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Louis Dominique Cartouche (1693-1721) : légende et réalité 1/2

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Le 28 novembre 1721, les aventures du bandit Cartouche tournent court, en place de Grève. Dès lors, se forge la légende d’un roi des voleurs, agile et rusé, à l’image du personnage incarné par Jean-Paul Belmondo à l’écran en 1962. La réalité était-elle moins belle ? Qui était le véritable Cartouche ?
 

Le véritable portrait de Cartouche, estampe, 18e siècle

Cartouche, la légende

 

Qui n’a entendu parler de Cartouche ? Ce mot est devenu populaire comme synonyme, ou mieux comme augmentatif du mot voleur. Tout individu qui pratique le vol d’une façon vulgaire est un voleur. Mais il n’est pas donné à tous d’être un Cartouche.

C’est ainsi que Madame de Frémont amorçait un portrait dithyrambique paru dans le Journal des jeunes personnes, en 1842, dans lequel elle envisageait même de sanctifier Cartouche. Sans aller jusque-là, les auteurs montrent généralement le personnage sous un jour séduisant. C’est déjà le cas de la pièce Cartouche, ou les voleurs, écrite par Marc-Antoine Legrand (1673-1728), et représentée à la Comédie-Française, avant même le procès de Cartouche. Ça l’est aussi du poème de Nicolas Racot de Grandval (1676-1753), Le vice puni, ou Cartouche, dont la première édition remonterait à 1723, qui en fait un “Robin des bois”, redistribuant les richesses. Plus tard, aux XIXe et XXe siècles, les titres montrent une sympathie croissante pour le criminel devenu héros. Le romancier populaire Jules Beaujoint (1830-1892), alias Jules de Grandpré, publie Cartouche : roi des voleurs (Arthème Fayard, 1883). On doit à Paul Reboux (1877-1963), Le brigand Cartouche, roi des cœurs (Arthème Fayard, 1939), et à Jean Burnat (1918-1977), Cartouche, mon copain... (R. Laffont, 1957).
 

Cartouche a dû représenter une aubaine pour les colporteurs, qui diffusaient cette complainte criminelle, ainsi que des gravures représentant le bandit, qu’on s’arrachait, au-delà même des frontières du royaume, preuve de sa popularité. Celle-ci ne tarit pas avec le temps. Au milieu du XIXe siècle, encore, l’imagerie d’Epinal reprend pour le jeune public des scènes d’une pièce jouée au Théâtre de la Gaîté.

 

Histoire de Cartouche : [histoire enfantine], images d’Epinal de la maison Pellerin, 1859

Les colporteurs vendaient aussi l’Histoire de la vie et du procès du fameux Louis-Dominique Cartouche..., biographie “officielle” maintes fois rééditée de 1722 au milieu du XIXe siècle. Selon l’historien Patrice Peveri, il s’agissait de justifier, par cette publication, la répression des “Cartouchiens”, qui peinait à remporter l’adhésion de la population, en propageant des contre-vérités et en décrivant avec force détails une organisation criminelle plus efficace et dangereuse qu’elle n’était en réalité. À côté de la légende dorée d’un « Robin des bois », l’ouvrage et ceux qui s’en sont inspirés vont contribuer à forger une légende noire de Cartouche, chef tout puissant du milieu criminel parisien.
 
 

Vie et méfaits de Cartouche, d’après les sources judiciaires et littéraires de l’époque
 

Pour apprendre à connaître Cartouche, pouvons-nous plutôt nous fier à l’étude documentée que fait paraître Barthélémy Maurice, en 1857, en feuilletons, dans le Figaro, avant l’édition d’une monographie : “Cartouche : histoire de sa vie et de son procès recueillie à la section judiciaire des archives de l’Empire et parmi les divers documents de l’époque” ?
 
Barthélémy Maurice décrit l’insécurité de la capitale en ce début du XVIIIe siècle, insécurité décuplée, à partir de 1717, du fait de l’action organisée d’une bande aux ordres d’un chef : Cartouche ! Ni l’instruction reçue - il ne sait ni lire, ni écrire - , ni ses caractéristiques physiques - il est chétif comme un enfant - , ne le prédisposaient pourtant à détenir un tel pouvoir. Barthélémy Maurice, pour donner à ses lecteurs une représentation fidèle du personnage, demande à Nadar (1820-1910) de photographier un buste en cire existant de Cartouche.
 

