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Le Roman des Sept Sages de Rome, un cycle romanesque du Moyen Âge (2/2)

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Le Roman des Sept Sages de Rome est un des « best sellers » de la seconde moitié du Moyen Âge. Avec ses continuations, il forme un riche ensemble littéraire à l’abondante tradition manuscrite, dont de magnifiques exemples sont conservés à la BnF. Un projet de recherche de l'Université de Genève (FNS) et de l'Université Libre de Bruxelles (FNRS), "Canoniser les Sept Sages", a entrepris d'en étudier l'histoire et la production.

La bataille de Bagdad (début du Roman de Cassidorus). Attribué à Évrart d'Espinques, Crozant, France, 1466. BnF, Manuscrits, Français 93, f. 186r

La première partie du cycle – De Rome à Constantinople, de la marâtre à l’épouse admirable
Le Roman des Sept Sages a, dans un premier temps, fait l’objet de deux continuations : le Roman de Marques de Rome puis le Roman de Laurin, tous deux composés dans le courant du XIIIe siècle, en ancien français et directement en prose. Les deux romans racontent l’histoire de la descendance du sage Caton, tout d’abord en suivant les mésaventures de Marques, le sénéchal de l’empereur de Rome qui se trouve être le héros des Sept Sages. Ce dernier, une fois marié, voit sa jeune épouse accuser le sénéchal de tromperie et réclamer sa condamnation. Le roman perpétue ainsi le motif de la femme pernicieuse et manipulatrice ainsi que celui de la fausse accusation portée contre un jeune homme innocent qui se défend avec sagesse. Le procès qui s’ensuit est analogue à celui raconté dans le roman souche et se solde par la même condamnation de la perfide épouse de l’empereur.

Le Roman de Laurin, en revanche, assume définitivement une transition vers une narration linéaire où les mésaventures de différents personnages sont racontées simultanément. On y suit les aventures de Laurin, le jeune fils de Marques, chassé du trône de Constantinople. Laurin engage le roman sur une voie bien plus chevaleresque et gagne, pour ce faire, la Bretagne du roi Arthur, où il rencontre les chevaliers de la Table Ronde. On y retrouve certains motifs chers aux romans précédents, comme celui de la perfidie féminine. Cependant, pour la première fois, la victime de la calomnie est un personnage féminin, Dyogenne, qui doit fuir les persécutions en compagnie  de son petit enfant.

Combat de Laurin et de Desier
Roman de Laurin, France, XIVe s.
BnF, Manuscrits, Français 17000, f. 97v

 

La seconde partie du cycle – Games of Thrones, le problématique héritage des empires de Rome et de Constantinople, itinéraires transgenres et  bigamie involontaire

Quatre autres romans viennent terminer le cycle : le Roman de Cassidorus, ceux d’Helcanus, de Pelyarmenus et de Kanor. Ils forment une tradition plus ou moins autonome, probablement inaugurée au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle. La figure de l’empereur Cassidorus, troisième souverain de la lignée de Caton le Sage, y domine. Cette unité narrative est confirmée par la majorité des manuscrits présentant le cycle dans son intégralité, mais aussi par le manuscrit BnF, Français 1446, qui semble résumer cette seconde partie du cycle.

Cassidore meurt en couche et Cassidorus est placé à l’étude
Les Sept Sages de Rome [...], France, XIVe s.
BnF, Manuscrits, Français 25548, f. 172r
 

 Le Roman de Cassidorus intègre nombre d’interpolations (débats amoureux, exposé didactique, épîtres). L’intrigue se déploie à partir des deux mariages successifs de Cassidorus, qui permettent l’union des deux empires, Rome et Constantinople, mais causent aussi une curieuse situation de bigamie involontaire. Lorsque sa première épouse Helcana est tenue pour morte, Cassidorus est poussé à se marier avec sa cousine Fastige, impératrice de Rome, avant de retomber dans les bras de son premier amour. L’ordre successoral est ainsi perturbé et engage le cycle vers de nouvelles configuration narratives.

Cassidorus et les deux impératrices
Roman de Cassidorus, Attribué à Évrart d'Espinques, Crozant, France, 1466
BnF, Manuscrits, Français 93, f. 267v

Le cycle remanie des récits d’origine hagiographique, pour les appliquer à des héros profanes et notamment aux figures de reines et d’impératrices. C’est ainsi que, chassée de Constantinople, Helcana vivra plusieurs années comme un ermite, sur le modèle de nombreuses légendes de femmes devenues moines dont les vies sont racontées dans la Légende dorée

Helcana devient un ermite et vit pendant sept ans sous une identité masculine (réécriture de la vie de sainte Marine)
Les Sept Sages de Rome [...], France, XIVe s.
BnF, Manuscrits, Français 25549, f. 25v

Le Roman de Pelyarmenus fait une large place à la soif de pouvoir de Pelyarmenus. Ce prince cherche à tuer son petit frère et sa petite sœur et entre en guerre contre son frère Helcanus. Le texte voit ainsi naître un autre type de « héros ». Contrairement à ses frères, reconnus pour leur vertu, leur sagesse et leur prouesse, Pelyarmenus se distingue par une force qu’il met au service d’une appétence immorale pour l’accession au trône. Le caractère généalogique du cycle atteint un point de rupture.
 

