Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

Jean-François Raffaëlli : la banlieue parisienne comme toile à peindre

0
6 septembre 2022

À partir de 1850, peindre en plein air dans les environs de Paris devient une activité de prédilection pour les artistes. Gauguin, Manet ou encore Corot sont de ceux-là. Jean-François Raffaëlli s'inscrit dans cette même lignée, dans une veine artistique sans fioriture, ni idéalisation. Grâce à lui, c'est toute la banlieue de l'ouest parisien de la fin du XIXe siècle que nous découvrons, ainsi que ses habitants de l'époque.
 
Considéré comme un dessinateur impressionniste de premier plan, Jean-François Raffaëlli est également très apprécié des écrivains réalistes et naturalistes, notamment pour sa touche expressive. À son palmarès, il faut compter bon nombre d'ouvrages qu'il a illustrés à l'eau-forte et à la pointe sèche : les Croquis parisiens et Les Soeurs Vatard de Huysmans, Les Types de Paris, écrit par Alphonse Daudet et Emile Zola entre autres, Germinie Lacerteux de Jules et Edmond de Goncourt, les Contes de la chaumière d'Octave Mirbeau ou encore Le Dernier jour d'un condamné de Victor Hugo.
 
En 1880, l'artiste expose avec les Impressionnistes, l'année même où Degas présente sa célèbre petite danseuse. Qu'il se soit joint « aux réprouvés et aux parias », en délaissant la bourgeoisie de l'art qu'est le Salon officiel ne put que ravir Huysmans. Les titres des oeuvres exposées donnent d'emblée le ton de son univers esthétique, « Rôdeur de barrières », « Terrains remblayés de démolitions », « Bonhomme tirant une brouette », « Balayeur souffrant du froid »... et les étiquettes tombent. Jules Claretie voit en lui « une sorte de Meissonier de la misère, le peintre des déshérités » quand Huysmans, dans L'Art moderne, le dépeint comme « le peintre des misérables hères des villes », trouvant inspiration « dans le lamentable pays des déclassés ». Ses dessins des chiffonniers, dit-il, « l'ont douloureusement, délicieusement poigné » : « En face de ces malheureux qui cheminent, éreintés, dans ce merveilleux et terrible paysage, toute la détresse des anciennes banlieues s'est levée devant moi. Voilà donc enfin une oeuvre qui est vraiment belle et vraiment grande ! »

Loin de toute mièvrerie et sans recours au pathos, l'oeuvre de Raffaëlli tend en effet au réalisme avec une pointe de pittoresque. « Raffaëlli s'est fait le peintre de la banlieue de Paris, qui tient entre les barrières de Clichy et de Levallois, les talus des fortifications, les berges tristes de la Seine, les carrières poussiéreuses, les terrains vagues de la zone ». Ses petites gens sont « sans enjolivement et sans nettoyage », selon les mots de Huysmans ; ses paysages de banlieue sans « invités bien mis » et « sans formules de mélodrame », selon ceux du critique Gustave Kahn« Nous sommes gavés de nature ventrue », celle qu'on « pomponne », dit encore Huysmans avec dégoût. Avec Raffaëlli au contraire, c'est « la mélancolique grandeur des sites anémiques couchés sous l'infini des ciels » ! Ces endroits, Raffaëlli les connait bien, lui qui habite un petit pavillon à Asnières et ne cesse d'arpenter la première périphérie de Paris.

Dans ses oeuvres, les mornes paysages de banlieue défilent, Asnières, Saint-DenisGennevilliers, Neuilly, Bezons, Meudon, Passy. Plus tard, Raffaëlli habitera Paris et ses oeuvres en seront le reflet

Des artistes.... Série 1 / Octave Mirbeau
 
Raffaëlli dessine dans une veine réaliste ce qui compose son époque. Avec lui, ce sont les métiers disparus ou oubliés de la fin du 19e siècle que nous redécouvrons, celui des chemineauxdes terrassiersdes rapinsdes cantonniersdes raccommodeuses de paniers et des piocheurs« Raffaëlli sait exprimer, avec la gravité d'un dessin souple, avec l'harmonie de couleurs neutres, les caractères généraux des classes et des tempéraments, qu'il étudie » ; il a, par son art, « énoncé des observations sociales », affime son ami Gustave GeffroyMirbeau dira même que son oeuvre accuse « l'histoire des milieux sociaux » et que l'artiste a su reproduire jusqu'aux « déformations musculaires et anatomiques, inhérentes et variables à chaque métier ». C'est que Raffaëlli « a une doctrine », précise Félix Fénéon, qu'il avait même pour ambition de théoriser et de publier. « Il ne veut être ni réaliste, ni vériste. Il se proclame caractériste » : définissant le caractère de Clémenceau, c'est en contexte, dans son milieu, en homme combatif qu'il le représente. Idem pour Edmond de Goncourt
 
Pour beaucoup, l'esthétique de Raffaëlli, en se complaisant dans les sujets populaires, confine au misérabilisme. Gustave Kahn préfère pour sa part comparer « l'émotion vériste de Raffaëlli à celle de Dickens », celle d'un artiste qui aime ceux qu'il dessine, qui les comprend et se fond avec eux. Huysmans de son côté voit une évolution positive à son art : « Jusqu'alors une tendance à cette humanitairerie qui me gâte les paysans de Millet passait dans la physionomie, dans l'attitude des loqueteux peints par M. Raffaëlli ; cette inutile emphase a maintenant disparu, son bonhomme qui vient de peindre une porte est, à ce propos, décisif. Il ne songe ni à la terre ni au ciel, ne maudit aucune destinée, n'implore aucun secours ; il lui reste du vert dans son pot et il se demande tout bonnement s'il pourrait l'utiliser. »
Critique d'art visionnaire ou pas, Huysmans a sans doute vu juste. Aujourd'hui, c'est peut-être quand la primauté chez Raffaëlli est accordée aux petites scènes banales du quotidien et aux diverses scènes de moeurs, sous forme de petits tableaux légendés, ici un déménagement, là une discussion sur un banc ou la promenade du dimanche d'un couple bourgeois, que nous sommes le plus séduits. 
 

Pour aller plus loin

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.