Louis XVIII, le roi podagre
Il y a deux siècles, mourait le roi Louis XVIII (1755-1824) qui, à la fin de son existence, par autodérision, déclarait être le roi-fauteuil.
Le Comte de Provence est le frère de Louis XVI et du futur Charles X. Il règne à partir de 1814, avec une brève interruption lors du retour de Napoléon au pouvoir pendant la période des Cent jours.
Etiologie de la maladie
En 1814, dès l'âge de 59 ans, le roi est rattrapé par la maladie : il se déplace difficilement, puis avec des béquilles. A cela, différences raisons :
- il paie vingt-trois années de privations et de peurs pendant son exil et les errances au moment de la Révolution française
- une malformation congénitale des hanches entrave sa mobilité
- il ingère des quantités déraisonnables de nourriture. Sur ce plan, il ne déroge pas avec la tradition familiale : beaucoup de Bourbons avaient un appétit pantagruélique. On raconte qu'au petit déjeuner, Louis XVIII dévorait des côtelettes désossées. Cette boulimie est également imputable aux vicissitudes susmentionnées. Quoi qu'il en soit, c'est du pain bénit pour les caricaturistes :
Après sa mort, ses médecins expliqueront ainsi les causes du décès :
La maladie à laquelle le Roi vient de succomber n'a été, à proprement parler, que le dernier symptôme, le dernier phénomène d'une affection qui duroit depuis plusieurs années. S.M.étoit née avec une organisation parfaite de la moitié supérieure du corps !e développement de sa tête et de sa poitrine indiquoit une stature herculéenne. L'organisation de ses membres inférieurs n'avoit pas !a même perfection ils avoient toujours offert des formes arrondies, une consistance molle et un peu de foiblesse. Cela n'avoit pourtant pas empêché !e Roi de se livrer dans sa jeunesse à tous les exercices de la marche, de la chasse et de l'équitation mais, avec l'âge, ses membres avoient grossi; ils étoient devenus foibles, impotens, et le Roi avoit été obligé de renoncer successivement a toute espèce d'exercice, les promenades en voiture exceptées. Tel étoit déjà l'état du Roi lorsqu'il partit d'Hartwell pour revenir sur le sol de sa patrie.
Ces infirmités augmentèrent dans le cours des dernières années par l’effet de la goutte et des érysipèles auxquels S. M. étoit très sujette il fut dès lors aisé de prévoir qu'elle ne triompheroit pas de toutes ces causes de destruction. Cependant l'excellente organisation des parties supérieures a longtemps lutté avec succès contre la mauvaise disposition des parties inférieures.
Les médecins du roi
D'autre part, Louis XVIII n'a pas su bien s'entourer et est resté longtemps influencé par son chirurgien que ses confrères considèrent comme un charlatan, un certain Talochon plus connu sous le surnom de Père Elisée. Il s’agissait en réalité d’un ancien moine défroqué, lui-même gros mangeur et gros buveur, aux mœurs peu recommandables et qui aurait donc eu mauvaise grâce à critiquer les excès alimentaires de son patient. Les autres médecins de la Cour tentèrent en vain de de l'évincer mais il restera au service du monarque jusqu’à sa propre mort en 1817.
A partir de là, des médecins plus orthodoxes ont enfin leur mot à dire mais il est trop tard car Louis XVIII est passé d'un embonpoint manifeste à l'obésité. Il lui est désormais interdit de rester debout lors des cérémonies officielles ; il circule assis dans un large fauteuil de cuir vert, monté sur trois roues et poussé par un valet. Lors des voyages, on encastre le fauteuil dans la banquette du carrosse royal. La foule reste sidérée devant un tel équipage.
Le Premier médecin du roi, Antoine Portal (1742-1832) est autorisé à mettre un nom sur les pathologies dont souffre Louis XVIII :
- érésypèle (infection de la peau due à une bactérie, apparaissant le plus souvent sur les jambes)
- goutte (inflammation d’articulations due à des dépôts de cristaux d’acide urique, une substance provenant, entre autres, de la dégradation des aliments, en particulier les aliments d'origine animale).
