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La musique vietnamienne à l’exposition coloniale de 1906

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4 novembre 2021

À l’occasion de l’exposition coloniale de Marseille, en 1906, la société philharmonique annamite publie une plaquette explicative qui accompagne sa présentation d’instruments de musique. Un document très intéressant fait connaître en trois langues les instruments traditionnels vietnamiens.

Violon à une seule corde, Essai historique sur les instruments de musique en usage parmi les annamites, Jean Rouët, Nguyên-Ngoc-Sáng, Lê Van Phùc, 1906

Une plaquette explicative

L’exemplaire de l’Essai historique sur les instruments de musique en usage parmi les Annamites présenté ici était destiné au jury de l’exposition coloniale, alors que le premier exemplaire (entrefilet "cadeaux agréables") en avait été remis "à "Sa Majesté l'Empereur" Than-Thaï, roi d'Annam (nom désignant à l’époque un protectorat français au centre de l’actuel Vietnam)" lors de sa visite à Hanoï. Une représentation théâtrale, dont on trouve la trace dans notre ouvrage, avait été organisée en son honneur. Plusieurs feuillets, à l’origine volants, avaient été glissés en complément à destination du jury de l’exposition : deux pages d’"Avis important", l’affiche imprimée de la soirée théâtrale, l’analyse en français de la pièce jouée et un carton d’invitation à la soirée.

Affiche de la soirée théâtrale en l’honneur de S. M. Than-Thaï, Essai historique sur les instruments de musique en usage parmi les annamites, Jean Rouët, Nguyên-Ngoc-Sáng, Lê Van Phùc, 1906

L’"Avis important" rappelle la création de la Société Philharmonique annamite en 1905 "à l’initiative de Jean Rouët, secrétaire archiviste de la Chambre d’Agriculture du Tonkin et président du Comité de patronage et de Nguyên-Ngoc-Sáng, comptable depuis 18 ans à l’Imprimerie F.-H. Schneider et président de la Société". Il nous révèle le nom du troisième auteur, secrétaire du Comité, Lê Van Phùc, à l’origine sans doute de la version en caractères chinois, puisqu’il était interprète titulaire au Secrétariat Général de l’Indo-Chine.

Plusieurs articles de L’Avenir du Tonkin permettent de mieux comprendre la genèse de l’ouvrage et les intentions des auteurs. Le 25 septembre 1905, le journal publie un article intitulé "Philharmonique indigène" où est présentée la participation à l’exposition de Marseille : collecte d’instruments et rédaction d’une plaquette historique :

Une collection des instruments de musique indigènes aussi complète que possible, sera donnée pour les instruments en usage au Tonkin, d’abord, puis les recherches s'étendront à l'Annam, à la Cochinchine, partout où la race annamite, fille de la civilisation chinoise, s’est répandue. D'un autre côté, les livres indigènes traitant de questions musicales seraient consultés et traduits. Ce travail, dont il ne faut pas se dissimuler l’importance et l’intérêt, est entrepris dès à présent par les jeunes gens qui composent le conseil d’administration de cette Société."

La participation à l’exposition coloniale doit être replacée dans les ambitions de la Société Philharmonique annamite ; établir un pont entre les deux cultures et faire connaître aux Européens les instruments encore en usage dans la région. Pour chacun des instruments envoyés en France, la plaquette fournit ainsi une illustration et une présentation historique en trois versions : caractères chinois, quoc-ngu et français destinée à porter à la connaissance du public français comme annamite l’histoire de ce patrimoine pluriséculaire…

Version en caractères chinois de l’introduction, Essai historique sur les instruments de musique en usage parmi les annamites, Jean Rouët, Nguyên-Ngoc-Sáng, Lê Van Phùc, 1906

L’Essai sur les instruments apparaît ainsi moins comme une œuvre à but scientifique que comme le reflet de ce que les membres de la Société philharmonique annamite, milieu d’amateurs franco-annamites, souhaitaient faire découvrir et partager d’une pratique musicale et de ses instruments.    

Le destin de la plaquette après l’exposition

Si les suffrages de M.M. les Membres du jury lui reconnaissent néanmoins quelque mérite, leur encouragement nous décidera à reprendre cette œuvre pour la réviser…"

C’est ce passage de l’"Avis important" qui permet d’identifier le destinataire de cet exemplaire comme étant le Jury de l’exposition coloniale de Marseille. L’appel ne fut pas vain et la Société Philharmonique fit partie des lauréats du grand prix dans le groupe X classes 54 à 55 Beaux-Arts. Sous le titre "Juste récompense" l’Avenir du Tonkin consacre dans son numéro du 30 décembre 1906 un long article à ce "succès bien mérité" et nous informe que les instruments de musique ont été donnés au Conservatoire de Paris par les soins de M. le Professeur Combarieu, du Collège de France.  
Jules Combarieu dut aussi récupérer la plaquette et il ne manquera pas de souligner dans ses écrits la dette qu’il avait vis-à-vis de cet opuscule. C’est ainsi que dans sa volumineuse Histoire de la Musique : des origines à la mort de Beethoven , il indique qu’il a mis "spécialement à profit ce qui est dit du violon appelé Dan Nguyêt, ou "violon de la Lune" construit sous l’Empereur Fouhi, dont l'existence est fixée par certains auteurs chinois au XXXVIIe siècle (?) avant l’ère chrétienne, par d'autres au XXIXe"

Illustration du đàn nguyệt, Essai historique sur les instruments de musique en usage parmi les annamites, Jean Rouët, Nguyên-Ngoc-Sáng, Lê Van Phùc, 1906

La plaquette est sans doute restée en sa possession et n’a pas rejoint la bibliothèque du Conservatoire, permettant ainsi à Henri Sambuc de l’acquérir et de l’offrir à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer.

Brigitte Sabattini
Université Aix-Marseille.

Pour aller plus loin :

 L’Académie des Sciences d’Outre-Mer remercie chaleureusement les Archives Nationales d’Outre-mer pour leur aide précieuse et pour la réalisation effective de la numérisation.

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