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Cora Laparcerie (1875-1951), « infatigable » femme de théâtre

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2 juillet 2021

Nous poursuivons notre série sur les pionnières des arts du spectacle avec le portrait d’une femme de théâtre véritablement touche-à-tout : à la fois actrice classique et de boulevard, directrice de théâtre pendant plus de vingt ans, metteuse en scène, poète et chroniqueuse, Cora Laparcerie mérite sans conteste de sortir de l'oubli, elle qui brilla par l'audace de ses choix artistiques tout au long d'une carrière pleine de rebondissements.

 
Recueil. Cora Laparcerie, actrice. Documents iconographiques, Bibliothèque nationale de France, département Arts du spectacle, 4-ICO PER-14803 (2)

Des débuts hors des sentiers battus
Marie-Caroline, dite Cora, Laparcerie, naît près de Bordeaux dans une vieille famille qui ne la destine pas au théâtre. Elevée au Couvent de l’Assomption de Bordeaux, les sœurs lui font jouer le rôle de Jésus-Christ dans des matinées enfantines. Avec des camarades, elle interprète L’aventurière chez des amis où le hasard avait emmené Coquelin aîné ; celui-ci, surpris du vrai tempérament scénique qu’il reconnaît en la jeune Cora, réussit à convaincre sa mère de la laisser venir à Paris.
Arrivée directement dans la capitale (sans être passée par le Conservatoire), Cora Laparcerie auditionne dans Phèdre devant André Antoine qui l’engage à l’Odéon. Elle y débute dans Plutus ; elle y crée ensuite Marianne, Philaster, Richelieu, Juan de Marana, La Double méprise, Les Truands (de Jean Richepin), ou encore Chêne-cœur de Maurice Soulié, une de ses plus belles créations, où pour la première fois, la jeune tragédienne aborde un rôle vraiment moderne. Elle joue également le répertoire classique : Athalie, Cinna, Andromaque, Le Malade imaginaire. Au Théâtre Antoine, elle crée également Sur la foi des étoiles, puis Quo Vadis ? au Théâtre de la Porte Saint-Martin.
 

Les premiers succès
Elle se fait ensuite connaître par le biais des Samedis Populaires de l’Odéon. Initiés par Catulle Mendès au Théâtre de l’Odéon, ceux-ci proposaient pour un prix modéré d’entendre des poèmes de grands auteurs et poètes. Ainsi, dès 1898, Cora vient y chanter des chansons populaires et réciter, à l’occasion d’un dîner donné par Marcel Proust, des oeuvres de Robert de Montesquiou, Anatole France et Anna de Noailles. D’après le journaliste André Freuil,
 

« Ce furent vraiment les Samedis populaires qui lui donnèrent la gloire. Elle aime follement les vers et, par conséquent, elle sait les dire. Sa voix ardente et nuancée séduisit les spectateurs qui l’acclamèrent. Elle devint bientôt la Muse des jeunes littéraires, mais une Muse point solennelle, ni ridicule […]. Elle a sur le public une action toute spéciale due à son talent, mais aussi à la puissance magnifique qui émane d’elle. »
 

A la même époque, Cora n’hésite pas à participer à une nouvelle aventure que lui propose le grand propriétaire viticulteur Castelbon de Beauxhostes, mélomane et mécène, en août 1898. Celui-ci rêve de créer un théâtre en plein air aux arènes de Béziers. Cora Laparcerie y interprète la Déjanire de Louis Gallet, sur une musique de Camille Saint-Saëns. La mise en scène est grandiose : les décors, colossaux, occupent ainsi un quart des gradins, tandis que la distribution compte 50 danseuses de l'Opéra de Milan, 150 figurants et un orchestre de 120 musiciens ! Le public est, lui, estimé à 15 000 spectateurs. En août 1900, elle y joue également le rôle de Pandore dans Prométhée de Jean Lorrain et Ferdinand Hérold sur une musique de Gabriel Fauré en compagnie du grand acteur Edouard de Max.
 

 

Rencontre avec Jacques Richepin

Cora a déjà joué à l’Odéon dans des pièces écrites par le grand poète et futur académicien Jean Richepin, notamment Le chien de garde et Les Truands. Le fils aîné de Jean Richepin, Jacques, né en 1880, a fait représenter en 1899 au Théâtre Maguera (ex-théâtre Moncey) sa première pièce La Reine de Tyr. En 1900, alors qu'il a tout juste 20 ans, il écrit La Cavalière, dont il confie le rôle principal masculin de Mira de Amescua à Cora Laparcerie.
 