- varices
- ulcères variqueux ( plaie, perte de substance cutanée de la jambe et très souvent de la cheville ne cicatrisant pas)
- menace de gangrène (affection caractérisée par la mort des tissus, touchant essentiellement les membres. La cause principale est une interruption locale de la circulation sanguine.)
Portal n'est pas seul. Dans l'aréopage qui entoure le roi dans ses derniers jours, on peut citer :
- Jean-Louis Alibert (1768-1837), précurseur de la dermatologie
- Philippe Distel (17??-1832), Premier chirurgien du roi, mais dont le nom n'est pas passé à la postérité
- Guillaume Dupuytren (1777-1835), autre chirurgien appelé à la rescousse
- Jean-François Thévenot de Saint-Blaise ,ancien chirurgien militaire
Les derniers jours du roi
A partir de 1824, des signes de démence apparaissent : lors d’un discours officiel devant les députés et les pairs, le roi ne parvient pas à lire le texte, semble sombrer et est vite exfiltré. Désormais, il s’endort au Conseil des ministres et délègue toute décision importante à son frère, le comte d'Artois, même s'il recouvre parfois sa lucidité et son esprit mordant.
En 1824, lors d'un séjour à Saint-Cloud, la gangrène qui a pris possession de ses jambes dégage une odeur pestilentielle et le roi ne cesse d’expectorer. Puis il est pris de malaises et doit être ramené dans sa chambre. Il convient ici d'attirer l'attention sur le caractère édifiant et édulcoré de l'image en une, choisie dans l'abondante iconographie censée représenter les derniers moments du roi.pour la postérité : en réalité, l’odeur que dégageait le corps empêcha la famille de rester à son chevet.
Un soir, le gentilhomme préposé à son service le découvre inanimé dans son fauteuil et sans réaction. De retour aux Tuileries, le jour de sa fête, il insiste pour être assis sur son trône, mais sa tête pend presque sur ses genoux.
Tout se passe comme si son corps se décomposait et partait en morceaux de son vivant : son domestique en aurait retrouvé des fragments dans les bas de son maître.
Opportet imperatorem stantem mori.
Autrement dit, il faut qu’un empereur meure debout : un comble pour un impotent ! Il insiste pour que des semblants d'étiquette soient toujours respectés, continue à recevoir en audience et comme il ne peut plus regarder ses visiteurs en face, ne les reconnait pas toujours ou bien les confond. L'un d'eux a cependant témoigné :
J'ai trouvé le roi ayant peine à soutenir sa tête, a écrit M. de Villèle dans son Carnet, et j'ai été obligé de baisser la mienne au-dessus de son bureau pour ne rien perdre de sa réponse Il m'a répondu sans hésiter..[..] Une telle mémoire, une telle présence d'esprit, une telle résolution avec un si grand accablement physique, sembleraient impossibles à qui n'en aurait pas été comme moi témoin.
Ce n’est qu’à partir du 12 septembre 1824 qu’il accepte de s’aliter et entre en agonie. Pas moins de treize bulletins de santé se succèdent avant sa mort. Dix ans après, François Ribes (1770-1845) publie son rapport d'autopsie bien plus éclairant que les bulletins de santé antérieurs, imprégnés de circonspection.
Entre sa mort et ses funérailles, plus d’un mois s’écoule. La cérémonie funèbre, reprenant les usages pré-révolutionnaires, a été conçue afin de renforcer la monarchie, affaiblie par une représentation très abîmée de la fonction royale.
Un siècle après son illustre ancêtre, Louis XVIII meurt des suites de la même pathologie : la gangrène. Les mêmes causes produisant les mêmes effets ! Selon les historiens de la médecine, sa maladie était née d’un diabète en évolution depuis son adolescence, compliqué par la goutte et ayant dégénéré en gangrène.
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