Zoonoses ou les liaisons dangereuses : la gale
La gale (de galla, nom donné à des corps parasites se développant sur certains arbres, de callus qui signifie dureté ou encore de scabiosa, genre de plantes herbacées auxquelles on attribua des propriétés pour traiter cette pathologie) est une maladie infectieuse de la peau, très contagieuse, causée par un arachnide microscopique, le sarcopte (Sarcoptes scabiei).
Le Traité de la gale et des dartres des animaux par Philibert Chabert publié en 1785 distingue la gale sèche de la gale humide, la première étant le partage « des tempéraments pituiteux, lâches et mous, la seconde affectant plus particulièrement les bilieux ».
La malpropreté et les habitations humides ont longtemps été considérées comme propices au développement de la gale. Cependant Emile Tédenat, médecin, rappelle...
A côté de la gale des gens malpropres, on observe aussi la gale des gens propres.
Les personnes très soigneuses de leur corps peuvent en effet avoir une gale qualifiée de plus discrète, causant à peine quelques vagues démangeaisons, pouvant ainsi vivre plusieurs années avec la maladie. L'indignation est alors souvent immense quand le médecin leur en fait la révélation.
Mais faisons tout d'abord connaissance avec ce petit acarien.
Il appartient à la classe des Arachnides, ordre des Acariens, famille des Sarcoptidés. Les Sarcoptes ont un corps arrondi, ovale, d'un blanc jaunâtre clair, un abdomen court, ramassé sur lui-même, pourvu de petites pattes terminées parfois par des ventouses.
Le sarcopte creusant un sillon sous l'épiderme.
Source : Le XIXe siècle, 4 avril 1897
Le mâle a été découvert par Kramer en 1845, puis a été revu par Eichstedt en 1846 et par Lanquetin en 1851. On le trouve sous les croûtes épidermiques. D'une longueur de 200 à 250 microns (1 micron = 0,001 millimètre) et d'une largeur de 160 microns, il est nettement plus petit que la femelle, d'un tiers voire de la moitié. Celle-ci, de part sa forme ovoïde, bombée sur sa face dorsale, est comparée à une petite tortue par Giovan Cosimo Bonomo, médecin italien du XVIIème siècle.
Sarcoptes scabiei est ovipare et seule la femelle joue un rôle dans la maladie. Elle erre quelque temps à la surface de la peau, puis s'enfonce dans l'épiderme, en creusant une galerie dans laquelle le mâle s'engage à son tour pour procréer. La ponte achevée, celui-ci meurt.
D'après Albin Gras, la galerie a le plus souvent une profondeur de 0,5 à 3 millimètres et atteint parfois jusqu'à 3, 4 et même 5 centimètres de long;
Le naturaliste Gerlach établit que la descendance d'une seule femelle en l'espace de trois mois peut s'élever à cinq cent mille mâles et à un million de femelles soit un total de quinze cents mille individus.
La pénétration de la femelle dans l'épiderme détermine de violentes démangeaisons, que le malade cherche à atténuer en se grattant, provoquant alors un prurigo. Toujours nocturne, il occasionne insomnies, agitations et même, chez certains sujets, de véritables troubles nerveux capables d’altérer leur santé générale. Pour Alfred Hardy, professeur de pathologie interne à la Faculté de médecine de Paris et chef de service à l'hôpital Saint-Louis, les vésicules isolées sur les mains et les pieds ainsi que les petites excoriations qui se développent seraient dues à l'action du venin déversé par le sarcopte. Ce médecin sait tout à fait de quoi il est question. En effet, il s'inocule sous le dos de la main la matière visqueuse résultant de l'écrasement de huit Sarcoptes. Il éprouve alors une sensation de chaleur et de vives démangeaisons.
Gale intense dite norvégienne (moulage). BIUS
Cette maladie est ordinairement occasionnée par la promiscuité, le manque d’hygiène, « le défaut de linge blanc qui arrête la transpiration et fait fermenter cette humeur », qui donne naissance aux petits vers qui constituent cette maladie. Les Marins n’échappent pas à la gale, surtout dans les voyages au long cours.
La gale chez l'enfant.
In : La nouvelle médication naturelle. Paris : Friedrich. Eduard Bilz, 1898. BIUS
La connaissance de la maladie remonte au Moyen-Âge. Au XIIème siècle, Avenzoar, médecin né près de Séville au XIème siècle, décrit l'insecte de la gale. En 1612, les médecins italiens reconnaissent dans l'acarus les causes immédiates de la gale. En 1638, est publié le traité sur les insectes d'Aldrovande , naturaliste italien, dans lequel ce dernier donne des détails sur l'acarus et particulièrement sa présence sous l’épiderme et le prurit qu’il occasionne.
