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Aux sources de l’agronomie tropicale

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7 juin 2019

De nos jours, de nombreuses pratiques reposent sur la consommation de produits agricoles tropicaux. Loin d’être insignifiantes, la production et la diffusion de ces ressources biologiques ont une histoire. Le Cirad vous en raconte l’histoire sur le blog de Gallica.

NumBA est la bibliothèque numérique en Gallica marque blanche du Cirad, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, réalisée en partenariat avec la BnF. Laissez-vous guider dans ses documents numérisés.

Avec l’expansion coloniale des puissances européennes, le commerce de produits agricoles s’accélère au tournant du siècle dernier. La production mondiale de café double ainsi entre 1880 et 1920. Aux scientifiques, historiens, mais aussi profanes, NumBA offre des ressources documentaires uniques pour éclairer l’agronomie tropicale d’autrefois et d’aujourd’hui. Six collections thématiques de la bibliothèque numérique du Cirad (Acteurs de l’agriculture tropicale, Cartes et atlas thématiques, Bibliothèque de l’Institut national d’agronomie coloniale, Revues d’économie et d’agronomie tropicale, Images de la France d’outre-mer, Expositions et congrès coloniaux) guideront celles et ceux qui désirent découvrir l’histoire de cette discipline dans l’empire français à partir de la fin du XIXe siècle et jusqu’à la décolonisation.

Les jardins d’essais, laboratoire de l’agriculture

A partir de la fin du XIXe siècle, l’expansion coloniale stimule la création de nombreux  jardins d’essais dans les possessions françaises d’outre-mer. L’essor de ces institutions à caractère scientifique soutient la volonté d’exploiter les ressources végétales des colonies. Elles visent à favoriser le transfert et l’acclimatation des plantes utiles à travers l’empire. Ces établissements (jardins de Tunis, Camayenne, Porto-Novo par exemple) sont des laboratoires où l’on détermine la valeur économique d’une espèce et le meilleur moyen d’en tirer profit. Ils deviennent alors un outil pour encourager l’agriculture de plantation dans les régions tropicales. Néanmoins, l’absence de coordination de ces activités de recherches pousse les groupes d’intérêts politiques coloniaux tels que l’Union Coloniale Française à réclamer au ministère des Colonies la création en métropole d’un jardin central ainsi que d’un centre de formation pour agronomes. Leurs positions sont alors diffusées à travers la Revue des cultures coloniales fondée en 1897 et regroupant plusieurs spécialistes du sujet. Cette revue fait partie des nombreuses publications spécialisées et consultables en ligne sur NumBA. Le programme de cette revue est en ce sens révélateur des enjeux liés à l’agronomie tropicale du tournant du XXe siècle.


Revue des cultures coloniales, n°52, 1897.

Cette revue est fondée en 1897 par l’Union Coloniale Française, influent groupe de pression en faveur de la colonisation.
 

Les stations expérimentales spécialisées

En 1899, le Jardin colonial chargé de la coordination technique des jardins d’essais ouvre à Nogent-sur-Marne et, trois ans plus tard, l'École nationale d’agriculture coloniale y est inaugurée. Celle-ci entend devenir le centre de formation de référence des agronomes coloniaux. Sous l’influence notamment des travaux de Jean Dybowski et d’Auguste Chevalier, respectivement directeur du Jardin de Nogent et botaniste au Muséum d’histoire naturelle de Paris, l’agronomie coloniale change progressivement d’objectifs. Désormais, les vaines tentatives d’acclimater un maximum de cultures utiles dans chaque colonie doivent être abandonnées au profit de la sélection d’espèces pour leur adaptation aux conditions locales. L'attention des agronomes coloniaux se concentre alors sur les plantes cultivées par les populations locales. Néanmoins, cette nouvelle orientation reste marquée par la conviction d’apporter le progrès et d’éduquer les populations indigènes afin de leur permettre de mieux exploiter leur propre milieu de culture. A cette époque, rares sont les publications, telles celles d’Auguste Chevalier à partir de 1900, qui accordent une réelle attention aux pratiques agricoles des populations colonisées. C’est dans cet esprit d'amélioration de cultures rentables que, autour de 1910, les jardins d’essais disparaissent peu à peu au profit de stations expérimentales spécialisées. La bibliothèque numérique du Cirad propose de nombreux documents illustrant la place primordiale qu’occupent les stations expérimentales dans l’histoire de l’agronomie tropicale. En particulier, elle possède de nombreux clichés issus de la numérisation de la riche collection de plaques de verres du Cirad.


