Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

Étienne de Lamothe-Langon (1786-1864)

0
19 mai 2018

Étienne-Léon, baron de Lamothe-Langon, est un écrivain à succès représentatif de la période de la Restauration, avec ses romans sentimentaux, de mœurs, mais aussi gothiques. Il a également été l’auteur de mystifications historiques et de nombreux livres de Mémoires apocryphes.

Lamothe-Langon « fut sans conteste un auteur qui comprit son public et sut lui plaire », écrit son biographe Richard Switzer (Étienne-Léon de Lamothe-Langon et le roman populaire français de 1800 à 1830), qui ajoute : « Il peut jouer le rôle de reflet du monde littéraire de son temps, et nous aider à comprendre plus à fond les mouvements et les développements auxquels il a participé ». Ce polygraphe est l’exemple même de l’écrivain populaire en phase avec son époque, et délaissé par la suite. Car malgré ses succès passés, il était déjà oublié à la fin de sa vie.

Étienne-Léon de Lamothe-Langon voit le jour à Montpellier le 1er avril 1786, mais passe sa jeunesse à Toulouse, où son père, membre du Parlement de cette ville, est exécuté par la République alors que le jeune Etienne n’a que sept ans. Elève turbulent, renvoyé des écoles, il se fait autodidacte et commence très tôt à écrire. Il suit sa mère à Paris dans les années 1800, où il fréquente les salons littéraires, y lit des poèmes de son cru, et reçoit des éloges d’auteurs comme Fontanes, Mme de Genlis ou Chateaubriand. Son premier roman imprimé (il en avait écrit déjà un certain nombre, restés à l’état de manuscrits), Clémence Isaure, ou les Troubadours, connaît un beau succès, puisqu’il est traduit en allemand, anglais et italien. En 1809, Lamothe-Langon est donc connu : il commence alors une autre carrière. Auditeur de première classe au Conseil d’État impérial, il est nommé sous-préfet de Toulouse le 11 juillet 1811, puis est muté à Livourne en 1813. Il y participe à la bataille de Viareggio, et est nommé Baron d’Empire. Il perd tout à la chute de Napoléon, mais pendant les Cents-Jours se retrouve préfet à Carcassonne. Après Waterloo, sa carrière politico-administrative est finie. Il lui faut vivre et pour cela il va se lancer à nouveau dans l’écriture.
 


 

D’abord dans les journaux, où il publie sans trêve chroniques, contes, poèmes : La Minerve, La Pandore, Le Constitutionnel, Le Journal des Débats… Il va rédiger aussi toutes sortes de textes. Outre ses récits, il participe en 1823 à la rédaction des Biographies toulousaines. En 1826, il rédige une Biographie des préfets des 87 départements, dictionnaire aux portraits caustiques qui connaît un succès de scandale. Il multiplie les écrits, qui paraissent souvent non signés, ou avec un nom d’emprunt : en 1816, par exemple, il rédige L'Ermite de la tombe mystérieuse, ou Le Fantôme du vieux château sous le nom d’Ann Radcliffe, un auteur phare de la littérature gothique anglaise. Ce qui fait qu’il est difficile de cerner quantitativement son œuvre. Certaines sources avancent 150 livres, mais d’autres amplifient largement ce chiffre. Il ne faut pas oublier que le gros de sa production se déploie entre 1816 et 1840, c’est-à-dire avant l’invention du roman-feuilleton (qui date de 1836). Les revenus des auteurs dépendent uniquement de la vente de leurs livres, aux petits tirages et donc chers. Sans revenus personnels, sans réseaux, Lamothe-Langon doit donc écrire et publier sans relâche pour subsister.

Il ne s’arrête qu’en 1844, épuisé, déconnecté de la littérature des années 1840. « C'était, sur la fin du règne de Louis-Philippe, un vieillard de haute taille, un peu voûté, un peu fané, visiblement surmené par l'excès du travail et l'abus de l'opium, qu'il prenait en globules », relate un témoin. Il vivote assez misérablement non loin du Jardin des Plantes à Paris, en partie aux crochets de son fils. C’est là qu’il décède dans le dénuement le 24 avril 1864.
 


