Pierre Marie Dumoutier, un phrénologue dans les mers du Sud
L’une des raisons du succès populaire de la seconde expédition au pôle sud et en Océanie de Dumont Durville (1837-1840) est certainement due à la participation du phrénologue Pierre Marie Dumoutier (1797-1871). Héritière de la physiognomonie de Johann Kaspar Friedrich Lavater, la phrénologie promettait, grâce à la méthode « cranioscopique », de déchiffrer les méandres de la psyché humaine par la lecture des protubérances crânienne.
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L’ensemble des crânes humains étaient appelés à passer sous l’expertise phrénologique, celui d’un Goethe, comme celui du criminel Lacenaire ou encore les cinq crânes de papous rapportés par Freycinet lors de son voyage de circumnavigation (1817-1820).
La chasse aux crânes était à cette époque une occupation scientifique extrêmement répandue et qui n’était pas sans poser quelques problèmes non pas éthique mais surtout liés à l’approvisionnement devant le peu de goût des populations locales à abandonner les reliques de leurs ancêtres ou bien les marchandages parfois compliqués pour se les procurer.
Dumoutier, homme ingénieux, eut alors l’idée remarquable de procéder à des moulages de crânes sur des populations vivantes. Voici en quoi consistait sa méthode : « La tête de l’individu, préparée à l’ordinaire, couchée horizontalement, reposait dans une sorte de boîte échancrée pour le cou et à demi remplie de plâtre très liquide. L’artiste laissait prendre le fond, tout en amusant le patient et ce n’est que quand il avait déjà toute sa moitié post-auriculaire complètement terminée qu’il se hâtait de confectionner avec du plâtre fortement salé (pour hâter la prise) la pellicule faciale, rapidement coupée au fil en deux quartiers symétriques. (1) »
La légende veut que Dumont d’Urville, rendu célèbre après son premier voyage d’exploration, se soit initié à la phrénologie suite à la lecture très flatteuse de son propre crâne à Londres par James Deville. Une cranioscopie de contrôle effectué à Paris devait confirmer les louanges de Londres et achever de convertir le navigateur normand à cette science alors très en vogue.
La mission particulière confiée à Dumoutier était énoncée dans les « instructions pour la zoologie » par Henry de Blainville pour l’académie des sciences de Paris. Ces instructions demeuraient plutôt vagues quant à ce qui devait être rapporté et la méthode à employer pour amasser des données scientifiques pouvant « servir au perfectionnement de l’histoire naturelle de l’homme ». Aussi, l’expédition était-elle invitée à étudier la race des Patagons, toujours objet de spéculation, les populations des îles Salomon et encore les « Nègres » de la Nouvelle-Guinée dont on voulait savoir pourquoi ils vivaient au milieu des « races cuivrées ». C’est en fait par le biais officieux de la Société phrénologique qui lors d’une de sa séance du 10 mai 1837, à laquelle participa Dumont d’Urville, que vinrent les véritables recommandations pour une « phrénologie appliquée à l’étude des diverses races» (2). Contrairement au flou des instructions officielles de l’académie des sciences, les phrénologues insistèrent pour que Dumoutier ne se contente pas de rapporter des bustes en plâtres et des crânes afin de procéder à leur examen phrénologique en Europe, mais qu’il puisse également ajouter aux connaissances des « naturels » des observations objectives de leurs mœurs. Projet d’une première ethnographie raisonnée que le phrénologue confirmait dans son premier rapport écrit puisque il y affirme que :« des notes ont été prises directement sur les lieux et des renseignements ont été puisés aux sources les plus authentiques, telles qu’auprès des gouverneurs, des chefs de district, des résidents, des médecins, des missionnaires sur le dénombrement des populations, sur leur mode de gouvernement, leur religion, leur culte, leurs coutumes ou usages, leurs arts, leur industrie, leur commerce, leur juridiction, etc. (3) » Malheureusement, ces notes de Dumoutier ne firent pas l’objet de publication à l’exception d’un petit opuscule sur les îles Marquises paru en 1843 (4).
Pourquoi Dumoutier n’a t- il jamais prit la peine de publier sa relation, les péripéties de ses recherches phrénologiques et de faire ses propres commentaires à ses découvertes alors que la partie « anthropologique » des publications de l’expédition, qui fut finalement rédigée par Emile Blanchard, lui avait été réservée ? Selon Ackernecht (5), c’est tout simplement par manque de volonté et de prédisposition pour l’écriture : Dumoutier n’est finalement qu’un simple préparateur et manquait de carrure pour se lancer dans une besogne de la sorte. Renneville (5) est lui moins cruel avec la mémoire du meilleur réalisateur de bustes phrénologique de son époque et formule l’hypothèse pertinente que suite à la mort tragique de Dumont d’Urville en 1842, il se produisit un changement de ligne éditorial dans la publication des volumes consacrés à l’expédition au Pôle sud, sous la direction de Vincendon-Dumoulin, qui fut défavorable aux positions théoriques de Dumoutier. Ainsi le Tome 1 de la « zoologie » fut confié à Hombron qui, loin de se contenter de disserter sur le règne animal rencontré par l’expédition, fit de son ouvrage une véritable tribune pour défendre les thèses créationnistes et polygénistes sur l’origine de l’humanité ponctuée d’attaques contre Dumoutier. Ces deux hypothèses ne s’excluent nullement et la vérité est sans doute composée d’éléments de ses deux réponses. Finalement, la seule participation visible de Dumoutier à la publication scientifique du dernier voyage de Dumont d’Urville sera réservée à l’atlas anthropologique où l’on trouve, hormis les quelques crânes achetés par lui, une reproduction de la cinquantaine de bustes modelés provenant principalement d’Océanie.
Marc Rochette - Direction des Collections, département Philosophie, Histoire, Sciences de l'Homme
(1) E. T. Hamy, « La collection anthropologique du muséum national d’histoire naturelle », L’Anthropologie, tome XVIII, n°1-2, 1918, pp. 257-276.
(2) P. M. Dumoutier, Notes des travaux relatifs à l’étude de l’histoire naturelle de l’homme, et des matériaux recueillis sur ce sujet pendant le cours du voyage des corvettes l’Astrolabe et la Zélée sous les ordres de Monsieur le capitaine de vaisseau Dumont d’urville pendant les années 1837, 1838, 1839 et 1840. (Paris, Musée de l'Homme, Ms. 73, première partie : 3).
(3) Ibidem.
(4) P. M. Dumoutier, Notice phrénologique et ethnologique sur les naturels de l’Archipel Nouka-Hiva (Iles Marquises). - Paris, Fain et Thunot, 1843. Cote BnF LK13- 1.
(5) E. H. Ackernecht, « P.M.A. Dumoutier et la collection phrénologique du Musée de l’homme », Bulletin de la Société Anthropologique de Paris, 1856, 10e série, vol.7, pp. 289-308.
(6) M. Renneville, Le Langage des crânes. Une histoire de la phrénologie. - Paris, Institut d’édition Sanofi-Synthélabo, 2000. Cote BnF 2001-679.
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