seul intérêt de la vaccination est économique. Aussi, l’efficacité des vaccins est particulièrement difficile à évaluer dans la mesure où il est impossible de savoir si ceux-ci nous ont véritablement protégés de la maladie alors qu’a contrario, contracter la maladie malgré la vaccination prouve la stérilité de la prévention. Avant le Big Pharma et la balance-bénéfices/risques, plusieurs articles de presse et estampes remettent en cause l’efficacité de la pratique et dénoncent les enjeux financiers pour les vaccinateurs. Alors que les inoculateurs sont accusés de s’opposer aux vaccinateurs pour ne pas voir leurs officines fermer, Pasteur est violemment invectivé par la petite presse de la fin du siècle qui le suspecte de servir des intérêts financiers.

 

 
Ainsi, de l’invention de Jenner au préventif de Pfizer, en passant par les découvertes Pasteur, le vaccin est accusé d’être une « vache à lait » ou taxé d’inefficacité - incriminations qui se perpétuent notamment avec la législation promulguant l’obligation vaccinale.

Le vaccin doit être un choix ! Les avatars de l’obligation vaccinale

 
L’un des autres arguments souvent mobilisés dans le débat sur la vaccination est d’ordre juridique et concerne l’obligation vaccinale. Dans le cas du COVID19, aucun impératif n’a encore été décrété – encore faudrait-il pour cela que le préventif soit disponible en doses suffisantes - mais l’idée d’un passeport vaccinal qui permettrait aux personnes immunisées de voyager à l’étranger ou encore d’accéder aux lieux de culture et de sociabilité commence à émerger. Plusieurs pays, tels que le Danemark ou l’Islande, permettent déjà aux personnes ayant reçu leur dose de se soustraire à certaines restrictions liberticides. En France, les citoyens interrogés sont majoritairement opposés (seuls 37% des Français y sont favorables) à cette obligation qui constitue pour eux une atteinte à la liberté de disposer de son corps. Les critiques du paternalisme étatique apparaissent dès la naissance du débat sur la contrainte vaccinale dans les années 1880 alors que sont présentées les premières propositions de loi pour l’immunisation antivariolique obligatoire. Le certificat de vaccination impose peu à peu la pratique, qui devient impérative en 1902.

Art. 6. – La vaccination antivariolique est obligatoire au cours de la première année de la vie, ainsi que la revaccination au cours de la onzième et de la vingt et unième année. Les parents ou tuteurs sont tenus personnellement de l’exécution de ladite mesure. (Loi du 15 février 1902 relative à la protection de la santé publique)

L’obligation de se faire vacciner contre la diphtérie (1938), le tétanos (1940) ou encore la poliomyélite (1964) suscite également les questionnements mais rencontre moins d’opposition dans la presse occupée par les conflits diplomatiques.  
 

 

 
Outre ces trois arguments parmi les plus populaires sur la scène médiatique, des thèses naturalistes, théologiques, ou encore écologiques sont mobilisées et trouvent également leurs sources il y a plusieurs siècles. Ainsi, que l’on soit sans opinion, antivax ou provax, ces documents du passé sont très utiles pour historiciser le débat. En effet, comme l’expliquent Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud dans leur brillant ouvrage Antivax. résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours, « l’histoire des mouvements anti-vaccination et de leurs ramifications contemporaines est donc aussi celle de nos sociétés pour ce qui relève de la dialectique individus/collectivités, du droit de disposer de son propre corps et de celui de ses enfants, du biopouvoir, de la place respective des secteurs public et privé dans l’organisation du marché de la santé, de la capacité des gouvernements à anticiper, de notre rapport à l’information, à l’autorité, voire du sempiternel conflit entre nature et culture. »
 
Si toutefois votre réticence n’est liée à aucun des arguments ci-dessus et s’explique en fait par une extrême pudeur, n’ayez pas d’inquiétudes, il existe désormais des moyens de se faire vacciner sans dévoiler votre intimité !
 

Pour aller plus loin :

Alina Cantau, « Les débuts du vaccin (piqûre de Rappel) », Le Blog de Gallica, 1er janvier 2013
Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud, Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours, Paris : Vendémiaire, 2019.
Agnès Sandras, "Vaincre les épidémies entre 1900 et 1929 : isolement, masques, sérums ou vaccins – Partie IV. La ruée vers les vaccins lors d’une épidémie de variole (1907)," in L'Histoire à la BnF, 05/02/2021,
Catriona Seth, « L'inoculation contre la variole : un révélateur des liens sociaux », Dix-huitième siècle, 2009/1 (n° 41), p. 137-153
Jean-Louis Vildé, "L'obligation vaccinale en question", Laennec, 2015/3 (t.63), p. 8-23
 

  • Nejma Omari

    Enseignante et doctorante à l'Université Montpellier 3, Nejma Omari travaille sur les rapports entre presse et littérature au XIXe et XXe siècle.

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