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Les chants de la Commune

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28 mai 2021

À l'occasion des commémorations des 150 ans de la Commune, nous vous proposons de (re)découvrir en chansons cette période de l’histoire de France par une sélection d’enregistrements conservés dans les collections de la Bibliothèque nationale de France.

Figure allégorique de Mai 1871: estampe de Petit Pierre, i.e. Théophile Alexandre Steinlen (1894)

 

Le 17 septembre 1870, Paris est encerclé, les troupes prussiennes sont aux portes de la capitale. Depuis juillet, la France est en guerre contre une coalition d'états allemands menée par les Prusses. Commence alors le siège de Paris, une des périodes les plus difficiles de l'histoire de ses habitants : toutes les denrées sont rationnées à l'extrême, on manque de tout, on meurt de faim et on meurt de froid, l'hiver étant d'une rigueur exceptionnelle. La classe populaire ouvrière, déjà plongée dans un état de misère extrême par l'arrêt économique de la capitale, est bien sûr la plus durement touchée.
Au désespoir et à la peur se joignent rapidement la colère et la révolte. La patrie est en danger, le gouvernement provisoire de la jeune République née de la défaite de Sedan s'avère incapable de contrer l'avancée de l'ennemi. Des patriotes se réunissent alors en clubs politiques révolutionnaires, refusant la défaite et la soumission : le souffle des révolutions de 1789 et 1848 et les idéaux d'une république réellement démocratique et populaire enflamment à nouveau les esprits. À plusieurs reprises, des manifestions importantes (octobre 1870 puis janvier 1871) réclamant une Commune font trembler les rues de Paris et le gouvernement en place, qui les répriment alors violemment.
La chanson Bonhomme, composée par le blanquiste Emile Dereux en 1870, est un hymne vibrant à l'esprit révolutionnaire de la France et un véritable appel au peuple à lutter et refuser un gouvernement tyrannique et injuste.

Bonhomme, n'entends-tu pas
le bourgois railler ta misère
Il dit que ton sang dégénère
que ta race autrefois si fière
se courbe aujourd'hui sous la peur
Bonhomme, bonhomme, qu'as-tu fais de ton coeur ?
(...)
Bonhomme, n'entends-tu pas
ce refrain de chanson française
ce refrain, c'est la Marseillaise
celui qui fit quatre vingt treize
à ce chant là quitte l'outil
Bonhomme, bonhomme, va chercher ton fusil !
Et vive la Commune, bon dieu
et vive la Commune!

Un héritage musical : les chants des précédents mouvements révolutionnaires

Dès le commencement de la guerre, puis face aux désastres militaires et à l'annonce du gouvernement en place d’une capitulation imminente devant l’armée prussienne, des chants patriotiques et revendicatifs, promouvant la voix et le courage du peuple, seront déjà à l’honneur, puisés dans les répertoires créés lors des révolutions et contestations sociales précédentes des XVIIIe et XIXe siècles : Le chant du départ, chant révolutionnaire républicain (1794), Le chant des ouvriers (1846-48), Le chant des soldats de Pierre Dupont (1848), ou bien encore La Canaille, le chant des gueux (écrit par Alexis Bouvier en 1865).
 

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Le chant des ouvriers (paroles et musique de Pierre Dupont, 1846)
Hymne de la révolution de 1848
(Bibliothèque nationale de France - AP-4643)
 
 
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Le chant du départ (paroles de M.J. Chénier, musique d'E. Méhul, 1794)
(Bibliothèque nationale de France - Pathé saphir 3160)
 
Si la révolution de 1789 est dans les coeurs, il faut souligner que La Marseillaise  connaîtra rapidement une période de disgrâce : récupérée politiquement par le gouvernement impérial précédent dans ses préparatifs guerriers, de nombreux opposants la banniront dès l’annonce de la guerre franco-prussienne, comme Jules Vallès : « Elle me fait horreur votre Marseillaise de maintenant ! Elle est devenue un cantique d’Etat. Elle n’entraîne point des volontaires, elle mène des troupeaux ! » (L'insurgé, 1871).
 