La première est donnée le 27 janvier 1901 au Théâtre Sarah Bernhardt. La pièce n’est jouée que quatorze fois mais leur rencontre est déterminante. Le 5 mai 1901, ils se marient. C’est un couple très uni que seule la mort séparera.
En 1903, Cora donne naissance à son fils François (1902-1981) et ne se produit sur aucune scène cette année-là (pour la première fois depuis le début de sa carrière).

Evoquons également sa sœur, Marie Laparcerie, qui fut un temps actrice. Elles joueront même ensemble dans la pièce L’Autre danger de Maurice Donnay en septembre 1905, au Casino de la plage d’Arcachon, dans le cadre des Tournées Baret. Par la suite, Marie se consacrera au journalisme et au roman dit féministe.
 

 

Les débuts en tant que directrice des Bouffes-Parisiens
Au début de l’année 1909, Cora part en tournée avec les Tournées Baret notamment en Autriche et en Roumanie. Depuis qu’elle a quitté l’Odéon, elle n’a cessé de jouer de théâtre en théâtre et de tournée en tournée. Elle aspire à se fixer quelque part et surtout, comme des prédécesseurs célèbres - Lucien Guitry, Sarah Bernhardt, Réjane -, elle souhaite diriger un théâtre. Elle fixe son choix sur le théâtre des Bouffes-Parisiens dédié à l’opérette et en « perte de vitesse ».
Elle entreprend de grands travaux d’embellissement. La première pièce donnée dans le théâtre rénové (une reprise de la comédie légère Lysistrata de Maurice Donnay le 30 octobre 1909) inaugure une série de pièces légères à succès. Celle-ci est ainsi jouée plus de cent fois.
 

 

Après le demi-succès de Gaby de Georges Thurner, les Bouffes Parisiens représentent une pièce de Jacques Richepin, Xantho chez les courtisanes, en mars 1910, avec Cora Laparcerie dans le rôle-titre. Cette pièce, qui déclenche les foudres de la hiérarchie catholique, se joue à Paris plus de deux cents fois, et est représentée en province ainsi qu’à l’étranger où les droits ont été acquis.
 
Directrice du Théâtre de la Renaissance
Après trois ans et demi à la direction du Théâtre des Bouffes-Parisiens, Cora Laparcerie s’installe pour dix ans sur les Boulevards. Avec M. Trebor, elle prend la direction du Théâtre de la Renaissance (autrefois dirigé par Sarah Bernhardt) qui deviendra son théâtre fétiche. Après les comédies légères et souvent dévêtues des Bouffes, le répertoire de Cora évolue.
Elle ouvre le théâtre le 20 mars 1913 avec une pièce de son mari Le minaret, sur une musique de Tiarko Richepin, frère de Jacques Richepin, et des costumes de Paul Poiret. Malgré un grand succès (142 représentations), la critique est partagée.

 

 

Pour l’anecdote, la danseuse Mata-Hari y joua du 18 avril au 18 mai 1913 !
L’année 1916, Cora reprend possession de son théâtre et y donne La guerre et l’amour, pièce de Jacques Richepin, de retour de Salonique où il était aviateur dans l’armée d’Orient.
1920 est une année décisive : c’est celle de la création de Mon homme, pièce d’André Picard et Francis Carco, qui permet de renouer avec le Théâtre « naturaliste ». Cora Laparcerie s'y montre « tout à fait grande artiste en paraissant tour à tour sous les traits d’une princesse richissime et sous la jupe noire d’une fille de barrière ».

 

 

Le succès est immense. Vingt-huit ans plus tard, dans le « Paris-Théâtre » du 15 octobre 1948, on considère même qu’elle marque une date dans l’histoire du théâtre contemporain. Sa célébrité est telle qu’elle inspire à Albert Willemetz et Maurice Yvain la chanson « Mon homme » chantée par Mistinguett, puis Edith Piaf, et qui continue d’être chantée de par le monde.
En février 1923, Cora Laparcerie interprète La vagabonde d’après le roman éponyme de Colette. Cette dernière dresse un joli portrait de l'artiste :

 

“J'en appelle à Carco, à Ch.-H. Hirsch, à tous ceux qui eurent le bonheur de voir travailler Cora. Ils gardent à jamais le souvenir d’un spectacle incomparable, d’un être qui chaque jour semble se créer lui-même, éclore violemment comme l’insecte qui brise un dur cocon, comme l’iris qui déchire, en fleurissant, sa dernière enveloppe soyeuse… »

Chaque été, l’actrice fait des tournées en province et à l’étranger. Mais c’est en mai 1925 qu’elle part pendant plusieurs mois en France, Egypte, Turquie et en Grèce pour y jouer pas moins de quatorze pièces du répertoire français.

