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A la découverte du mystérieux Désert de Retz

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1 juillet 2022

Il est des endroits peu connus dont la fantaisie vaut le détour. Le Désert de Retz est de ceux-là. Caché à l’orée d’une forêt des Yvelines, ce jardin anglo-chinois né au XVIIIe siècle est un lieu atypique où s'entremêlent philosophie, botanique, poésie et architecture. Petite visite virtuelle.

La Colonne détruite, extrait de "Cahier des jardins anglo-chinois", par Georges Louis Le Rouge (1785)

XVIIIe siècle donc. C’est à cette époque que commencent à fleurir dans différentes parties de l'Europe ce que l’on nomme des déserts – le terme ne signifiant pas ici une zone vaste et aride mais un lieu retiré « propice à cultiver le rêve et la nostalgie », comme le définit alors L’Encyclopédie. François Racine de Monville, un aristocrate qui fréquenta un temps la cour de Louis XV, ambitionne de construire le sien. L'homme est un érudit qui s'intéresse autant à l'horticulture qu'à la musique, l'architecture ou l'astronomie et l'héritage que lui laisse son grand-père lui permet de s'adonner à ses passions sans avoir besoin de travailler. En 1774, il acquiert un terrain de 13 hectares à Saint-Jacques de Retz, à l’orée de la forêt de Marly, en région parisienne.
 

 
Son désert prendra la forme d'un jardin anglo-chinois, un style qui devient une véritable mode dans la seconde moitié du XVIIIe. On attribue sur le territoire cet engouement à la publication du livre « Un récit particulier des jardins de l’Empereur de Chine » de Jean-Denis Attiret, un frère jésuite français et peintre au service de l’empereur de Chine. Le graveur Georges Louis Le Rouge  consacre au Désert le treizième de ses 24 cahiers traitant des jardins anglo-chinois.
 

Outre l’organisation faussement naturelle des jardins, le style anglo-chinois se caractérise également par la présence de pavillons orientaux ou antiques dispersés çà et là, au hasard des allées, donnant à l’ensemble une touche pittoresque et quasi romantique. S'y promener est une invitation à une déambulation poétique dans laquelle chaque recoin réserve son lot de curieuses découvertes.
A partir de 1775, François de Monville débute l’édification de son désert, tout en achetant peu à peu des terrains alentour pour étendre sa superficie. Très vite, il s’investit pleinement dans son projet. Il agence son jardin en dessinant les allées et les bosquets, sélectionne les arbres à planter et les essences rares qu’il fait venir des quatre coins du monde, aménage un potager, trace les grandes lignes des plans d’eau ou fait construire une serre chaude pour y accueillir des plantes exotiques.
Surtout, il esquisse le plan de chacune des constructions ornementales (appelées fabriques) qui germeront un peu partout dans son jardin. Un jardin voulu comme philosophique où différentes cultures, civilisations et courants de pensées seront représentés (l’Antiquité, les Physiocrates, les Encyclopédistes, les Lumières, les Sciences, la Chine, la Franc-maçonnerie…). En 1785, il établit un plan définitif du lieu qui compte alors près d’une vingtaine de fabriques sur 38 hectares.
 

Le visiteur est convié à une promenade dépaysante où il est question autant de botanique que de métaphysique, d’ésotérisme ou d’architecture. « Création la plus extravagante qu'ait jamais conçue un fou raisonnable », selon les mots de Charles Leroux-Cesbron, le Désert de Retz se veut aussi un parcours de « réflexion – méditation » censé pousser le promeneur à se questionner sur son existence et son rapport aux autres et à la nature. Un parcours initiatique inspiré de la franc-maçonnerie dans lequel chaque fabrique serait une station sur le chemin de la connaissance que l’initié doit franchir. L’entrée du site se fait alors d’ailleurs par le Rocher, « symbole des débuts de l’humanité », un passage de « l’obscurité à la lumière, de l’obscurantisme à la connaissance ». Une entrée en matière quasi onirique.
 

 
Une fois à l’intérieur du parc, la première chose qui frappe le visiteur est une étrange tour au loin qui semble avoir subi des dommages irréversibles. Il s’agit en fait de la Colonne détruite, une colonne dorique cannelée entourée d’une douve, avec une brisure judicieusement placée en son sommet. Plus qu’une simple réalisation fantasque, il faut y voir une allégorie de la tour de Babel qui fut détruite par la colère divine. Car tout est symbole ici. Celle-ci fait 15 mètres de diamètre, 25 mètres de hauteur et six étages.

