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Louis Dominique Cartouche (1693-1721) : sa fin et celle de ses complices 2/2

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Âmes sensibles s’abstenir ! Il y a 300 ans, la Régence réprimait très rigoureusement le bandit Cartouche et ses complices, dont un aperçu des activités a été donné dans un précédent billet. Ils n’étaient certes pas des « enfants de chœur »…
 

Cartouche, estampe, 1859
 

Arrestation, procès et condamnation de Louis Dominique Cartouche

 
Pour réprimer la criminalité dans la capitale, le lieutenant général de police en fonction de 1697 à 1718, Marc-René D'Argenson, met en place de nouvelles méthodes, comme le recours à des arrestations et internements administratifs, non soumis au contrôle judiciaire, et ayant pour objectif de permettre aux policiers de “retourner” les voleurs appréhendés pour en faire des indicateurs à leur service, des mouches. Cartouche fait ainsi l’objet d’un internement, pendant un an, en 1718. Le dossier correspondant à cette incarcération, cité par Patrice Peveri, est conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal (Archives de la Bastille, Ms-10641). Par la suite, il réagit violemment aux actions menées par la police, en s’en prenant aux informateurs qui l’approchent et aux policiers eux-mêmes. Barthélémy Maurice cite notamment parmi ses victimes, Pépin, archer et Huron, exempt – officier de police chargé des arrestations - . Quelques jours avant son arrestation, il assassine de manière particulièrement barbare, avec des complices, un informateur de la police. Edmond-Jean-François Barbier (1689-1771) mentionne ce meurtre dans son journal, juste avant d’annoncer la grande nouvelle qui émeut Paris : l’arrestation de Cartouche. Devenu “l’ennemi public numéro un”, et au terme d’une traque, et de plusieurs arrestations manquées, c’est finalement un de ses lieutenants, François du Châtelet, qui contre la promesse d’une grâce, conduit la police jusqu'à Cartouche. Le 14 octobre 1721, c’en est fini de la cavale du « roi des voleurs ». Enfin, presque ! Comme le relate Barbier, il parvient encore à s’échapper de son lieu de détention, mais est vite rattrapé et ses geôliers prennent les précautions qui s’imposent pour le garder enfermé.
 
 
La condamnation intervient le 26 novembre suivant. Il est condamné à mort avec sept de ses complices. L’arrêt du Parlement prévoit que deux des condamnés seront pendus, et les cinq autres, dont Cartouche, « rompus vifs ». Les jurisconsultes Daniel Jousse (1704-1781), dans son Traité de la justice criminelle de France et Pierre-François Muyart de Vouglans (1713-1791), auteur des Loix criminelles de France dans leur ordre naturel, expliquent que cette peine, le supplice de la roue, introduite en France par un édit de François Ier de 1534, s’applique, en matière de vol, à des cas considérés comme particulièrement graves : le vol de grand chemin, ainsi que le vol commis de nuit avec effraction, dans une habitation. En pratique, cette peine n’est prononcée au XVIIIe siècle que si le vol a donné lieu à un meurtre. Tous doivent être préalablement soumis à la question. Il s’agit de la “question préalable”, torture qui “a principalement pour objet la découverte des complices de l’accusé”, selon Muyart de Vouglans, contrairement à la question préparatoire, qui “se donne dans le cours de l’instruction & avant le jugement”, “pour obliger l’accusé à faire lui-même l’aveu de son crime, dont il y a d’ailleurs une preuve considérable contre lui”. Quant aux chefs d’accusation, l'arrêt du Parlement ne les précise pas. Conformément à la procédure définie par l’ordonnance criminelle de 1670, les magistrats n’ont en effet pas à motiver la sentence.
 

Arrêt de la Cour de Parlement portant condamnation de mort
contre Louis-Dominique Cartouche
, Paris, L. D. Delatour et P. Simon, 1721

Qui mieux que Charles Sanson (vers 1681-1726), son bourreau, peut nous renseigner sur ce qu’il advint de Cartouche après cette sentence ? Soumis à la question, le 27 novembre, il résiste et ne trahit aucun de ses complices. Il est ensuite conduit en place de Grève, au pied de l’échafaud. Il devait encore espérer être délivré par sa bande. Or, constatant qu’aucun de ses compagnons ne sort de la foule présente, il décide finalement de parler. On l’emmène à l’Hôtel-de-Ville, où, au cours de la nuit, il aurait dénoncé près de 90 personnes. Le lendemain, 28 novembre, le bourreau peut accomplir son œuvre, mais la fin de Cartouche ne marque que le commencement d’une vague répressive hors du commun.
 

La traque des « Cartouchiens »

 

Pour revenir aux affaires publiques, on ne parle plus à Paris que de rompus et de pendus ; tous les jours, il y en a de la suite de Cartouche.

