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Le fait divers dans les canards criminels

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En écho au Congrès Médias 19 – Numapresse : Presses anciennes et modernes à l’ère du numérique qui se poursuit demain à la BnF, intéressons-nous aux « canards criminels », ancêtres de la presse à sensation.

[Recueil. Assassinats et crimes divers], 1834-1912

« Canards » ? : de quoi s’agit-t-il ?

Le terme “canard” désigne notamment, au XIXe siècle, “les imprimés que l’on crie dans les rues” (Dictionnaire national ou Dictionnaire universel de la langue française, 1856). Il s’agit en particulier de publications occasionnelles spécialisées dans la diffusion de nouvelles extraordinaires, propices à être criées. Ce type de publications existait déjà depuis l’invention de l’imprimerie, comme en atteste la sélection Gallica d’« occasionnels » datant du XVe au XVIIe siècle, relatant des faits singuliers.

Un sensationnalisme ancien : la sélection Gallica « Des canards aux Histoires tragiques, l’information aux XVe-XVIIe siècles »

 Un recueil de canards conservé par le département Estampes et photographie de la BnF nous donne un aperçu de la variété des sujets dont étaient friands ces publications et leurs lecteurs, du début du XIXe siècle au seuil de la Grande guerre : tremblements de terre, inondations, drames en mer, incendies, mais également monstres et animaux fabuleux, affaires et scandales politiques, ou, plus inattendu, aventures arrivées dans des bals !
 

 [Recueil. Aventures arrivées dans des bals], 1844-1846

Ces feuilles, diffusées par les crieurs et colporteurs, attisent la curiosité du public en rapportant, comme leur titre l’annonce souvent, les « détails intéressants », « curieux », « navrants », « horribles » d’événements, en promettant des « révélations », ou bien, plus positivement, en s’enthousiasmant pour le courage des protagonistes ou le progrès technique. Elles sont souvent de grand format, in-plano ou in-folio, illustrées au moyen de bois gravés, parfois en couleurs à partir de la fin du XIXe siècle. Louis-Modeste Simonet (1854-1933) est signalé par Jean-François MaxouHeintzen comme un éditeur prolifique de canards. Léon Baudot (18..-19..), installé à Paris, semble également avoir affectionné ce type de publications, dans lequel s’est aussi aventurée l’Imagerie d’Epinal

[Recueil. Courage militaire. Conseil de guerre. Espions prussiens], 1830-1908

[Recueil. Canards. 1830-1912]

L’illustration des faits en chanson : les complaintes

Le récit est fréquemment suivi d’une « complainte », que le Dictionnaire de l’Académie française définit comme une chanson ou cantique populaire dont le sujet est tragique ou pieux. Signalons, dans ce domaine entre autres, la richesse du site Criminocorpus, dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines, qui a mis en ligne plus d’un millier de complaintes criminelles composées entre 1870 et 1939. Certains chansonniers sont des auteurs féconds de complaintes, à l’image de Léon Bonnenfant, auquel on doit, par exemple, une complainte sur les crimes de logresse Jeanne Weber ou ceux de Landru. Ces complaintes étaient oralisées par les chanteurs ambulants, sur un air connu préexistant : lair du Maréchal de Saxe, par exemple, composé à l’occasion de la mort de ce personnage au XVIIIe siècle, ou celui qui deviendra « l’air de toutes les complaintes » : l’air de Fualdès du nom d’une affaire qui défraie la chronique au début du XIXe siècle. Plus rarement, la complainte est associée à une mélodie composée « sur-mesure ».

Un exemple des enregistrements accessibles sur le site Criminocorpus

Les affaires criminelles, matière de prédilection des canards

Le Dictionnaire de l’Académie française illustre l’article qu’il consacre aux complaintes par l’exemple « On a fait une complainte sur cet assassinat ». L’exemple n’est pas innocent, car les affaires criminelles constituent un thème de choix pour les canards et les complaintes qu’ils contiennent. On parle alors de « canards criminels », « judiciaires » ou « sanglants ». Selon la matière dont dispose l’éditeur, ils sont consacrés à une seule ou plusieurs affaires.

[Recueil. Assassinats et crimes divers], 1834-1912

Canards vs factums

Les canards criminels ont été parfois intégrés à tort à la collection de factums conservée par la BnF. Le « terme de palais » « factum » désigne, selon le Dictionnaire de l’Académie française –toujours lui !-, un « mémoire, exposé sommaire des faits d’un procès, et des moyens [c'est-à-dire de l'argumentation] d’une des parties ». La confusion avec les canards s’explique, ces derniers s’intéressant souvent à une affaire judiciaire, et comportant, comme les factums, un exposé des faits. Cependant, le factum, contrairement au canard, est rédigé à l'occasion d’une procédure et expose les arguments d’une des parties au procès, dans le but d’obtenir gain de cause. Le canard peut, lui, être contemporain à l’affaire ou publié a posteriori, et s’adresse à l’opinion publique, cherche à émouvoir et satisfaire la curiosité du lecteur.

Pour en savoir plus sur les factums, la sélection de Gallica

Demain, nous terminerons notre série de billets sur le fait divers dans la presse par un focus sur l’Œil de la police, hebdomadaire illustré des années 1910 spécialisé dans le fait divers.

Pour en savoir plus :

- Stéphanie Tonnerre-Seychelles, « Ouvrons les « canards sanglants ! », blog Gallica, 17 septembre 2021
- Clélia Guillemot et Claude Liberman, « Le fait divers dans Gallica », blog Gallica, 27 mai 2022
- Les travaux de Jean-Pierre Seguin, de Maurice Lever sur les canards, ceux de Jean-François MaxouHeintzen sur les complaintes criminelles.
 - Jean-François “Maxou” Heintzen et Sophie Victorien, « Les complaintes criminelles en France après 1870 : inventaire, problématisation, valorisation d’un corpus méconnu », Criminocorpus, actes du colloque (2/3 avril 2019, Archives Nationales, BnF) mis en ligne le 01 mars 2021.
 - Geoffrey Fleuriaud, « Le factum et la recherche historique contemporaine. La fin d'un malentendu ? », Revue de la BnF, 2011/1 (n° 37), p. 49-53.

Publié initialement le 16 septembre 2021

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