L’aventure du Théâtre Mogador et de la Scala
En 1923, elle décide d’abandonner la direction du Théâtre de la Renaissance pour celle du Théâtre Mogador qu’elle rebaptise Théâtre Cora Laparcerie. Elle choisit de retirer les opérettes pour y installer des pièces à grandes mises en scène, mais cette aventure s’avère ruineuse et se termine en fiasco.
Cet événement marque son retour à la direction du Théâtre de la Renaissance qu’elle quitte momentanément pour se lancer dans la direction de la Nouvelle Scala, en 1926. Elle explique, dans un très beau texte, les raisons du choix qui la pousse à se consacrer au théâtre gai, dans ce contexte particulier de l’entre-deux guerres.
Cette même année, elle est nommée chevalier de la Légion d’honneur au titre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. Elle est comparée par André Antoine, le fondateur du « Théâtre libre », à la Montansier, "sans cesse sur la brèche, allant elle aussi, de théâtre en théâtre, infatigable, courant les aventures les plus dangereuses, et toujours prête à recommencer".

La maladie
En ce début d’année 1927, elle tombe gravement malade et doit renoncer à ses activités de directrice de théâtre. Elle n’a que 52 ans. Mais même étant privée de scène, elle retrouve vite d’autres activités en lien avec le théâtre : ainsi, elle s’adonne à l’écriture de chansons puis de chroniques dans le journal « Comoedia », qu’elle nomme Le livre de raison.
Elle écrit également une pièce radiophonique La Vraie Carmen qui est diffusée en 1935, avant de reprendre la direction de « son » théâtre qui deviendra « La Renaissance-Cora ». Elle va avoir 60 ans mais fourmille de projets. Elle l’inaugure en mettant en scène La Princesse Isabelle de Maurice Maeterlinck, puis la pièce Notre dame des songes de Simon Gantillon qui se déroule dans le milieu cinématographique et qui permet à sa fille, Miarka Laparcerie, de faire ses débuts sur scène. Mais le succès n’est pas au rendez-vous et elle doit se résoudre à vendre son théâtre.
 

 

Après son mari en 1946 (dont la mort est survenue dans leur propriété de l’Île de Tristan à Douarnenez, un lieu fréquenté par le Tout Paris de l'époque), Cora Laparcerie s’éteint à Paris le 28 août 1951, quelques jours après une autre figure majeure du théâtre, Louis Jouvet. Si on loue sa vie durant une "tragédienne magnifique, comédienne charmante, animatrice énergique, directrice toujours très aimée, [qui] a su conquérir la sympathie d’un public qui l’admire et l’attachement de ceux qui travaillent auprès d’elle", son nom n'évoque déjà plus grand chose de sa gloire passée à ses contemporains, ce qui peut expliquer l'oubli dans lequel elle est tombée. Quant à nous, nous nous rappelons de l’amoureuse des lettres qu’elle était et de ces quelques vers de sa main publiés dans son recueil de poèmes, J’aime, très remarqué à sa sortie en 1924 :

Si je meurs avant vous, n’ayez pas trop de larmes.
A quoi bon les regrets, puisque tout doit finir ?
J’aurais vécu heureuse et je pourrai partir
Ayant pris à l’Amour ses peines et ses charmes.

Références bibliographiques :

Commentaires

Soumis par Christophe CANIVET le 02/07/2021

Lorsqu'elle s'est mariée, Cora Laparcerie habitait au 13 rue de Savoie avec ses parents. De mémoire elle continua d'y habiter après son mariage.

Cet immeuble était un petit foyer artistique puisque en même temps qu'elle, y vivaient :
- Cocheris, ancien de la Comédie française qui était devenu avocat
- Charles Canivet alias Jean de Nivelle, critique littéraire, écrivain, poète et chroniqueur au Soleil ainsi que son épouse Marie Amélie Maurouard qui y tenait un cours de piano, assistée de la compositrice Cécile Chaminade (également une protégée de Saint-Saëns) puis par son propre fils, Jean, également pianiste virtuose

Quelques décennie plus tôt, y avaient habité la mathématicienne Sophie Germain et le peintre Nicolas-Alexandre Barbier (professeur de dessin des enfants de Louis-Philippe)

Autant de gens qu'on retrouve de ci de là sur Gallica

Soumis par Rime TOUIL le 09/07/2021

Bonjour,
Merci pour ces précisions. Effectivement, elle mentionne cette adresse dans sa chronique "Le livre de raison" où elle évoque la disparition de Jean Marchand, paru dans "Comoedia" le 2 février 1934, que vous pouvez consulter dans Gallica : https://c.bnf.fr/N4i

Anne-Lise Chatard

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