Chercheur européen présentant un palmier à huile sur la station de Pobé, au Dahomey, actuel Bénin, en 1924.  
 Antony Houard (photo) est un des premiers agronomes diplômés de l’école nationale d’agronomie coloniale de Nogent-sur-Marne. Il devient directeur des stations d’expérimentation du palmier à huile à La Mé en Côte d’Ivoire et Pobé au Dahomey.
 

Une politique de "mise en valeur" renforcée

La Première Guerre mondiale entraîne une intensification de l’exploitation des matières premières dans les territoires colonisés. L’administration coloniale juge nécessaire de renforcer la "mise en valeur" scientifique et rationnelle de l’empire avec l’appui des stations spécialisées. A partir de 1921, l’action du ministre des Colonies Albert Sarraut donne une impulsion décisive à ce projet.  Chaque colonie doit produire en masse une ou plusieurs cultures d’intérêt économique. L’agronomie coloniale pratiquée dans les stations d’expérimentations cherche donc à améliorer les semences, lutter contre les maladies et augmenter les rendements. Tout au long de la période coloniale, ces efforts favorisent la production de nombreux travaux scientifiques spécialisés sur les cultures tropicales. Des instituts techniques dédiés à différentes filières agricoles, végétales et animales sont créés à partir de la fin des années 1930 et de nombreuses monographies consacrées à des plantes tropicales sont publiées. D’autre part, la crise économique de 1929 et la Seconde Guerre mondiale encouragent les gouvernements à continuer d’investir dans les productions agricoles coloniales, source de revenus des pays colonisateurs. L’exposition coloniale internationale de 1931, réalisée pour promouvoir l’investissement économique dans l’exploitation des possessions d’outre-mer, offre l’occasion d’organiser plusieurs congrès sur l’agriculture tropicale. Les publications qui en découlent sont disponibles sur NumBA et témoignent de l’importance de l’agriculture tropicale dans l’économie coloniale.


"Exportations de vanille de Madagascar" dans Congrès des produits spécifiquement coloniaux, 24-25 juin 1931.
En 1931, Madagascar est  le premier pays exportateur de vanille. Celle-ci représente une ressource avantageuse pour l’économie coloniale.
 

"Différentes phases de la germination", dans F. Bouffil, Biologie, écologie et sélection de l'arachide au Sénégal, 1951.
La création de la station de M’Bambey en 1913 au Sénégal marque un tournant pour la culture de l’arachide. Cette plante devient un des pivots de l’économie coloniale française. François Bouffil, ingénieur agronome diplômé de l’école de Nogent, est le directeur de la station au moment de la publication de cette monographie.
 

L’impact social et environnemental

Les textes et les photos sur plaques de verre accessibles sur NumBA illustrent l’impact social et environnemental de l’agronomie tropicale pendant la période coloniale. Elles rendent compte de l’organisation du travail dans les stations d’expérimentations et les plantations, et du rôle crucial joué par la main-d’œuvre locale. Elles illustrent les conditions de travail des populations exploitées par la discipline coloniale ainsi que les techniques utilisées pour récolter et transformer les différentes productions agricoles. Les efforts de mise en ordre de l’environnement et des populations, décrits par l’historien Christophe Bonneuil dans sa thèse, peuvent ainsi être documentés. Si les territoires concernés n’ont pas attendu l’arrivée des Européens pour connaître des modifications de leurs écosystèmes, la "mise en valeur" y accélère les transformations environnementales. Le palmier à huile est emblématique de l'impact environnemental de ces interventions.