Buste en cire de Louis Dominique Cartouche, photographie de Nadar (1820-1910), 1854-1860

Né en 1693, aux portes de Paris, rue du Pont-aux-choux, Cartouche est le fils d’un tonnelier. Vers l’âge de douze ans, il fuit le domicile familial et fréquente pendant quatre ou cinq ans des Bohémiens, auprès desquels il aurait développé son agilité. “Il était de première force à l’épée, au bâton, au pistolet ; il se grimait à ravir ; faisait de son corps et de sa figure tout ce qu’il voulait ; dansait sur la corde, exécutait le saut périlleux en avant et en arrière ; il faisait la roue, le malheureux !” (Le Figaro, 21 mai 1857). Barthélémy Maurice souligne “la présence d’esprit qui ne l’abandonnait jamais, son goût pour la plaisanterie, et sa gaieté de bon aloi”. De retour chez son père, celui-ci l’instruit de son métier, mais au bout de dix-huit mois, il fuit de nouveau, et vit de vols à la tire et d’escroqueries aux jeux de cartes. Enrôlé dans l’armée, il est vite démobilisé, les hostilités avec l’Espagne ayant cessé. Des liens se sont probablement tissés alors avec d’autres soldats, qui se retrouvent dépourvus de revenus et basculent dans le crime aux côtés de Cartouche. Barthélémy Maurice décrit le fonctionnement réglementé de l’organisation qui se met alors en place, et le rôle prépondérant qu’aurait mené Cartouche.
 
Cette assertion est à nuancer ! Barthélémy Maurice reprend là les sources controversées citées plus haut. Or, selon Patrice Peveri, plutôt qu’une vaste organisation criminelle, ce sont des associations éphémères de malfaiteurs qui se nouent à l’époque, au gré des mauvais coups à accomplir. Il est certain cependant que Cartouche était un personnage influent dans le milieu criminel de l’époque et disposait d’un réservoir de collaborateurs important !
 

Portrait de Cartouche et différents épisodes de son existence et au-dessous une vue de Paris, estampe, s.d.
 
Les activités des “Cartouchiens” consistent essentiellement à s’introduire nuitamment dans les appartements, pour les cambrioler. Après les avoir assommés, on dépouille aussi les imprudents qui s’attardent dans les rues de la capitale, une fois la nuit tombée. Certains se livrent aussi au vol de grand chemin, en attaquant notamment les carrosses transportant le courrier et des espèces sonnantes et trébuchantes vers Lyon ou Bordeaux.
Parmi les “tours” qui font la célébrité de Cartouche, citons la visite qu’il rend à la maréchale de Boufflers, un soir de juillet 1721. Il se contente de lui réclamer à dîner et un lit pour la nuit. Il est armé, mais courtois. La soirée se passe sans effusion de violence. Le lendemain, il remercie son hôtesse en lui faisant parvenir cent bouteilles de champagne, du champagne volé par la compagnie bien sûr !
L’espiègle Cartouche a aussi une face plus sombre. Une partie de ses complices et lui-même sont des meurtriers, et n’hésitent pas à s’en prendre à la police elle-même. C'est probablement ce qui a précipité leur fin. À suivre, dans un second billet consacré à Cartouche et aux "Cartouchiens"...

 

Pour aller plus loin

Andries, Lise (dir.), Cartouche, Mandrin et autres brigands du XVIIIe siècle, Paris, Desjonquères, coll. « L’esprit des lettres », 2010.
Andries, Lise, Bandits, pirates et hors-la-loi au temps des Lumières, Paris, Classiques Garnier, 2021.
Les contributions à de nombreuses publications de Patrice Peveri, dont :
Peveri, Patrice, « L’héroïsation de Louis-Dominique Cartouche, ou l’infamie en échec », dans : Lemesle, Bruno (dir.), Nassiet, Michel (dir.), Valeurs et justice : Écarts et proximités entre société et monde judiciaire du Moyen Âge au XVIIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.
Sigaut, Marion (dialogues), Sergeat, Loïc (dessin), Hugo (couleur), Dominique Cartouche : la véritable histoire, [Saint-Denis], Kontre kulture.com, [2014].
Et sur le blog Gallica : Tonnerre-Seychelles, Stéphanie, « Louis Dominique Cartouche (1693-1721) : sa fin et celle de ses complices », 6 décembre 2021.

 

 

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