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L’affaire de la Vigilante, bâtiment négrier de Nantes

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La saisie du brick négrier La Vigilante, en 1822, atteste la poursuite de la traite des Noirs, en dépit de l’engagement de l’abolir, pris par les puissances européennes lors du congrès de Vienne, en 1815. Illustration saisissante de la barbarie accrue de cette traite clandestine, elle sert le mouvement abolitionniste français pour réclamer une répression plus sévère, susceptible de mettre définitivement fin à ce commerce.
 
Traite des nêgres, dessin de George Morland, grav. de Mademoiselle Rollet, 1794
 

Définition et état de la législation relative à la traite des esclaves en 1822

Edme-Théodore Bourg (1785-1852), dans son Dictionnaire de la pénalité dans toutes les parties du monde connu, paru de 1824 à 1828, consacre un article à la « traite des nègres », soit à « l’achat des nègres que font les Européens sur les côtes d’Afrique, pour employer ces malheureux dans leurs colonies en qualité d’esclaves. »

 

« Culture de la canne à sucre et fabrication du sucre », Galerie industrielle avec 150 tableaux d'arts et métiers, Paris, Alexis Eymery, 1822

Après avoir dénoncé la cruauté de ce trafic, il énumère les lois prises pour son abolition. Omettant le décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies, voté par la Convention nationale dès le 16 pluviôse an II (4 février 1794), mais abrogé par Napoléon Bonaparte en 1802, il mentionne les lois d’abolition de la traite des esclaves promulguées en 1807 par l’Angleterre et 1808 par les États-Unis d’Amérique. Il fait allusion à la Déclaration des puissances sur l’abolition de la traite des nègres, du 8 février 1815, engagement des membres du congrès de Vienne à y mettre fin. Il cite aussi des décisions prises par la France, en application de cet engagement : l’ordonnance royale du 8 janvier 1817, selon laquelle tout navire qui tenterait d’introduire des esclaves dans les colonies françaises serait confisqué, et son capitaine, s’il est français, interdit de commandement, et celle du 24 juin 1818 qui « établit sur les côtes d’Afrique une croisière pour empêcher la traite des Noirs. » Découlant de la première ordonnance, il aurait pu mentionner la loi d’abolition du 15 avril 1818.
 

 

Les Anglais faisans part aux Africains du traité de paix des puissances alliées du 20 novembre 1815, sur l'abolition de la traite des noirs, s.d.

 
Toutes ces lois « sont journellement éludées ou violées », conclut-il, notamment en France, « où l’application des peines ne peut effrayer un nombre considérable d’armateurs, dont la ville de Nantes est le principal foyer. »

 

Le récit de la capture du brick La Vigilante

Et en effet… En 1823, paraît une brochure de huit pages accompagnées d’une planche, relatant des faits qui ont eu lieu le 15 avril 1822, sur le territoire actuel du Nigéria.
 

Affaire de La Vigilante, bâtiment négrier de Nantes, Paris, Imprimerie de Crapelet, 1823

Sir Robert Mends commandait une escadre chargée par le gouvernement anglais d’empêcher les infractions aux lois abolissant la traite des Noirs. Ce jour-là, le lieutenant Mildmay conduisit l’escadre en reconnaissance dans la rivière Bonny, lieu notoire de ce trafic. Ils n’y appréhendèrent pas moins de six navires, au terme d’une lutte acharnée avec les équipages : deux goélettes espagnoles de la Havane – Cuba étant alors sous domination espagnole -, l’Yeanam et le Vicna, qui avaient à leur bord 380 esclaves pour le premier, 325 pour le second ; un brigantin et trois bricks français, l’Ursule, la Petite Betsy, la Vigilante et le Théodore, les trois premiers ayant embarqué 347, 218 et 345 esclaves, et le quatrième étant sur le point d’en faire monter à son bord.
 

