Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

Les origines de l'humain

0
6 avril 2023

Dans le cadre du cycle de conférences Les Débats au cœur de la science consacré cette année à la question des origines, la BnF vous invite le jeudi 13 avril à 18h30 à une conférence sur le thème des origines de l'humain

Squelette de l’homme et des quatre genres anthropoïdes. Source : Anthropogénie, ou Histoire de l'évolution humaine.

Le document point de départ

Chaque séance du cycle s’ouvre par le commentaire d’un document disponible dans Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF. Le document que nous avons retenu est un article paru dans Le Journal, le 15 décembre 1908 : "L'homme singe du museum. Aurait-on enfin trouvé le chaînon intermédiaire entre le Singe et l'Homme ?" Cet article relate la découverte de l’homme de La Chapelle-aux-Saints, premier fossile de Néandertalien découvert en France en 1908, ainsi que l’analyse qui en a été faite par Marcellin Boule (1861-1942), directeur du laboratoire de paléontologie du Muséum d’histoire naturelle.

La découverte d’une nouvelle espèce

Le squelette est découvert le 3 août 1908 par les frères Amédée, Jean et Paul Bouyssonie, dans une grotte située près du village de La Chapelle-aux-Saints, en Corrèze. C’est le premier spécimen de Néandertalien découvert en France. D’autres restes seront mis au jour quelques années plus tard, sur le site de La Ferrassie, en Dordogne.

Tête osseuse de l’Homme fossile de La Chapelle-aux-Saints  In : Boule, Marcellin, « L’homme fossile de La Chapelle-aux-Sains (Corrèze) », 

A l’origine, c’est une découverte majeure, intervenue en 1856 sur le site de Feldhofer, en Allemagne, dans la vallée (thal) de Neander, qui a donné à l’espèce son nom de Néandertal (le h a disparu suite à une réforme de l’orthographe allemande). La multiplication des découvertes de fossiles aboutit à la définition de l’espèce Homo neanderthalensis (le h demeure dans le nom de l’espèce) par le paléontologue britannique William King en 1863. Du fait des nombreux fossiles qui ont été trouvés mais aussi de sa longue durée de vie (350 000 ans environ), Néandertal est l’espèce d’humain préhistorique la mieux connue et la mieux documentée. 
Il faut souligner le bouleversement que représentèrent, à l’époque, cette découverte et, plus encore, l’acceptation de l’idée même que les Néandertaliens avaient constitué un autre groupe humain, distinct des humains actuels, ayant vécu dans les temps préhistoriques. Dès sa découverte, l’espèce suscita débats et controverses, dont certains demeurent aujourd’hui.

Du « chaînon manquant » au « buisson de l’humanité »

Le squelette découvert à La Chapelle-aux-Saints est transféré au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, où il est analysé par Marcellin Boule (1861-1942), éminente figure de la paléontologie de l’époque. Celui-ci commence à en publier la description dans la revue qu’il dirige, L’Anthropologie, à partir de 1908, puis dans son ouvrage Les hommes fossiles, paru pour la première fois en 1920 et plusieurs fois réédité. L’article en une du Journal, qui rend compte d’une présentation faite à l’Académie des sciences, se fait l’écho, auprès du grand public, de ses conclusions. 
L’image que donne Marcellin Boule de l’homme de Néandertal est celle d’un être primitif, à mi-chemin entre l’homme et le singe : c’est un « singe très supérieur » ou « un homme très inférieur », qui peinait à se tenir debout et ne savait pas sourire (!). Cette représentation allait fixer pour de nombreuses années l’image d’un être frustre et bestial, plus proche de l’animal que de l’homme, et alimenter une riche iconographie dont on peut citer une célèbre représentation de Kupka, parue dans L’Illustration en février 1909.

Source : L'Homme-singe et nos savants, par A. Haté, 1881

En réalité, l’homme de Néandertal n’était pas la brute épaisse telle qu’elle est ici décrite. On sait qu’il maîtrisait le feu, fabriquait des outils et chassait les herbivores. Il connaissait aussi les vertus des plantes médicinales, possédait un langage articulé et, ce qui a été confirmé par des découvertes récentes, pratiquait l’inhumation des morts. 

