Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

Molière et les médecins de son temps

0
5 octobre 2022

Dans son oeuvre théâtrale, Molière accorde une place de choix aux personnages de médecins, mais leur représentation y est-elle fantaisiste ou fondée sur une certaine réalité ?

Femme qui se fait seigner par precaution : [estampe], 16??

Un thème récurrent

De fait, le personnage du médecin est un des protagonistes de sept pièces de théâtre, sans compter celles où il occupe une place anecdotique. Cependant, les cinq premières (Le Docteur amoureux, Le Médecin volant, Le Docteur pédant, Les trois médecins pédants, L’Amour médecin) étaient destinées à un public rural et populaire, friand de farces et fabliaux où le trait est volontairement exagéré. Dans les oeuvres plus tardives, même si on retrouve la volonté de tourner en dérision la profession, l’humour ne se situe pas sur le même registre. Il y est plus subtil et réfléchi car cette fois il s’adresse à la bonne société parisienne, patientèle des médecins ainsi portraiturés et informée de la rivalité féroce qui agite le milieu médical du XVIIe siècle.
 

Les Remèdes à tous maux. Source : Recueil de modes [estampes], 1750

Querelle théorique

Pour exercer, les médecins doivent être titulaires d'un doctorat délivré par une vingtaine de facultés. Cependant, le niveau des études y étant inégal, la Faculté de médecine de Paris stigmatise les médecins "étrangers", en l'occurrence les provinciaux. Molière fait allusion à cet esprit d'entre-soi avec son expression "médecin de dehors". Même les docteurs ayant étudié à la réputée Ecole de Montpellier sont jugés trop novateurs et hérétiques. Pourtant, avant la nomination de Guy-Crescent Fagon (1638-1718) comme archiâtre à la Cour de Louis XIV, les Premiers Médecins du roi sont montpelliérains. Ils sont adeptes d’astrologie et de médecine spagirique ou chimique, héritée de la tradition arabe et du Suisse Paracelse qui, pendant la Renaissance, avait développé la théorie des signatures : Similia similibus curantur (les semblables soignent les semblables).
Face à eux, les docteurs-régents de la Faculté de médecine de Paris, menés par les doyens Jean Riolan et Gui Patin, dispensent un enseignement dogmatique plongé dans l’obscurantisme. En effet, la théorie des humeurs d'Hippocrate fait florès et a été reprise par Galien qui y superpose à son tour celle des quatre tempéraments. Mais tous deux étaient des piètres anatomistes et par voie de conséquence, les étudiants en médecine ont des vagues notions d'anatomie émaillées d'erreurs. Il faut attendre le XVIe siècle pour que l'italien André Vésale (1514-1564) réinvente cette science. Les médecins moliéresques déclament au mot près les théories humorale et galénique. Naturellement, tous ces dignes représentants de la médecine sont réfractaires au progrès.  

Blason de la Faculté de médecine de Paris soutenu
par Hippocrate et Galien (Collection de la BIU Santé)

Un conservatisme rétrograde

En 1649, Jean Riolan rejette la théorie du britannique William Harvey (1578-1657) sur la circulation du sang. Molière fait une allusion très nette à cette controverse dans le Malade imaginaire où Thomas Diafoirus est censé avoir soutenu une thèse à l'encontre des "circulateurs". Une preuve supplémentaire de la méconnaissance chez les médecins contemporains de l’anatomie et de la physiologie, due à l’horreur du sang proclamée par l’Eglise lors du Concile de Tours de 1163 : ""Ecclesia abhorret a sanguine". Les dissections humaines, pourtant indispensables à la compréhension du corps, sont donc assorties d’interdits : au XVIIe siècle, seuls les corps des condamnés à mort pouvaient être ouverts par les barbiers-chirurgiens ou chirurgiens. Pire : les médecins n’étaient pas autorisés à toucher les corps de leurs patients - à part la prise du pouls - et se contentaient d’énoncer leur diagnostic. Ainsi, après le retour en grâce de la chirurgie - suite à la Grande Opération effectuée avec succès sur Louis XIV - les praticiens se sont appropriés le véritable savoir au détriment de médecins ignares.

Une consultation médicale au XVIIe siècle

Dans Monsieur de Pourceaugnac, le protocole d’un acte médical est décrit sous la forme de trois étapes obligées :

  1. Diagnose : diagnostic reposant sur la connaissance des symptômes
  2. Prognose : pronostic, jugement d’après les symptômes
  3. Thérapie

Le tout est enrobé d’une langue étrange, composée de mots français affublés de désinences latines. Le dramaturge utilise ce procédé afin de souligner le côté pompeux et abscons du discours et la volonté délibérée de provoquer l’incompréhension du tout-venant. Mais là encore, il ne fait que restituer le langage inventé par les professeurs lors des leçons d’anatomie dispensées d'abord en latin très châtié, puis en latin de cuisine : cela était censé placer leur enseignement à la portée des barbiers-chirurgiens ignorant les Lettres classiques.

La diagnose consiste en :

Cela semble avoir inspiré ce personnage d'empirique qui, dans Elomire hypocondre à la seule vue des urines, est capable de prononcer un diagnostic ou bien dans Le médecin volant paie de sa personne en n’hésitant pas à les goûter.

L’arsenal thérapeutique se limite à des régimes, diètes, bains chauds, ponctués du credo galénique :  

Clysterium.donare,
Postea saignare,
Ensuita purgare,
Resaignare, repurgare et reclysterisare.

