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Fagon, dernier médecin de Louis XIV

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Louis XIV, du fait de sa longévité exceptionnelle pour l’époque, était réputé comme un homme doté d’une constitution robuste. Pourtant, la présence constante de tout un aréopage de médecins attachés à sa personne nous donne à penser qu’il fut bien souvent mal en point.

La saignée [estampe] Bosse, Abraham (1602-1676), dessinateur du modèle.

Une charge convoitée

Le plus connu des premiers médecins est Guy-Crescent Fagon (1638-1718). Sa notoriété était telle qu'il fut même l'objet d'une satire, la Fagonade dans laquelle il se voyait traité de vieux médecin cacochyme. Même si elle impliquait une sujétion de tous les instants, la charge d'archiâtre conférait de nombreux avantages, ce qui explique la rivalité incessante entre Antoine d’Aquin (1620?-1696) le titulaire en place et Fagon. Dans les faits, les deux confrères s'opposaient systématiquement sur tout, même sur le tempérament royal : bilieux selon d’Aquin, lymphatique selon son adversaire, avec pour conséquence des prescriptions totalement divergentes. En 1693, grâce aux conseils avisés de Madame de Maintenon sa protectrice, Fagon saisit une opportunité pour supplanter son rival  dans la faveur royale.
 

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Crises de paludisme

Louis XIV s’étant obstiné à faire construire ses châteaux de Versailles et de Marly dans un environnement malsain de marécages, il fut atteint par une fièvre dont des milliers d’ouvriers et de soldats employés sur les chantiers de terrassements allaient également mourir. Les historiens ont aussi émis l’hypothèse que les participants à la campagne des Flandres y auraient contracté le paludisme et qu’il s’agirait  plutôt d’une résurgence de la maladie chez le souverain. D'Aquin et Fagon étaient naturellement en désaccord profond sur la posologie du seul remède connu : le quinquina.

La Grande Opération

Découvrant une fistule anale sur la personne royale, on fait venir des fistuleux que Fagon envoie prendre les eaux : sans résultats appréciables. Il faut donc en passer par la Grande Opération, sans cesse reportée par d‘Aquin et finalement réalisée en 1686.

Récit de la grande opération faite au roi Louis XIV, en 1686  / par J.-A. Le Roi,... 1852

L’intervention en vue de laquelle le chirurgien Charles-François Félix s’était exercé sur plusieurs dizaines d’indigents ou prisonniers porteurs de fistule, est une réussite. Même si le praticien en conserva toute sa vie un tremblement nerveux. Le chirurgien Dionis raconte que cela devint ensuite un must : les courtisans y voyaient un moyen de complaire à celui qui l’avait inaugurée :

C'est une maladie qui est devenue à la mode depuis celle du Roy à qui on fut obligé de faire l'opération pour l'en guérir. Plusîeurs de ceux qui la cachoient avec foin avant ce tems, n'ont plus eu de honte de la rendre publique, il y a eu même des Courtisans qui ont choisi Versailles pour se soumettre à cette opération, parce que le Roy s'informoit de toutes les circonstances de cette maladie. Ceux qui avoient quelque petit suintement ou de simples hémorroïdes ne différoient pas à présenter leur derriere au Chirurgien pour y faire des incisions. J'en ai vu plus de trente qui vouloient qu'on leur fit l'opération, & dont la folie étoit si grande qu'ils paroissoient fâchez lorsqu'on les assuroit qu'il n'y avoit point de nécessité de la faire.

Les conséquences d'un appétit gargantuesque

Sans parler de nombreux vertiges, migraines et vapeurs, le monarque endura des complications médicales entraînant à leur tour des conséquences multiples sur sa santé. Ainsi d’Aquin avait décidé après l’apparition d’un abcès avec inflammation des sinus de lui faire arracher toutes les dents de la mâchoire supérieure – la moitié du palais fut emportée pendant l'opération. Le roi ne pouvait donc plus mâcher les impressionnantes quantités de nourriture qu’il ingérait  -  alimentation carnée qui plus est -  d’où des digestions difficiles et pour finir une entérite chronique (inflammation de l’intestin grêle provoquant coliques et diarrhées). Fagon ne parvint jamais à lui faire entendre raison sur ce chapitre.