L’époque est alors à la recherche du « chaînon manquant », c’est-à-dire l’espèce intermédiaire, qui, au sein du processus d’évolution, viendrait combler le vide entre le singe et l’homme. Cette vision linéaire de l’évolution a connu sa plus célèbre illustration sous la forme d’un dessin de Rudolph Franz Salinger, intitulé « La marche du progrès », conçu pour l’ouvrage de Francis Clarke Howell, The Early Man, paru aux États-Unis en 1965 (et en France en 1974, sous le titre L’homme préhistorique). Ce dessin est visible sur le site du Muséum national d’histoire naturelle. Son succès a été tel qu’il est apparu dans de nombreux manuels scolaires et reste prégnant dans l’esprit du grand public, au point d’être régulièrement détourné.
Cette image véhicule pourtant une idée fausse de l’évolution. Si l’on se fie à ce schéma, l’évolution est un processus linéaire : l’homme descend du singe et s’est progressivement redressé, les différentes espèces d’humains préhistoriques se sont succédé les unes aux autres et l’évolution s’achève avec l’avènement d’Homo sapiens, dès lors considéré comme l’espèce la plus évoluée.
En réalité, le chaînon manquant n’existe pas. L’homme ne descend pas du singe, mais d’un ancêtre commun, vieux de plusieurs millions d’années. L’évolution n’est pas un processus linéaire mais un phénomène complexe et n’est pas synonyme de progrès. En l’état de nos connaissances, la meilleure façon de représenter notre évolution est celle d’un « buisson », mieux à même de rendre compte d’une humanité plurielle, dont les espèces ou taxons – une trentaine connus à ce jour – ont souvent coexisté, parfois sur les mêmes territoires. 
Ainsi Neandertal n’est pas notre ancêtre, comme le suggère « La marche du progrès », mais notre cousin. Il côtoya Homo sapiens en Europe et nous savons aujourd’hui, grâce à la génétique, qu’il y a eu un métissage entre les deux espèces, au point qu’il nous a légué quelques fragments d’ADN.

Méthodes d’hier et d’aujourd’hui

Afin de comprendre et d’analyser le squelette de l’homme de La Chapelle-aux-Saints, Marcellin Boule le compare au squelette découvert en Allemagne en 1856, dont, nous dit l’article, le Muséum « possède un moulage exact ».

Portrait de Marcellin Boule, paléontologue : photographie de presse / Agence Rol, 1909.

La description des fossiles et la comparaison avec les autres espèces, anciennes et actuelles, de singe et d’hommes, restent des activités majeures des paléoanthropologues d’aujourd’hui. Mais à la différence de leur prestigieux prédécesseur, ceux-ci bénéficient des apports de l’informatique et des technologies d’imagerie : les scanners médicaux et la microtomographie, par exemple, qu’utilisent Antoine Balzeau et son équipe dans le cadre du projet « PaleoBRAIN », destiné à comprendre la morphologie du cerveau d’Homo erectus et des Néandertaliens.

La paléoanthropologie a également bénéficié de l’apport majeur de l’étude de l’ADN et de celle des protéines contenues dans les fossiles (protéomique). La paléogénomique a ainsi a valu le prix Nobel de médecine 2022 au Suédois Svante Pääbo, décrypteur du génome de Néandertal. La génomique est aussi un des pans du projet « Search4Sapiens », dont Silvana Condemi est porteuse, et qui vise, avec l’apport de la paléoanthropologie et de l’archéologie, à analyser et à comparer les changements biologiques et comportementaux qui ont rendu possible la métabolisation efficace des aliments riches en amidon qui s'est produite en Eurasie avec l'arrivée d'Homo Sapiens.

La diffusion d’une découverte scientifique


 

L’article paraît dans Le Journal, quotidien fondé en 1892 et très largement diffusé : à 1913, à son apogée, son tirage atteignait un million d’exemplaires. La Préhistoire est encore mal connue du grand public, qui commence à découvrir la théorie de l’évolution. Le titre de l’article est volontiers sensationnaliste et il côtoie deux faits divers aux titres quelque peu racoleurs (« Un romanesque imbroglio » et « L’amant de Mme Jolais poussa son frère au crime »), qui ont bien sûr pour objectif d’attirer l’attention du lecteur. 

La médiatisation des découvertes de fossiles s’est amplifiée ces dernières années, et avec elle, celle des controverses qui ont pu les accompagner. Le public s’est passionné pour la découverte de Lucy, un squelette d’Australopithèque trouvé en Ethiopie en 1974 par une équipe internationale et nommé d’après une chanson des Beatles.  
Plus récemment, Toumaï, mis au jour par l’équipe de Michel Brunet au Tchad en 2001, a fait l’objet de nombreux articles dans la presse généraliste et de vulgarisation scientifique. C’est, à ce jour, le plus ancien représentant de l’humanité connu, puisqu’il est daté de plus de 7 millions d’années. Plus que sa découverte, c’est la controverse relative à sa bipédie et au fémur retrouvé non loin du crâne qui ont suscité l’intérêt. Un article paru dans Nature le 24 août 2022 a - pour le moment - clos la discussion puisqu’il conclut à la bipédie de Toumaï, à partir de l’analyse du fémur et de deux autres éléments du squelette. Quatre ans plus tôt, un autre quotidien, Le Monde, titrait « L’histoire trouble du fémur de Toumaï ».
Une façon de renouer, cent dix ans après le Journal, avec la tradition du titre sensationnaliste !

Pour aller plus loin 

 

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.