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Les Atrides au Théâtre du Soleil : le costume d'un Coryphée

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Cette semaine, dans notre série de billets de blog Gallica autour des "Trésors de Richelieu", nous vous invitons à découvrir un des nombreux costumes conservés par le département des Arts du spectacle : le costume d'un coryphée dans la pièce Agamemnon, issue du cycle des Atrides revisité par le Théâtre du Soleil entre 1990 et 1992. Ces oeuvres sont exposées dans le cadre du musée de Richelieu.

Fonds du Théâtre du Soleil. Les Atrides, cycle (1990/1992 ; Mnouchkine). Agamemnon : rôle d'un Coryphée interprété par Nirupama Nityanandan

Après les grandes épopées asiatiques que furent L'histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge (1985) et L'Indiade ou L'Inde de leurs rêves (1987), la troupe du Théâtre du Soleil va porter ses pas vers la Grèce, à la rencontre des textes d'Euripide et d'Eschyle sous la forme d'un cycle dit des Atrides[1]. Quelles vont être les sources d'inspiration d'Ariane Mnouchkine, des comédiens et comédiennes, des costumières pour la création et la réalisation des costumes ? Comme souvent au Soleil, les réponses sont plurielles et s'entrecroisent.

À mille lieues d'un folklore grec contemporain revisitant l'Antiquité,

"sur scène vont apparaître des créatures théâtrales qui ne ressemblent à rien de connu, quoique l'inspiration principale puisse être désignée comme indienne : kutiyattam et kathakali, bharata natyam, à laquelle s'ajoutent des traditions d'Europe centrale, de folklore caucasien"[2].

Pour l'ensemble de ce nouveau cycle, la metteur en scène choisit comme couleurs de base le jaune, le noir, le blanc et le rouge. Une grande importance est attachée à l'esquisse d'une silhouette, à son emplacement sur le plateau, aux chatoiements des matières et des couleurs d'un costume, appelé à s'intégrer dans l'esthétique générale d'une scène.

Dans la plupart des théâtres, les costumes font l'objet d'un processus codifié en trois étapes : la réalisation d'une esquisse et/ou d'un dessin préparatoire, puis d'une maquette, laquelle va servir à l'exécution du costume qui, une fois réalisé, ne fera l'objet que d'infimes retouches. Rien de semblable au Soleil, exception faite des premiers spectacles[3] pour lesquels Roberto Moscoso, Françoise Tournafond et Daniel Ogier réalisent des croquis préparatoires et des maquettes parallèlement au travail d'improvisation et de répétition des comédiens et comédiennes. Fruit d'un travail collectif, la création du costume se nourrit des échanges, des recherches et des interactions entre Ariane Mnouchkine, la troupe et la Couture, vaste atelier se situant à proximité de la salle de répétition à la Cartoucherie[4]. Au début des répétitions de chaque nouveau spectacle, les costumes[5], les masques et les accessoires des productions précédentes sont mis à disposition des comédiens et des comédiennes

"qui mettent ce qu'ils veulent, telle jupe, telle tunique, tel pantalon, en totale liberté, au gré de leur improvisation. C'est au fur et à mesure de leur travail que les costumes prennent forme"[6].

Le costume n'a donc pas pour unique fonction d'habiller le comédien ou la comédienne, il est un élément constitutif de l'élaboration du personnage. Ses formes, sa composition (superposition de plusieurs éléments par exemple) évoluent par conséquent en fonction du jeu des membres de la troupe, lequel jeu peut être modifié jusqu'à la veille de la première. Les textures des tissus font également l'objet d'un soin particulier, notamment pour qu'elles n'entravent pas les mouvements des comédiens ou des comédiennes lorsqu'ils et elles dansent ou bondissent sur scène.
Lorsque Nirupama Nityanandan revêt le costume ici présenté d'un des trois Coryphées[7] dans Agamemnon, l'habit est composé de plusieurs éléments qui se superposent : un manteau long de couleur rouge en coton avec des bandes de satin jaune, un plastron en coton au motif floral stylisé et lacé sur le devant ; une sous-robe composée de deux jupons en coton noir et rouge bordés d'une bande jaune et d'une bande rouge pour donner au manteau de l'ampleur. L'ensemble est complété par plusieurs ceintures nouées autour de la taille et du cou.
 
La comédienne porte également une coiffe, une barbe et une paire de boucles d'oreilles et tient dans ses mains un bâton. La conception des accessoires de costumes a été supervisée par Simon Abkarian et Catherine Schaub. Les coiffes en particulier ont été réalisées à partir du modèle inventé par Simon Abkarian pour son personnage d'Agamemnon et tout droit sorti de son imagination. Pour le rôle de ce Coryphée, elle est recouverte à l’intérieur d’un tissu bleu et d’une bande en cuir. À deux endroits est inscrit le prénom abrégé de la comédienne, "NIRU".  
L’extérieur de la forme est recouvert de tissu rouge sur lequel sont fixés en épaisseur différents galons, rubans, passementeries, cordons et lacets de couleur rouge majoritairement mais également noire.
 