Les premiers chants de La Commune

Parallèlement à ces anciennes compositions, des chants commencent à être créés, avec comme thèmes principaux la défense de Paris et de la patrie face aux Prussiens, le mépris pour Napoléon III (Le Sire de Fisch Ton Kan de Paul Burani, et mis en musique par Antonin Louis) et pour le Gouvernement provisoire "capitulard" (L'armistice d'Alphone Leclerc (1870) ; Paris pour un beefsteak d'Emile Dereux (1870) ; Le plan Trochu, moquant l'échec de la seconde bataille de Buzenval de janvier 1871 et oeuvre collective des journalistes du Grelot ; Paris n'est pas perdu!, chanson anonyme de 1870) et l'appel à la révolte (Quand reviendra-t-elle ? (au citoyen Mijoul) d'Eugène Pottier (1870)).
 
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Paris pour un beefsteak (Emile Dereux, 1870)
(Bibliothèque nationale de France - YE-7185 (864))
 
Vive la Paix ! La France est aux enchères ;
Demain, bourgeois, vous pourrez regoinfrer.
Bismarck attend au château de Ferrières
Que dans Paris, Thiers lui dise d’entrer.
Favre griffonne un dernier protocole,
Trochu renonce à son plan incompris…

 
C’est le vieux Badinguet qui a quitté Paris, Qui va crier partout que Paris sera pris ; Ce sont les Parisiens qui lui ont répondu « Va donc, mon vieux Badingue, Paris n’est pas perdu. »
Paris n'est pas perdu ! (Anonyme, 1870)
Le 28 janvier 1871, l'armistice est proclamée. En février, les députés d'une nouvelle Assemblée nationale sont élus, majoritairement monarchistes et pacifistes : sur 43, seuls quatre députés socialistes révolutionnaires ont un siège. Entre le 15 et le 24 février, des délégués de la Garde nationale élisent une Commission provisoire et votent le refus de laisser le gouvernement de Thiers les désarmer. Ils emportent l'adhésion populaire et la contestation devient croissante.
 
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L'Armistice (Alphonse Leclerc, 1870)
Histoire de France par les chansons
Le Chant du monde, 1961
(Bibliothèque nationale de France - E-19401)
 
Ah ! zut à ton armistice !
Bismarck, nous n’en voulons pas.
Nous nous levons tous en masse
Pour répondre à l’insolent ;
Pas un ne fait la grimace,
Qu’il soit rouge, noir ou blanc ;
Fier de courir au combat
Pour l’honneur et la justice !
 
Le 26 février, le traité de paix est signé par le gouvernement, alors réfugié loin de Paris. Le 28 février, la Commission provisoire fait déplacer les canons de la Garde nationale à l'abri, à Montmartre et Belleville, alors que les troupes allemandes sont déjà entrées dans la capitale. Parallèlement, le gouvernement accable la population en supprimant le moratoire des dettes et des loyers, sanctionne les gardes nationaux en leur supprimant leur solde de trente sous et fait régner la censure sur les journaux et les idées : Auguste Blanqui et Gustave Flourens sont condamnés à mort par contumace pour leur participation aux insurrections d'octobre 1870.
 

Le chant des insurgés

Le 18 mars 1871, alors que le gouvernement d'Adolphe Thiers revient à Paris pour pacifier la ville et tente de récupérer les canons de Montmartre, les Gardes nationaux du Comité provisoire devenu Comité central, accompagnés de nombreuses femmes, s'opposent à l'armée régulière. Le premier sang de la Commune est versé. Le peuple de Paris se soulève et le gouvernement se réfugie à Versailles. La Commune est proclamée le 26 mars : tout devient possible, la révolution est entière.
 
 
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La Prise de Paris, Mai 1871, La Barricade de la place Blanche défendue par des femmes : [carte postale, 1871]
(Ville de Paris / Bibliothèque Marguerite Durand)
 
La foule chante la Marseillaise. Mais l’Empire l’a profanée ; nous, les révoltés, nous ne la disons plus.
Louise Michel
De nouveaux chants sont créés et transmettent l'"esprit de la Commune", celui de la révolte populaire, du refus de la paix des lâches mais aussi d'une joie effervescente : La Commune (anonyme), La république sociale d'Emmanuel Delorme, Vive la Commune! du poète-ouvrier Eugène Chatelain, La Marseillaise de la Commune de l'institutrice Julie Favre, ou bien encore La danse des bombes, écrit par Louise Michel et chantée sur l'air de La Marseillaise.
Louise Michel, comme Jules Vallès, ne souhaitera pas entendre l'hymne de La Marseillaise : « La foule chante la Marseillaise. Mais l’Empire l’a profanée ; nous, les révoltés, nous ne la disons plus » (Mémoires).
 