Tournoi de chevaliers s’affrontant en armures et à cheval dans une grande mêlée
Les Sept Sages de Rome [...], France, XIVe s.
BnF, Manuscrits, Français 25550, f. 21r

Les jumeaux Fastidorus et Pelyarmenus sont à leur tour remplacés par une autre génération prolifique, celle des quatre derniers fils de Fastige dans la dernière partie du cycle, Kanor, qui met en contact la littérature d’inspiration antique avec l’esprit des croisades. Cette ultime partie se réfère à la Chevalerie Judas Macabé, texte composé à la cour de Flandre vers 1280-1285.

Dialogus, sur l’ordre de Pelyarmenus, jette Dorus et Cassidoire à l’eau
Li Histoire de Kanor et de ses freres, France, XIIIe-XIVe s.
BnF, Manuscrits, Français 1446, f. 1r

Les manuscrits du cycle : réseaux complexes de production
Les manuscrits de cette ample tradition textuelle permettent d’identifier les réseaux de production et de diffusion du cycle. Un manuscrit (BnF, Français 1446) contient une dédicace à Hugues II de Châtillon, comte de Blois à partir de 1291. Un autre témoin (Turin, Biblioteca nazionale, 1650) renvoie à Gui de Dampierre (1225-1305), le beau-père d’Hugues II de Châtillon. Le titre d’empereur de Constantinople peut être mis en relation avec ces puissants princes par l’entremise de Marguerite de Constantinople, comtesse de Hainaut et de Flandre, la mère de Gui de Dampierre. En outre, les deux mariages consécutifs de Marguerite de Flandre avec Bouchard d’Avesnes, puis avec Guillaume de Dampierre sont à l’origine de la querelle de succession entre les Dampierre et les d’Avesnes. Il n’est donc pas impossible, comme l’ont souligné certains éditeurs de ces textes, Palermo et McMunn, que les continuations des Sept sages centrées sur les querelles de succession engendrées par la bigamie de Cassidorus, aient suscité de l’intérêt dans ce contexte. Le texte est aussi copié, plus tardivement, dans le manuscrit BnF, Français 93, au XVe s. par Michel Gonnot. Le manuscrit porte les armes de puissants princes de Bourbon et d’Armagnac, en plus d’une dédicace à Pierre II, fils de Jean II de Bourbon. Ce volume de grand luxe témoigne de l’intérêt persistant des élites pour le Cycle des Sept Sages.
Enfin, la production de plusieurs manuscrits qui contiennent tout le cycle, comme les manuscrits BnF, Français 22548-22550, attesteraient, selon Richard H. Rouse et Mary A. Rouse, un lien entre la construction du cycle et la cour de France au début du XIVe siècle. Selon cette hypothèse, le rassemblement du cycle et surtout du deuxième épicycle en un tout cohérent proviendrait d’un célèbre atelier parisien, L’histoire de la constitution du cycle atteste donc l’existence de réseaux complexes de production, de mécénat et de réception des œuvres vernaculaires.

Retour des sept sages auprès de Fiseus
Roman de Marques de Rome, France, XIVe s.
BnF, Manuscrits, Français 17000, f. 38r

Le projet « Canoniser les Sept Sages »
Le premier objectif du projet « Canoniser les Sept Sages » est de mieux comprendre le Cycle des Sept Sages dans sa complexité. Ce vaste projet romanesque, bien qu’ayant connu une large diffusion au Moyen Âge, reste relativement inconnu ou ignoré, aussi bien dans le canon de la littérature française médiévale que dans le monde académique. Afin de rendre justice au Cycle des Sept Sages, il convient de proposer une analyse des récits qui le composent, en les replaçant dans leurs contextes politiques, culturels ou encore esthétiques. Par ailleurs, le texte du Roman de Pelyarmenus, encore aujourd’hui largement inédit, appelle un travail éditorial. Le projet vise également à déterminer les critères distinctifs de l’histoire littéraire qui ont contribué à minorer l’importance de ce monument littéraire. La tradition manuscrite, manifestement éclatée entre les cours de Flandre, de Hainaut et de Paris, offre également un objet d’étude complexe et éclairant à étudier plus en profondeur, afin de mieux saisir la circulation de ces textes et leurs contextes de rédaction ou de copie.


 

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