Sur ces supports sont fixées diverses pièces en métal (argentées ou en bronze) : sur le devant un anneau et une pièce en forme de triangle décorée d’entrelacs, au sommet un bracelet et quelques perles (dont 2 en bois). Trois tiges en bois sont glissées sous les galons pour dépasser de la coiffe. Sur l’arrière de la coiffe, recouvrant la nuque, est cousu un large pan d’étoffe en satin jaune décoré d’un ruban au centre et bordé d’un galon rouge à franges. La plupart des matériaux utilisés sont des matériaux de récupération, à l'image de l'anneau doré qui est un détournement d'un œillet pour accrocher les rideaux.
 

La barbe est en réalité constituée de 2 barbes, portées l’une sur l’autre. Elles sont en laine de couleur ficelle surpiquée et cousue à un galon de même couleur, galon qui se prolonge par un lien de fixation. Le galon de la plus petite des deux barbes est décoré de petits éléments de verroterie et de cuivre ayant pris une teinte vert-de-gris, d’une chaîne au centre de laquelle est accrochée une perle en cuivre.
 

 

Les boucles d’oreilles ont été créées à partir d'une forme en bois découpé à 6 lobes peinte en rouge sur l’arrière et dorée sur l’avant, lobes sur lesquels ont été collées des fausses pierres en verre coloré taillées à facettes, elles-mêmes entourées d’un galon doré. Les boucles d’oreilles sont équipées sur l’arrière d’une fixation rigide en fil métallique lui-même cousu à un ruban élastique noir et à un cordon noir qui servaient à les maintenir sur la tête.
 

 

Le bâton, quant à lui, est un long manche en bois recouvert en haut et en bas de galons, rubans et cordons  de différentes couleurs (noir, jaune, rouge, dorée et métal). À son sommet est fixée une forme de cloche en cuivre surmontée d’un jeton gravé et parachevée par un pompon de laine rouge.
 

 

Pour ce cycle des Atrides, comme pour l'ensemble des spectacles à la Cartoucherie qui l'ont précédé et ceux qui suivront, les costumes devaient être un éblouissement visuel, une fête pour les yeux des spectateurs. Aujourd'hui en partie conservés dans les collections du département des Arts du spectacle, une vingtaine d'entre eux peuvent désormais être admirés par le truchement de Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France. En utilisant la fonction zoom de Gallica, l'internaute peut se rendre compte du soin apporté à la confection de ce costume et de ses accessoires, à la qualité des matériaux utilisés ainsi qu'à leur variété (il n'y a pas moins de 25 matériaux répertoriés pour la coiffe !), et en apprécier toute leur beauté. Même par écran interposé, le plaisir des yeux reste intact.

 

Pour aller plus loin :
- Planche-contact de la numérisation du costume et de ses accessoires dans Gallica (consulté le 15 juillet 2022).
- Les costumes se créent avec les comédiens au fil des répétitions : entretien avec Nathalie Thomas, créatrice de costumes du Théâtre du Soleil, réalisé au moment où la troupe joue Les Atrides (consulté le 15 juillet 2022).
- Les Atrides : Agamemnon (1990). Photographies du spectacle et de la scénographie de Guy-Claude François, texte de Pierre Judet de la Combe, extraits de documents audiovisuels (consulté le 15 juillet 2022).
- Costume et personnage ne font qu’un, texte de Sylvie Perault (consulté le 15 juillet 2022).
- "Le patrimoine du Théâtre du Soleil" : entretien avec Nathalie Thomas et Marie-Hélène Bouvet, in Josette FERAL, Trajectoires du Soleil, autour d’Ariane Mnouchkine, Éditions Théâtrales, Paris, 1998, p. 73-79 [département des Arts du spectacle, salle de lecture, libre-accès : 792.023 092 MNO FER].
 

 
[1] Ce cycle comporte quatre pièces créées à la Cartoucherie entre novembre 1990 et mai 1992 : Iphigénie à Aulis d'Euripide ouvre le cycle (1990), suivie de trois pièces d'Eschyle : Agamemnon (1990), Les Choéphores (1991) et Les Euménides (1992).
[2] Béatrice Picon-Vallin, Le Théâtre du Soleil, les cinquante premières années, Paris, Actes Sud, 2014, p. 187.
[3] Des Petits bourgeois (1964) à Méphisto, le roman d'une carrière (1979). Les dons de Sophie Moscoso pour les œuvres de son mari, Roberto Moscoso, ainsi que de Guy-Claude Boyaval pour celles de son épouse Françoise Tournafond et de Daniel Ogier sont venus enrichir ces dernières années la collection de maquettes du département des Arts du spectacle, comme autant de témoignages précieux du processus créatif de ces trois artistes.
[4] L'atelier de couture est le domaine privilégié de Nathalie Thomas et de Marie-Hélène Bouvet, les deux costumières emblématiques du Théâtre du Soleil depuis le cycle des Shakespeare (1981-1984).
[5] À l'exception des plus beaux costumes des protagonistes réalisés notamment avec des tissus et des broderies de prix, qui sont conservés dans des armoires et dans une pièce à part.
[6] Interview de Nathalie Thomas, propos recueillis par Jean-Claude Lallias et Isabelle Bourrinet-Sebert, 1992 (consulté le 15 juillet 2022).
[7] Les deux autres Coryphées sont interprétés par Simon Abkarian et Georges Bigot, Catherine Schaub interprétant quant à elle le Coryphée de la danse.

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