Barbier signale, en ces termes, l’activité judiciaire frénétique des années 1721 et suivantes, dans son journal. À la suite de Cartouche, les magistrats vont en effet condamner plus de 700 personnes, dont 59 à la peine capitale. 53 arrêts du Parlement numérisés et accessibles dans Gallica portent condamnation, entre 1721 et 1732, de complices de Cartouche.


Veuë de l'Hostel de ville de Paris et de la place de greve, gravure d’Israël Silvestre, 1655
 

Ils se surnomment, en fonction de leurs origines ou leurs qualités, la Gros-Bois, le Petit Gascon, le Chevalier le Craqueur, Provencal, la tête de mouton, Va de bon cœur, la Marmotte, Picard la Vallée, la grande Jeanneton, la Champagne, Saint-Preuil, la Grenade, le Pape, Saint-Thomas, Tiby ou l’Hirondelle. Ils exercent pour certains des professions dont on comprend l’intérêt dans le milieu criminel, de logeur, cabaretier, serrurier, cocher, ou marchand orfèvre, comme ce condamné demeurant dans la rue au nom prédestiné “des Mauvais Garçons”. Beaucoup sont soldats. D’autres sont limonadier, pâtissier ou joueur de violon ! Quelques arrêts nous renseignent sur les chefs d’accusation : quelques-uns sont ainsi accusés de recel, d’autres sont convaincus d'avoir logé Cartouche, ou de “vols sur la route des Ambassadeurs”, “dans les maisons royales”, “meme dans le Louvre”, de vols “nuitamment faits dans les rues de Paris, avec effraction et à main armée, et en donnant des coups de cannes, et autres meurtres et assassinats prémédités”, ou plus sommairement “d'assassinat”. La peine est évidemment rigoureuse pour ces derniers. Pour des infractions moindres, ils pouvaient être condamnés “au fouet, bannissement et galères” ou à l’enfermement à l’hôpital.


La rue des Mauvais garçons, gravure de Meryon, 1854 
 
Des très proches de Cartouche apparaissent dans ces arrêts ou dans les condamnations signalées dans le Journal de Barbier, comme les compagnes de Cartouche – aux dires de  Barthélémy Maurice –  : la grande Jeanneton et Marie-Antoinette Néron, condamnées à la peine capitale, ou encore Louis Cartouche, dit Louison, son jeune frère, condamné à être pendu sous les aisselles pendant deux heures et ensuite à être conduit aux galères. Muyart de Vouglans signale la dangerosité de cette peine de pendaison sous les aisselles, si elle est appliquée plus d’une heure, et, en effet, elle fut fatale à Louis Cartouche.

Tous méritaient-ils leur condamnation ? Leurs contemporains en ont douté, et le pouvoir a tenté de les en convaincre et de justifier sa sévérité, au moyen de l’édition de l’Histoire de la vie et du procès du fameux Louis-Dominique Cartouche, et plusieurs de ses complices, comme nous l’avons vu dans un précédent billet. Il a aussi essayé de faire « porter le chapeau » de la criminalité parisienne à Cartouche. Même si son influence était réelle, elle ne s’étendait pas sur toute la capitale. Or, selon les propres aveux de Cartouche, avant sa mort, rapportés par Barthélémy Maurice, “ il était le maître, le roi de tous les voleurs de Paris [...]. Paris lui appartenait, nul ne devait y travailler sans sa permission” (Le Figaro, 28 mai 1857). Le bandit a-t-il dit ce que ses bourreaux attendaient de lui ? Ou est-ce, dans un dernier pied de nez, qu’il a ainsi maximisé son aura ? Cartouche est décidément insaisissable !
 
Retrouvez, sur Gallica, des extraits de la musique et des dialogues du film, Cartouche, réalisé par Philippe de Broca (1933-2004), avec Jean-Paul Belmondo (1933-2021) dans le rôle-titre :

 

Pour aller plus loin

Andries, Lise (dir.), Cartouche, Mandrin et autres brigands du XVIIIe siècle, Paris, Desjonquères, coll. « L’esprit des lettres », 2010.
Andries, Lise, Bandits, pirates et hors-la-loi au temps des Lumières, Paris, Classiques Garnier, 2021.
Les contributions à de nombreuses publications de Patrice Peveri, dont :
Peveri, Patrice, « Clandestinité et nouvel ordre policier dans le Paris de la Régence : l'arrestation de Louis-Dominique Cartouche », dans : Aprile, Sylvie (dir.), Retaillaud-Bajac, Emmanuelle (dir.), Clandestinités urbaines : Les citadins et les territoires du secret (xvie-xxe), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.
Sigaut, Marion (dialogues), Sergeat, Loïc (dessin), Hugo (couleur), Dominique Cartouche : la véritable histoire, [Saint-Denis], Kontre kulture.com, [2014].
Et sur le blog Gallica : Tonnerre-Seychelles, Stéphanie, « Louis Dominique Cartouche (1693-1721) : légende et réalité », 1er décembre 2021.
 

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