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Louise Michel (photographie de J.M. Lopez, 1870)
(Bibliothèque Marguerite Durand - 099 B 512)
 
La nuit est écarlate
Trempez-y vos drapeaux
Beaux enfants de Montmartre
La victoire ou le tombeau
Oui, barbare je suis
Oui, j'aime le canon
Et mon coeur, je le jette
À la Révolution
Oui, mon coeur je le jette
À la Révolution

La danse des bombes - Louise Michel, 1871
 
Ces chants en décriront bien sûr les évènements les plus marquants : Le Mouvement du 18 mars (chanté sur l'air du Chant des soldats) de Ferré Léger, rappelle les débuts du mouvement insurrectionnel ; La semaine sanglante, de Jean-Baptiste Clément, évoque le massacre des communards et la répression menés par les troupes versaillaises entrées dans Paris la semaine du 21 mai, la chute de la Commune le 28, mais aussi le désir de revanche.
 
 
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La semaine sanglante (Jean-Baptiste Clément, 1871)
(Bibliothèque nationale de France - E-21730)
 
Sauf des mouchards et des gendarmes,
On ne voit plus par les chemins,
Que des vieillards tristes en larmes,
Des veuves et des orphelins.
Paris suinte la misère,
Les heureux mêmes sont tremblants.
La mode est aux conseils de guerre,
Et les pavés sont tout sanglants.
 
Les journaux de l'ex-préfecture
Les flibustiers, les gens tarés,
Les parvenus par l'aventure,
Les complaisants, les décorés
Gens de Bourse et de coin de rues,
Amants de filles au rebut,
Grouillent comme un tas de verrues,
Sur les cadavres des vaincus.
 
On traque, on enchaîne, on fusille
Tous ceux qu’on ramasse au hasard.
La mère à côté de sa fille,
L'enfant dans les bras du vieillard.
Les châtiments du drapeau rouge
Sont remplacés par la terreur
De tous les chenapans de bouges,
Valets de rois et d'empereurs.
 
Oui mais !
Ça branle dans le manche,
Les mauvais jours finiront.
Et gare ! à la revanche
Quand tous les pauvres s’y mettront.

 
Les chants entonnés par les communards jouent un rôle très important dans leur lutte idéologique, portés par de grands chansonniers engagés comme Eugène Pottier et Jean-Baptiste Clément, mais aussi par de nombreux anonymes. Ces chants martèlent les conditions de vie du peuple et plus particulièrement du monde ouvrier (La canaille, Bonhomme), et la responsabilité des gouvernements successifs qui exploitent, méprisent et brisent les plus faibles.
Les personnalités marquantes de ce mouvement seront également au centre des créations des chansonniers de l’époque, comme le colonel Louis-Nathaniel Rossel ayant rejoint le mouvement des communards et exécuté en novembre 1871 (La complainte de Rossel, chant anonyme).
Les anti-communards, les "partisans de l'ordre", prendront également la plume et chanteront leur désaccord (Grande et véridique complainte des membres de la Commune de Paris, chanson satirique anonyme de 1871).
 
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Le capitaine "Au-Mur" (Jean-Baptiste Clément, 1872)

La Poésie et la Commune. 1911
 
Après la chute de la Commune, on continuera à chanter ses héros et ses drames, les exécutions (Le tombeau des fusillés, du montmartrois Jules Jouy, 1887 ; Le Capitaine "Au-Mur", écrite en 1872 par Jean-Baptiste Clément, où le chansonnier fait allusion au Mur des Fédérés devant lequel, le 28 mai 1871, 147 Fédérés furent fusillés et jetés dans une fosse commune par les soldats Versaillais), les déportations (Les transportés, de Jean Allemane, membre de la Garde nationale de Paris, lui-même déporté ; ►Louise Michel, de Jules Jouy, 1888), mais aussi les espoirs déçus (Le temps des Cerises de Jean-Baptiste Clément (1866), Jean Misère d'Eugène Pottier (1880)).
 