Carte de la côte occidentale d'Afrique... pour l'intelligence des croisières à établir devant les foyers de traite par le capitaine de vaisseau Ed. Bouët-Willaumez, 1845

 
Durant les combats, certains esclaves furent blessés ou tués. Un drame put cependant être évité à bord du Vicna. L’équipage avait en effet allumé une mèche dans le magasin à poudre, préférant détruire navire et cargaison, plutôt que de les voir saisis. Un matelot anglais éteignit heureusement la mèche à temps pour éviter l’explosion. La seconde goélette espagnole ne put, quant à elle, échapper à la catastrophe… Les six navires appréhendés devaient être conduits à Sierra Leone, où les Espagnols seraient jugés par la Commission mixte de la Grande-Bretagne et de l’Espagne, et où tous les esclaves devaient être libérés. En chemin, l’Yeanam, séparé des autres bâtiments, essuya une tempête et se perdit corps et biens. Sur les autres navires, 150 esclaves périrent eux aussi pendant le trajet. Les navires français furent convoyés jusqu’en Angleterre, où le gouvernement ordonna leur retour en France. Par jugement du 5 mars 1823, le Tribunal correctionnel de Nantes – les tribunaux correctionnels étaient effectivement compétents pour connaître des infractions aux lois sur la traite -, condamna la Vigilante et la Petite Betsy. Rien n’indique ce qu’il advint de l’Ursule et du Théodore
 
 

Brick sous voiles, amures à bâbord, dessin de Charles Meryon, 1842-1846

 
La planche qui accompagne ce récit tragique, dessinée lors du séjour de la Vigilante à Portsmouth, montre dans quelles conditions les 345 esclaves étaient embarqués à bord de ce brick jaugeant 240 tonneaux, originaire du port de Nantes, doté d’un équipage de 30 hommes et armé pour se défendre en cas de poursuite de « 4 pièces de 12 ». Si le plan du navire, pourtant éloquent, ne suffisait pas à émouvoir le lecteur, le commentaire s’employait encore à pointer la barbarie de la traite :
Figurez-vous, dans cet étroit espace, l’un gémissant sur la perte de toutes les affections qui l’attachaient à la vie, et fixant un morne regard sur les souffrances qui attendent les jours qui lui restent. Voyez l’autre, accablé de malaise, succombant à l’influence délétère de l’air impur qu’il respire, voyez-le dans cette affreuse position, traité avec indifférence, ou même dureté, par les malheureux qui sont enchaînés à ses côtés.
 

Plan du brick négrier la Vigilante, lith. C. de Lasteyrie, 1823

 
Or, « cette scène sanglante qui vous remplit d’horreur, n’est qu’un exemple entre beaucoup d’autres, des cruautés qui se renouvellent chaque année dans des centaines de vaisseaux et sur des milliers de nos semblables. »
Devant l’insuffisance de la loi interdisant la traite des Noirs, carence mise en évidence par sa poursuite clandestine, l’auteur de la brochure réclame une législation pénale contre la traite.

 

La Société de la Morale chrétienne, éditeur probable de cette publication

Cette plaquette est anonyme.
Le quotidien Le Courrier, du 10 juillet 1823, contenait, dans les mêmes termes, le récit de la capture. Il semble qu’il s’agisse « des détails de cette affaire, tels qu’on les rapporte au procès ». En revanche, la planche et son commentaire sont originaux.
Le lithographe est le comte Charles-Philibert de Lasteyrie (1759-1849), qui ajoute à ses activités de graveur, l’agronomie et les œuvres philanthropiques. Il est membre fondateur de la Société de la Morale chrétienne, qui paraît être impliquée dans cette publication... Fondée en 1821 à l’initiative du duc François-Alexandre-Frédéric de La Rochefoucauld-Liancourt (1747-1827), cette société philanthropique œuvre pour l’amélioration des conditions dans les prisons, pour l’aide aux orphelins, ou pour la suppression de la peine de mort. Elle agit également pour une abolition effective de la traite des Noirs et crée en son sein, en 1822, un Comité pour l'abolition de la traite des Noirs. Lors de la séance du 11 novembre 1822, dont le compte-rendu est retranscrit dans le Journal de la société, elle adopte la proposition venue de Londres, « de faire graver en France un dessin fait à Portsmouth, représentant le négrier la Vigilante, et l’état des esclaves au moment de sa prise, et de faire imprimer en même temps un court récit de la prise et de la cruauté avec laquelle on a traité les esclaves. » La paternité de la Société de la Morale chrétienne sur cette brochure est d’ailleurs confirmée par les Archives du Christianisme au dix-neuvième siècle, dans son bulletin de septembre 1823.
 
 

Extr. des Archives du christianisme au XIXe siècle, Paris, H. Servier, 1823, p. 480.

Quels philanthropes œuvraient au nom de la S.M.C. ? De quels moyens d’action usaient-ils pour lutter contre la traite négrière ? Obtinrent-ils gain de cause ?... Nous le verrons dans un prochain billet…
 

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