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La visite du roi afghan Amânullâh Khan en France en 1928

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L’année 2022 marque le centenaire de l’établissement de relations diplomatiques et culturelles entre la France et l’Afghanistan. Pour commémorer cet anniversaire, Gallica consacre une série de billets aux échanges entre les deux pays et à la culture de l'Afghanistan.

25/1/28, les souverains d'Afghanistan à l'Hôtel de ville : [photographie de presse] / [Agence Rol]

Il y a cent ans, l’émir Amanullâh Khân signe la convention concédant le privilège des fouilles archéologiques à la France, donnant naissance à l'amitié franco-afghane. Devenu roi, il rend visite à la France en 1928 lors d’une tournée européenne.

Un jeune roi avide de modernité

Barrage de Gaznie en Afghanistan, remis en état par Amanullah

Suite à l’assassinat de son père, l’émir Habibullah, en février 1919 (L’Homme libre, 10 mai 1919), Amânullâh Khan va être proclamé émir le 28 février 1919 (Le XIXème siècle, 5 mars 1919). Dès le 7 avril, il adresse un message destiné à différents pays européens dont la France. En août, le traité de Rawalpindi libère l’Afghanistan de la tutelle britannique. L’Italie et la France reconnaissent immédiatement le nouvel État même si la France attends 1922 pour établir ses premières relations officielles avec lui » et ce afin d’éviter toute confusion sur ce que marque le centenaire des relations France-Afghanistan.

Amanullah Khan (dit Aman Allah), Agence Rol, 1928

Très vite, le monarque a pour souci de moderniser son pays en s’appuyant sur le modèle de Mustapha Kemal et des Jeunes-Turcs. Le programme de modernisation touche nombre de domaines : agriculture, postes et télécommunications, institutions, etc. Amânullâh s’attaque également à l’aménagement du territoire qui passe par la construction de barrages et la modernisation des routes (Revue internationale de sociologie, janvier-février 1925) :

Revue internationale de sociologie, janvier-février 1925, p.68

L’Europe nouvelle, 28 janvier 1928

Un reportage sur l’Afghanistan (Revue des deux mondes, 15 janvier 1927) salue l’importance du rôle d’Amânullâh Khan pour assurer l’indépendance de son pays, la modernisation de l’armée, le développement de l’éducation de son peuple, l’adoucissement des mœurs, et en particulier l’abolition de la polygamie. Il a en effet pour but de transformer son pays en Etat moderne, ce qui ne va pas sans résistance.

« Au printemps de 1924, l’Emir ayant proclamé le droit, pour les filles afghanes, de choisir librement leur mari, cette réforme fut jugée sacrilège par les moullahs de quelques tribus méridionales. » (page 236).

La Revue des deux mondes, 15 janvier 1927, p.335

Un lien fort avec la France

Dès le début de son règne, Amânullâh entretient d’étroites relations avec la France qui s’affirme comme un partenaire privilégié des élites politiques, sociales et intellectuelles.
 En 1921, ce sont trois Afghans qui partent étudier dans les lycées français. Dans une lettre au président Alexandre Millerand, Amânullâh indique : « Mon désir est qu’après être familiarisés avec les essentiels de la science et de la civilisation française, ces jeunes gens reviennent en Afghanistan pour servir de trait d’union entre nos pays » (90 ans de relations France-Afghanistan).

 Paris, 25-1-28, jeunes Afghanistans élèves de lycées, Agence Rol

Des élèves officiers (dont Tawâb Tarzi, beau-frère d’Amânullâh) intègrent Saint-Cyr tandis que d’autres descendants de l’aristocratie se formeront par la suite au métier d’ingénieur en France.
 De 1922 à 1924, le réformateur Mahmoud Tarzi, proche du mouvement Jeunes-Turcs et beau-père d’Amânullâh, est nommé ministre plénipotentiaire en France. Les relations culturelles entre les deux pays s’intensifient.

Convention signée entre la France et l’Afghanistan, 9/9/1922
In Société des nations. Enregistrement des traités, juillet 1930

Le 3 février 1923, s’ouvre à Djabal ul-Sarâdji l’école Âmânya, collège afghan de langue française.

En 1924, l’oncle maternel de l’épouse d’Amânullâh, Soraya, en devient le directeur.

Le 28 avril 1922, une convention est signée entre la France et l’Afghanistan visant à accroître les relations diplomatiques et commerciales. Le 9 septembre, Amânullâh concède à la France le monopole des fouilles pour 30 ans sous l’égide d’Alfred Foucher, archéologue et orientaliste qui est le premier Français à entrer en Afghanistan fin 1922.

Revue internationale de sociologie, janvier 1925

La France n’a toutefois pas le monopole des faveurs afghanes. C’est ainsi qu’en 1924 s’ouvre un collège afghan de langue allemande puis en 1927, un collège afghan de langue anglaise.