Le superbe repas donné par le Roy aux princes et princesses de sa cour pour l'Heureux Mariage
de Mon Seigneur le Duc de Berry avec Mad.¦lle¦ d'Orleans. Celébré A Versailles le 6. Juillet 1710

Les thérapies usitées 

Avec la nomination de Fagon, c’est la fin de la suprématie des médecins montpelliérains dans l’entourage des rois de France et le triomphe de l'Ecole de Paris. Avec pour conséquence l'interdiction du traitement par l'antimoine ou émétique, un vomitif employé par l’Ecole de Montpellier ; ce qui n'empêche pas le premier médecin d'y avoir parfois recours. Hygiéniste avant l'heure, l'archiâtre se révéla très sensé dans certaines de ses prescriptions. Ayant l'insigne honneur de faire partie des entrées familières, après avoir pris le pouls du roi, il le faisait transpirer en le couvrant abondamment pendant la nuit et le frictionnait avec des linges chauds en guise de remède préventif à la goutte.
Au nouveau premier médecin revenait l’exclusivité de traiter les intestins par des purgations mensuelles afin de remédier aux excès de table qui déclenchaient des digestions laborieuses chez le roi. Sa formation de botaniste lui servait à sélectionner les herbes adéquates. D'après le Marquis de Dangeau, il n'avait de cesse  de purger son illustre patient. Certains ont d'ailleurs voulu voir dans le patronyme de Purgon une allusion de Molière à Fagon. Ce dernier travaillait de concert avec Georges Mareschal qu’il avait fait nommer premier chirurgien du roi. Un descendant de celui-ci décrit un cérémonial quotidien étrange:

D'après Saint-Simon, l'honneur de présenter le bassin au roi après ses médecines revenait au grand chambellan. Les porte-chaise d'affaires supportaient malaisément cette dérogation à leurs privilèges : en temps ordinaire, le droit d'apporter au roi sa chaise percée revenait à ces officiers; ils accomplissaient là un service envié, obtenant de Sa Majesté, après une digestion facile, toutes sortes de faveurs.

Le premier médecin examinait ensuite scrupuleusement le contenu du bassin, autrement dit les selles, pour juger de l’effet de la purgation et consignait les résultats de son expertise. Cependant, il omettait soigneusement de relater certaines infirmités dont était affligé Louis XIV : le courtisan qu'il était souhaitait se maintenir à ce poste très convoité !

L'homme était également un adepte de la théorie de la circulation du sang formulée par William Harvey et la soutint courageusement dans une de ses thèses à l’encontre de la doctrine contemporaine. En lien avec la théorie des humeurs, l'usage de la saignée de précaution se généralisa sous le règne de Louis XIV, même si ce dernier finit par les refuser. La coutume voulait que le premier chirurgien fut le phlébotomiste attitré.

L' Agréement aux Dames / Dieuelt fecit  Saint-Jean, Jean Dieu de (1655?-1695). Dessinateur du modèle

Le titre de cette estampe correspond à une périphrase des Précieuses dissimulant une autre pratique très en vogue : le clystère ou lavement donnant parfois lieu à des récits scabreux ou à des scènes de comédie.

Cet abus de saignées, de lavements et de purgations aurait-il contribué à un affaiblissement de l'organisme humain royal ? Fagon fut également accusé d'avoir négligé la gangrène qui emporta son patient à l’âge pourtant très respectable pour l'époque de 77 ans. En même temps, qui aurait pris la responsabilité d'une amputation sur la personne sacrée du roi ? Sans doute l'homme qui avait choisi de devenir un médecin de cour s'était-il usé à la tâche !

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