 
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► Le temps des cerises (paroles de J.B. Clément, 1866 ; musique d'Antoine Renard, 1868)
Interprété par Yves Montand, Odéon, 1958
(Bibliothèque nationale de France - E-5437)
Les paroles de cette chanson peuvent évoquer aussi bien une révolution ayant échouée qu'un amour perdu. Elle ne fut pas chantée pendant la Commune mais Jean Baptiste Clément dédie en 1882 sa chanson à une ambulancière rencontrée lors de la Semaine sanglante, alors qu'il combattait. "À la vaillante citoyenne Louise, l'ambulancière de la rue de la Fontaine-au-Roi, le dimanche 28 mai 1871."
 
Ces chants seront souvent de véritables "instantanés" des évènements heureux et malheureux de la Commune, mais aussi, dans le temps, les porteurs et gardiens d’un espoir partagé par tous les plus défavorisés : celui de l’avènement prochain d’un monde nouveau, à l'image de leurs idéaux (Elle n’est pas morte, L'insurgé d'Eugène Pottier (1885), Le drapeau rouge de Paul Labrousse (1877), et bien sûr le chant de L’Internationale, écrit par Eugène Pottier en 1871 et mis en musique en 1888 par Pierre Degeyter).
 
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L'internationale (paroles d'E. Pottier, 1871 ; musique de P. Degeyter, 1888
(Bibliothèque nationale de France - AP-4644)
Cet hymne au mouvement ouvrier sera écrit en 1871 par Pottier mais ne sera publiée que bien plus tard. Cet chant deviendra l'hymne national de l'URSS jusqu'en 1944. Il est l'un des chants politiques les plus traduits au monde.
 
Debout ! les damnés de la terre !
Debout ! les forçats de la faim !
La raison tonne en son cratère,
C’est l’éruption de la fin.
Du passé faisons table rase,
foule esclave, debout ! debout !
Le monde va changer de base :
nous ne sommes rien, soyons tout !
 

La Commune dans l'édition discographique au XXe siècle

Si on trouve de nombreux enregistrements des chants antérieurs à 1850, force est de constater que les chants contemporains de la Commune sont les grands absents des répertoires discographiques de la première moitié du XXe siècle. À l'exception des chants de L'Internationale, du Temps des cerises, et de l’Hommage aux héros de la Commune (La Commune), chanson écrite en 1910 par Louis Marchand et mise en musique par le célèbre chansonnier montmartrois Aristide Bruant, on ne trouve pas d'autres rappels ou éditions discographiques des chants de cette période de l'histoire de France. Mal-aimée, occultée, discutée ou honnie, il faudra attendre la seconde moitié du XXe siècle et en particulier le centenaire de la Commune de 1971, pour que le répertoire de ses chansons resurgisse et soit interprété par des grandes voix françaises (Jean Ferrat, Rosalie Dubois, Mouloudji) et des groupes tels que Les Quatre Barbus et le Groupe "17". De nouvelles créations musicales en hommage à la Commune verront également le jour, dont la célèbre chanson interpétée par Jean Ferrat, Les cerisiers
Les années 70, années de toutes les contestations et de toutes les utopies, trouvent un écho en la Commune et permettent aux voix des insurgés d'être entendues à nouveau. 
Tant que je pourrai traîner mes galoches, je fredonnerai cette chanson-là, que j'aimais déjà quand j'étais gavroche, quand je traversais le temps du lilas.
Que d’autres que moi chantent pour des prunes. Moi je resterai fidèle à l’esprit qu’on a vu paraître avec la Commune, et qui souffle encore au cœur de Paris »
(Les Cerisiers - musique et interprétation : Jean Ferrat ; paroles : Guy Thomas - 1985)

 

Pour aller plus loin

Une discographie est consultable ici (BnF - "Commémorer la Commune de Paris")
Retrouvez également tous les évènements de la Commune et de nombreux documents des collections de la BnF et de ses partenaires sur le fil Twitter de Gallica.
 

Commentaires

Soumis par Bethery le 05/06/2021

Bonjour
Votre papier est très bien. J'y regrette pourtant une lacune. On aurait dû trouver le nom de Marc Ogeret dans les grandes voix du XXe siècle qui ont célébré la Commune.
Bien à vous.

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