La France, étape d’un voyage d’information en Europe

   

Paris, 28 janvier 1928, voyage des souverains d’Afghanistan

La multitude de liens noués entre la France et l’Afghanistan fait de l’étape française de 16 jours le point d’orgue du voyage des souverains afghans en Europe commencé en 1927. L’événement est attendu. Dès le 24 janvier, la presse est élogieuse.

La France va être heureuse d’accueillir le jeune et déjà glorieux souverain d’un des plus vieux, d’un des plus beaux pays du monde.

 (L’Information, 18 janvier 1928).

L’objectif de renforcer encore la coopération entre les deux États n’échappe pas à la presse.

Selon Les Échos, « Le roi Amanullah Khan a entrepris de moderniser économiquement et intellectuellement l’Afghanistan et il est possible qu’il cherche des crédits. » (24 janvier 1928).

Les souverains vont être reçus en grande pompe. (  La Liberté, 25 janvier 1928).

Paris-Soir annonce l’arrivée à Nice du roi Amânullâh et de la reine Thouragah (sic) ; ils viennent de Gênes (24 janvier 1928) où ils ont clos leur visite officielle en Italie commencée le 8 janvier (La Croix du Nord, 10 janvier 1928).

 

Paris, 25-1-28, voyage des souverains d'Afghanistan, la reine et M. Briand, Agence Rol

L’étape est très courte puisque, dès le lendemain, La Liberté (25 janvier 1928) rend compte de l’accueil en grande pompe du roi et de son épouse à Paris. Le couple royal est attendu en gare du Bois-de-Boulogne par le président de la République Gaston Doumergue, le président du Sénat Paul Doumer, le président de la Chambre des députés Ferdinand Buisson, le président du Conseil Raymond Poincaré, le ministre des Affaires étrangères Aristide Briand et l’ensemble du gouvernement.

 Après s’être installés dans leurs appartements du Quai-d’Orsay, les souverains sont reçus à l’Hôtel-de-Ville. Un dîner officiel à l’Élysée clôt la première journée du séjour. L’Excelsior (26 janvier 1928) souligne « l’accueil chaleureux de Paris » et les « liens étroits unissant déjà la France et l’Afghanistan qui envoie ses enfants dans nos universités ».

Excelsior, 26/01/1928

Aujourd’hui ce n’est pas seulement un roi que la capitale acclame, c’est aussi une souveraine.

  (La Liberté, 26 janvier 1928)

Le 26 janvier, c’est en compagnie du ministre de la Guerre, Paul Painlevé, que le couple royal commence son voyage en allant se recueillir devant l’Arc de Triomphe et le Soldat Inconnu en fin de matinée. L’après-midi est consacrée à une visite du château de Versailles où les accompagne le ministre de l’Instruction publique Édouard Herriot (La Liberté, 27 janvier 1928).

28 janvier 1928, Les souverains d’Afghanistan à Versailles

Ils sont ensuite à nouveau conviés à un diner officiel qui se tient au quai d’Orsay (Excelsior, 27 janvier 1928). Le lendemain, le rythme des visites ne faiblit pas. La journée suivante est consacrée à la visite des Invalides, du Panthéon, de l’Elysée (La Liberté, 28 janvier 1928) et du musée du Louvre (Excelsior, 28 janvier 1928).

Excelsior, 28/01/1928

La journée du 28 janvier est consacrée à la visite du parc des expositions (Excelsior, 29 janvier 1928). Le roi se rend au salon de la machine agricole pendant que sa femme découvre le salon des arts ménagers inauguré la veille.

Excelsior, 29 janvier 1928

D’autres visites vont suivre qui recoupent les préoccupations économiques, technologiques, militaires et culturelles d’Amânullâh : musée Guimet (Excelsior, 30 janvier 1928), musée du souvenir et école spéciale militaire de Saint-Cyr (Excelsior, 1er février 1928), aéroport du Bourget et Institut de coopération intellectuelle au Palais royal (Excelsior, 2 février 1928), camp militaire de Satory et École centrale (L’Œuvre, 7 février 1928), aérodrome de Villacoublay (Le Petit Parisien, 8 février 1928).

Le roi Amanullah Khan avec Paul Painlevé, ministre de la Guerre, à l’Institut de coopération, Agence Rol

Au cours de leur étape française, les souverains quittent deux fois la capitale. Des considérations économiques et la volonté d’amorcer l’industrialisation de l’Afghanistan expliquent leur séjour au Creusot et à Lyon ; du 2 au 4 février, ils visitent plusieurs usines, notamment textiles, ainsi que la Chambre de commerce et la foire de Lyon (Excelsior, 6 février 1928). 

Leur escapade de deux heures à Monte-Carlo, où ils se rendent au casino obéit sans doute à des considérations plus légères (Comoedia, 31 janvier 1928).