 

 Si l’extérieur donne cet aspect simulé de ruine, l’intérieur est alors tout autre, avec une décoration raffinée (escalier hélicoïdal, miroir, verrière, faïence, cheminée en marbre, tableaux de maître…) Il faut dire que la colonne sera le lieu d’habitation principale de François de Monville dès 1781. Il y organise des réceptions et des manifestations culturelles, y reçoit ses invités parmi lesquels le duc d’Orléans, le roi Gustave III de Suède , la comtesse du Barry ou la reine Marie-Antoinette qui, dit-on, s’inspira du lieu pour concevoir son hameau de la Reine à Versailles.
 

 
Avant d’habiter la Colonne, le propriétaire du Désert avait élu domicile à la Maison chinoise, la première de ce type à avoir été construite en France. Bois de teck, balustrade de bambou, façades peintes en violet et rouge, toit couvert d’ardoises en écailles de poissons, poteaux sculptés en forme de roseaux, statue de personnage chinois… Le pavillon épousait méticuleusement les codes d’un exotisme sujet à l’époque à tous les fantasmes. Il s’est malheureusement écroulé au début des années 70.
 

Autre bâtisse surprenante, le Temple au dieu Pan fait référence à la Grèce antique et plus généralement à la philosophie. Il est composé d’un avant-corps semi-circulaire bordé de colonnes toscanes. Pour François de Monville, le Temple est avant tout un salon de musique dans lequel il s’exerce notamment à la harpe.

 
Quelques mètres plus loin, le visiteur tombe nez à nez avec une petite pyramide envisagée comme « métaphore de la perfection maçonnique ». Il s’agit en fait de la Glacière où le propriétaire des lieux stockait, à l’abri de la lumière et du soleil, de la glace afin de conserver les denrées fragiles et périssables. Celle-ci se compose de trois niveaux, une cuve qui descend jusqu’à 6 mètres sous terre, un soubassement et donc une pyramide. Pyramide qui renvoie évidemment à l’Egypte ancienne et à l’idée de conservation.

Tout au long de son parcours, le visiteur croisera également une Eglise gothique ruinée (ancien vestige de la chapelle de l’ancien hameau de Saint-Jacques-de-Retz édifiée au XIIIe siècle), une Tente Tartare plantée au milieu d’une petite île qui servait de salle d’armes ou un Petit Autel presque ruiné, sorte de bâtisse dédiée à la religion faisant référence à la Rome antique.
 

 

 
Jusqu’en 1792, François de Monville continue de peaufiner son jardin et reçoit en grande pompe l’aristocratie de l’époque en organisant des concerts ou des pièces de théâtre. Puis, sentant la Révolution arriver, il décide de revendre le parc à Lewis Fytche, un anglais qui y résidera par intermittence avec sa famille. Monville échappe de peu à la guillotine durant la Terreur et finit par mourir d’un problème dentaire en 1797, à l’âge de 63 ans. Le Désert de Retz, quant à lui, continue de vivre à travers les différents propriétaires qui se succèdent. D’abord l’auteur dramatique Jean-François Bayard puis Frédéric Passy, premier prix Nobel de la Paix, qui, avec ses descendants, entretient le parc pendant près d’un siècle. La famille Passy transforme le Désert en ferme avicole.

 

 
En 1941, le site est classé au titre des monuments historiques. Malheureusement, au fil du temps et des changements de propriétaires, le Désert commence à décliner - certaines fabriques sont en ruine, l’entretien est trop coûteux. Un projet de loi directement inspiré du lieu est même porté par André Malraux en 1966 pour obliger les propriétaires de patrimoine classé à effectuer des travaux sur leur site.
 
Il faudra attendre 2007, après le rachat du Désert par la commune de Chambourcy pour un euro symbolique, pour que d’importants travaux soient effectués. Si certaines fabriques sont irrécupérables (il ne reste plus rien de la Maison chinoise, du Tombeau ou de l’Ermitage), d’autres tiennent encore debout (la fameuse Colonne détruite, la Tente tartare ou la Glacière pyramide) et reprennent peu à peu vie grâce à une réfection minutieuse financés par l’État et des mécènes privés.
 
Aujourd’hui, le lieu est ouvert à la visite les samedis de début avril à fin octobre. C’est l’occasion de pouvoir accéder - enfin ! - à ce site encore relativement secret tant célébré par des artistes et intellectuels à travers les années - d’André Malraux à Jacques Prévert en passant par Colette, Julien Cendres ou François Mitterrand - pour refaire le parcours ésotérique, civilisationnel, bucolique, fantaisiste et architectural façonné par François de Monville il y a plus de deux siècles de cela.
 

Pour aller plus loin

- Consulter une sélection de documents Gallica autour de la thématique Jardin   
- Lire Le Désert de Retz, paysage choisi, de Julien Cendres et Chloé Radiguet ; préface de François Mitterrand ; postface de Pierre Morange (Éd. de l'Éclat, 2009)
 - Visiter le Désert de Retz

 

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