"L’exploitation du palmier à huile à la côte occidentale africaine" dans L'Agronomie coloniale : bulletin mensuel du Jardin colonial, 1920.
 Cette figure accompagne un article de revue agronomique qui établit des calculs de temps et de distance moyens pour le transport de régimes au sein d’une plantation modèle de palmier à huile.
 

Filtration de la récolte de latex à la plantation de caoutchouc de Suzannah, Indochine, actuel Vietnam, 1909.
 Comme le suggère l’historien Christophe Bonneuil, la culture du caoutchouc en Indochine illustre bien les efforts déployés pour discipliner à la fois la nature et les ouvriers. La main-d’œuvre, souvent importée, travaille dans de pénibles conditions et le paysage est radicalement transformé par les plantations rectilignes d'hévéa.
 

L’acclimatation des espèces suscite la production de savoirs variés.

De la conquête du continent africain par les puissances européennes aux décolonisations, l’agriculture tropicale se caractérise par des échanges intenses de matériel végétal à travers le monde. Les plantes sont introduites partout où leur développement est possible et rentable. Ceci implique de bien connaître les facteurs climatiques, environnementaux et les propriétés des terres cultivées. NumBA propose un ensemble de cartes et atlas thématiques édités au cours de cette période. A la faveur de leurs déplacements à travers l’empire, les agents de la métropole réalisent également de nombreux clichés qui renseignent de façon originale et saisissante sur la vie dans ces territoires colonisés.


"Répartition des terres du delta suivant les récoltes annuelles" dans : A.A. Pouyanne, L'hydraulique agricole au Tonkin, 1931.
 Contrairement à l’hévéa, la culture du riz est pratiquée bien avant l'arrivée des colons français en Indochine. Toutefois, comme pour chaque production agricole, son développement nécessite de bien connaître les caractéristiques physiques du territoire.
 

Entre la fin du XIXe siècle et les indépendances des colonies françaises, l’évolution de l’agronomie tropicale et méditerranéenne s’inscrit donc dans une histoire plus large. Les résultats publiés et accessibles dans NumBA ne doivent évidemment pas être détachés de leur contextes social, politique, économique, et environnemental. NumBA s’efforce d’éclairer l’histoire de l’agronomie tropicale en donnant à voir et à lire des ressources rares et parfois uniques par leur forme et leur contenu.


Portrait de femme Bamoun, 1909.
Colonie allemande depuis la fin du XIXe siècle, le Cameroun passe en partie sous administration française à l’issue de la Première Guerre mondiale. Le royaume bamoun qui existe depuis le XIVe siècle est contraint de se soumettre à l’autorité coloniale. Si la culture du café arabica est d’abord réservée aux européens et à certains notables locaux, quelques coopératives bamouns apparaissent à partir des années 1930.
 
Philippe Lafargeas.

 
Article rédigé dans le cadre d'un stage de Master 2 en histoire des sciences à la bibliothèque historique du Cirad sous la responsabilité de la Délégation à l'information scientifique et technique.

Pour aller plus loin…

  • Bonneuil, C., Kleiche, M., Du jardin d’essais colonial à la station expérimentale 1880-1930, Cirad, Montpellier, 1993.
  • Volper, S., Une histoire des plantes coloniales, Quae, Versailles, 2011, p. 51-57.
  • En savoir plus sur le Cirad.

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Commentaires

Soumis par Michael A. Osborne le 22/09/2022

Il y a aussi une très longue préhistoire de ces efforts en Algérie et ailleurs. Voir par exemple Michael A. Osborne, Nature, the Exotic, and the Science of Français Colonialism (Indiana University Press, 1994).

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