 Le 8 février, prend fin le voyage officiel des souverains qui se rendent en train à Bruxelles (Le Petit Parisien, 8 février 1928). Quelques jours plus tard, la reine est toutefois aperçue sortant du Crillon pour faire les boutiques incognito (The Paris Times, 12 février 1928).

 A royal visitor in Paris incognito, In The Paris Times, 12 février 1928

La visite royale est l’occasion pour la presse de revenir sur « Le rôle de l’empire afghan en Asie » (L’Europe nouvelle, 28 janvier 1928) en soulignant la modernité du roi Amânullâh Khan. Un extrait de L’Europe nouvelle est repris dans Le Figaro (31 janvier 1928) : « L’Afghanistan moderne ». Le journal La Croix de la Charente souligne l’intérêt de bonnes relations avec l’Afghanistan mais note la difficulté d’y introduire des missionnaires chrétiens (5 février 1928). L’Humanité replace quant à lui le voyage d’Amânullâh dans un contexte géopolitique plus vaste (25 janvier 1928).

Le Petit Journal, 3 février 1928

Le Petit journal annonce dans son supplément hebdomadaire, Le Petit journal illustré du 31 janvier 1928, un reportage consacré à l’Afghanistan tandis que dans son édition du 4 février 1928, l’Optima : hebdomadaire féminin illustré s’étonne d’avoir vu la souveraine non voilée.

L’abdication

A son retour en juillet, Amânullâh lance une série de réformes pour moderniser la société afghane ce qui marque le début d’une crise (L’Ouest-Éclair, 28 novembre 1928). Les ennemis de l’État et les « traditionnalistes » incitent à la rébellion.

L’Ouest-Éclair, 23 décembre 1928

Les liens avec la France continuent d’être très étroits. En novembre 1928, Habibullah Tarzi, cousin de la reine, est nommé ambassadeur à Paris. Un mois plus tard, en décembre 1928, l'armée de l'émir est confrontée au soulèvement des Shinwaris dans l’Est du pays. « La révolution en Afghanistan » : « une dangereuse révolte a éclaté contre les souverains qui tentaient de moderniser leur Etat » (L’Ouest-Éclair, 23 décembre 1928). Un certain « Bacha e Saqao » (le fils du porteur d’eau) commence à menacer Kaboul par le Nord (La vie d’un brigand-roi (Images, 21 septembre 1930).

  « Bacha e Saqao » (le fils du porteur d’eau) qui arriva à détroner le roi Amanullah Khan,
Images, 21 septembre 1930

Le 14 janvier 1929, pour éviter un bain de sang, le roi Amanullah décide d’abdiquer en faveur de son frère aîné, Inayatullah (L’Action française, 10 janvier 1929). Mais à peine trois jours plus tard, Kaboul est prise et le « fils du porteur d'eau » s’autoproclame émir sous le nom d'Habibullah Kalakhani.

Le Gaulois du 18 janvier 1929

Après une période de confusion rapportée par Le Gaulois du 18 janvier 1929, Amânullâh se réfugie à Kandahar ; il revient sur son abdication et se lance à la reconquête de Kaboul. Il décide de se retirer au mois de mars 1929. Il prend le chemin de l’exil via l’Inde britannique avant de s’installer définitivement à Rome (Le Midi socialiste, 6 novembre 1941).

Après l’avoir encensé lors de sa visite, la presse française présente le souverain sous un jour plus critique. Dans Le Journal du 3 février 1934, il est un « souverain détesté pour ses innovations et sa désinvolture ».

Pour prolonger cette commémoration de la longévité des relations culturelles franco-afghanes, la BnF organise, en partenariat avec le Centre d'études et de recherches documentaires sur l'Afghanistan (CEREDAF), une table ronde « France-Afghanistan : œuvres littéraires en regard » qui rassemblera Régis Koetschet, Jean-Pierre Perrin, Olivier Weber, André Velter et d'autres intervenants pour  échanger autour de la relation particulière qu’ont entretenue avec l’Afghanistan André Malraux et Joseph Kessel en mettant en regard le lien avec la France de personnalités littéraires et intellectuelles afghanes, tout particulièrement Sayd Bahodin Majrouh.
 
Cette manifestation, ouverte au public sans réservation, se tiendra le 23 novembre 2022 de 18h30 à 21h à la Bibliothèque François Mitterrand en salle 70.

Pour aller plus loin :

Commentaires

Soumis par Michel TOURNEUX le 02/11/2022

Exposition très complète et très fournie.. Une documentation exceptionnelle. C'est la première fois que je vos une photo de bacha e saqao. Y aurait il un moyen technique de rafraichir les vieilles photos? Certaines ont tellement jauni qu'elles sont peu lisibles.

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