Dès le milieu du XVIIème siècle, Thomas Mouffet observe le parasite. Longtemps la cause de la gale est ignorée des médecins. Mais en 1624, Ranucci, un étudiant corse, révèle à ses maîtres de l'hôpital Saint-Louis, comment les femmes de son pays au moyen d'une aiguille éventrent la galerie et arrachent ainsi l'acare de son logis. La gale est décrite comme se présentant sous trois aspects distincts : des vésicules discrètes, des papules, des pustules qui se répandent sur tout le corps et tout particulièrement entre les doigts. En 1746, Linnée désigne l'acarus sous le nom d'acarus humanus sub cutaneus. Il faut cependant attendre la fin du XIXème siècle pour que l’origine parasitaire de la gale soit acceptée unanimement. Le traitement de la gale prend un tournant majeur après l’étude des habitudes du parasite creusant des galeries à l’origine des irritations de la couche épidermique de la peau. En 1786, Vickman confirma tous les faits connus sur l'acarus, et l'ouvrage qu'il donna sur ce sujet, contient un grand nombre d'expériences.
La gale peut toucher tout le monde, et même, d'après certaines légendes, un empereur. En effet, des partisans de Joséphine, pour excuser sa conduite à l’égard de Napoléon, insinuent que l'empereur est atteint de la gale. Sa femme, tout naturellement, ne pouvait avoir que de l'aversion pour lui. Voici, en effet, les paroles que le général Gourgaud met dans la bouche de l'empereur : "La gale est une maladie terrible; je l'ai gagnée au siège de Toulon"
En 1942, le docteur Raoul Blondel rédige un article alarmant :
La gale prend, en France, les allures d'une épidémie.
Le service installé à l'Hôpital Saint-Louis pour le traitement de la gale a traité, en 1938, 6.194 malades. Ce chiffre, selon le Dr Pignot, est passé, en 1939, à 6.934, en 1940 à 24.000, en 1941 à 60.000 ! Dans les grandes villes, on compterait en moyenne cinq fois plus de galeux qu'avant la guerre. Après ces constations, le médecin arrive à la conclusion que la guerre est à l’origine de cette épidémie. La promiscuité des sujets entassés les uns contre les autres, le manque d’hygiène sont les facteurs déclenchant. Déjà durant la guerre de 1870-1871, le même phénomène est observé. De 1916 à 1918, 32.000 galeux sont soignés annuellement à l'hôpital Saint-Louis. Le chiffre de 60.000 est atteint en 1941.
Les modes de transmission de la gale font l'objet d'une abondante littérature. Dans l’ouvrage « Traité pratique d'entomologie et de pathologie comparée de la psore, ou gale de l'homme et des animaux domestiques », les auteurs Honoré Bourguignon et Onésime Delafond affirment que le Sarcopte se transmet à l’homme par les carnassiers, les omnivores et les herbivores. Alfred Hardy pense au contraire qu'aucune des nombreuses variétés de gale des animaux ne peut se transmettre à l'Homme. Raphaël Blanchard, dans son ouvrage Traité de zoologie médicale (1890) précise qu’en revanche la gale peut passer de l'Homme sur certains animaux, tels que le chien et la chèvre, et revenir parfois à l'homme. D’après de récentes recherches, il semblerait que des échanges entre espèces-hôtes soient possibles. Des études approfondies sont en cours pour déterminer quelle est l’importance de ces populations ubiquistes dans l’épidémiologie de la gale humaine et des gales animales.
Les remèdes imaginés contre la gale : lotions, frictions, bains, fumigations.
Au XVIIème siècle, Bonomo insiste sur l'importance du traitement. Il préconise les onguents, les composés du soufre, les sels, le vitriol, le mercure, substances qui s'insinuent sous la peau et tuent l'acarus.
Le traitement le plus efficace était la « frotte » classique, qui se déroulait en plusieurs phases : bain, savonnage, brossage énergique de ta peau, badigeonnage du corps entier avec la pommade de soufre et au carbonate de potasse, rinçage, bain d'amidon, talc ou pommade adoucissante pour calmer l'irritation causée par la frotte. Ainsi, la durée d'hospitalisation n'est plus que de six jours avec Bazin, chef du service des galeux en 1850. Hardy fait fermer le service des galeux en 1852 et recommande une seule application de ces remèdes. En 1942, le docteur Raoul Blondel donne des explications sur un traitement qui consiste en de simples applications quotidiennes d'une pommade à base de sulfure. Plus récemment, en 2005, Michel Boussinesq, médecin parasitologue de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) propose la prise par voie orale d’un anthelminthique (ou vermifuge). Il précise que des cas de résistance de Sarcoptes scabiei ont été signalés en Australie.
La gale étant très contagieuse, il faut également administrer ce traitement à l’entourage du malade et impérativement désinfecter vêtements et literie.
La gale est aujourd’hui en recrudescence et l’OMS estime que la gale touche près de 300 millions de personnes dans le monde chaque année.
Pour aller plus loin :
- les billets de blog sur les zoonoses
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