Dans sa série de sept planches "Les métiers", le dessinateur Abraham Bosse nous dépeint l'application par un médecin d'un clystère à une femme alitée. Il s'agit d'une injection d'eau chargée ou non de médicament qui se fait par le fondement. Le but est de laver les intestins en envoyant de l'eau dans le côlon. Par extension, le mot désigne ensuite la grande seringue métallique utilisée à cette fin et placée bien en évidence entre les mains du praticien. Le résultat ne se faisant pas attendre, une servante portant une chaise persée se tient prête à s'approcher. Une servante plus âgée s'accroche au bras du médecin afin d'empêcher l'acte.

Le médecin et le clystère / Abraham Bosse, [1635].(Collection de Numelyo).

Si le médecin d’Argan répond au nom de Purgon, ce n’est pas un hasard : la purge devient un acte quotidien car il faut libérer le corps de ses humeurs excessives, causes de maladies.
On va aussi user et abuser des saignées : Louis XIV l’aurait été 47 fois en une année et finit par s'y soustraire définitivement. Même lorsque l’acte pratiqué sur son illustre patient semble aggraver son état de santé, cela ne semble pas troubler outre-mesure l’archiâtre Daquin. Molière tourne en dérision Gui Patin, adepte forcené de la saignée et en dénonce l'usage abusif par précaution, à l'instar de Sganarelle inquiet de la trop bonne santé d’une nourrice... 
Madame de Sévigné se récrie à son tour
:

 les médecins sont enragés de vouloir toujours faire quelque chose …

Cependant, les docteurs divergent quant à la nature de certains évacuants comme le vin émétique à base d’antimoine. Ce vomitif prôné par les titulaires de l’Ecole de Montpellier connut un certain succès car il aurait guéri Louis XIV de la grave maladie dont il fut atteint en 1658. Or les courtisans se conformaient aux modes lancées par le souverain, même dans le domaine médical. Mais cet ingrédient chimique fut ensuite stigmatisé par la Faculté de Paris. Ainsi Gui Patin accuse Guénaut d’avoir tué sa propre fille en lui en administrant et tel semble être l'avis de l'auteur.

Après la mort le médecin : à quoy bon d'un corps mort consulter les urines....
Estampe, 165?

Une satire bien informée

Les apothicaires et docteurs sont dépeints comme des êtres cupides : aussi coûteuses qu’inefficaces, leurs drogues sont destinées aux milieux aisés de la bourgeoisie et de l’aristocratie. Dès le début de la pièce, le Malade imaginaire se livre à des comptes d’apothicaire. Si l'écrivain connait si bien le coût de ces remèdes c'est qu'il y a lui-même eu recours. En effet, l’inventaire effectué après son décès a révélé qu’il était débiteur de ces commerçants.
Dans le Médecin malgré lui, le charlatan Sganarelle se félicite des avantages d'une profession dont les victimes ne sont plus en mesure de se plaindre... Avant de connaître le succès, Molière a tenu les comptes d’un barbier-chirurgien : en déguisant Toinette en opérateur ambulant, il lève le voile sur leurs pratiques douteuses.
Au XVIIe siècle, la philosophie s’intéresse également à la médecine. Dans ses jeunes années, le futur homme de théâtre a reçu une éducation classique chez les Jésuites et suivi les cours de Gassendi, adepte de la théorie épicurienne - qui remet en cause la physiologie galénique -  et affichant son aversion à l’égard des pédants.
Enfin, son ami Mauvillain, médecin montpelliérain, lui a certainement servi de conseiller scientifique lors de l’écriture de son oeuvre.

Accès en plein écran

Pourquoi cet acharnement vis-à-vis des médecins ?

Cette méfiance s’inscrit dans l’air du temps. En effet, la reine Marie-Thérèse est morte des suites d’une erreur de diagnostic. Au chevet du cardinal Mazarin agonisant, quatre docteurs incriminent chacun un organe différent. Sans parler de nombreuses victimes dans l’entourage direct du dramaturge, dont son protecteur le prince de Conti. Rien d'étonnant à ce que les contemporains aient préféré se tourner vers les empiriques ou charlatans tant l'impuissance du corps médical devant la maladie était avérée.
Molière eut aussi des démêlés avec Antoine Daquin (ou d'Aquin), le propriétaire de sa maison et trouve une vengeance facile dans la pièce L’Amour médecin où il dresse la caricature de cinq médecins de la Cour. Les acteurs y  portaient, dit-on, un masque à l’effigie des vrais personnages. Un des cinq est Daquin auquel il attribue un nom grec signifiant « le saigneur ».

Mr Daquin Larmier Médecin / Jans H.
(Collection du Museum national d'histoire naturelle)

Les personnages de médecins dans les pièces de Molière reflètent donc bien une réalité. Les contemporains semblent avoir été conscients du conservatisme frileux d’un corps médical réfugié derrière les écrits des Anciens et réticent face aux avancées scientifiques. Cette médecine dogmatique leur interdisait toute chance de survie lorsque survenait la maladie, quand elle ne les tuait pas par des traitements inappropriés affaiblissant encore davantage leur organisme. Ce n'est qu'à partir du XIXe siècle que les praticiens s'imprégnant de nouveaux savoirs deviennent aptes à sauver des vies : ils seront désormais reconnus à l'aune de leurs compétences.

Cabinet des consultations du fameux médecin de Beux : estampe / Jean Lepautre, 1680.
 

Pour aller plus loin :

Pour en savoir plus :

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.