 

Dans sa frénésie de publications tout azimut, Lamothe-Langon a tâté de tous les procédés d’écriture, de tous les genres. Auteur reconnu pour ses poèmes historiques et patriotiques dans sa jeunesse, il se lance par la suite dans le roman. Il commence par le roman historique, avec d'abord, on l’a vu, Clémence Isaure en 1808. Mais il va continuer dans cette veine, sans d’ailleurs grande originalité par rapport à ses confrères. Ainsi paraît en 1821 Jean de Procida, ou les Vêpres siciliennes, imitation presque éhontée du grand succès théâtral de l’époque, Les Vêpres siciliennes de Delavigne.

Et du roman historique à l’Histoire proprement dite, il n’y a qu’un pas, qu’il franchit allègrement. Il écrit en 1829 une Histoire de l'Inquisition en France, fondée sur des documents inédits retrouvés dans le diocèse de Toulouse. Ce travail apparaît extrêmement sérieux et documenté : on y trouve décrits les crimes imputables aux tribunaux inquisitoriaux, alignant noms de victimes, dates et lieux. Nombre d’historiens vont se servir de ce texte pour leurs propres recherches … jusqu’aux années 1970 où l'on se rend compte que ces archives ecclésiastiques n’ont jamais existé : Lamothe-Langon avait tout inventé ! Son récit est maintenant considéré par les spécialistes « comme une des plus grandes falsifications de l'histoire

Le pli est pris, et il va continuer à creuser ce sillon en rédigeant, également en 1829, la première des Mémoires apocryphes qui vont lui permettre de laisser une (infime) trace dans la littérature. Car il y en a eu beaucoup. Les plus célèbres sont les Mémoires de madame Du Barri, qui connaît près de cinq rééditions entre 1828 et 1869, et sera également publié au Etats-Unis jusqu’en 1902, les Mémoires et souvenirs d'un pair de France, les Mémoires d’une femme de qualité sur Louis XVIII, sa cour et son règne (1829) et sur le Consulat et l’Empire (1830). Ce type de narration lui procure de l’argent, et il va continuer de plus belle à fabriquer de faux souvenirs : L'Empire, ou Dix ans sous Napoléon, Mémoires de Louis XVIII, et on trouve encore dans sa production Cambacérès, Sophie Arnould, Richelieu, un conventionnel, un émigré, le coiffeur de Marie-Antoinette, etc. Il privilégie dans ces écrits l’anecdote au dépend de révélations supposées fracassantes ou de la réflexion historique. Certains titres ont été rédigés probablement trop rapidement ; en tout cas l’éditeur les a fait réviser par d’autres avant leur publication (dont, peut-être, Charles Nodier). Son dernier ouvrage, en 1846, sera encore de prétendus souvenirs, les Mémoires de la Comtesse de Valois de La Motte.

 

 

On voit que pour Lamothe-Langon la réalité et la fiction sont interchangeables, du moment que les livres se vendent. Il aborde le roman sentimental en des formules et des thèmes typiques de cette époque : héroïne vertueuse, forme épistolaire, langage archaïque (Maitre Etienne, 1819). Il travaille aussi beaucoup sur le roman de mœurs : La Cour d'un prince régnant, ou Les deux maîtresses (1824), Le fournisseur et la Provençale (1830), Le Duc et le Page  (1831), La Province à Paris, ou les Caquets d’une grande ville (1825). Un critique en conclura plus tard, en 1839 : « Des détails piquants, une observation vraie des vices et des ridicules de la société, des situations comiques, un style rapide et animé, mais déparé par de nombreuses incorrections, sont les qualités qui distinguent ce roman. »

C’est dans ce domaine qu’il obtient son plus grand succès, Monsieur le Préfet (1824), avec trois éditions en seulement deux ans. Dans le journal Le Globe du 21 décembre 1824, on peut lire : « On s’est promptement procuré le séditieux ouvrage ; on l’a lu avec des transes, en s’emportant souvent, en rougissant quelque fois ». Stendhal lui fait l’honneur d’une critique, qui est cependant très mitigée : « Ainsi, l'auteur de ce nouveau roman peint avec une remarquable justesse toutes les formes de servilité qui se pressent autour d'un préfet en faveur », mais il corrige aussitôt : « Monsieur le Préfet (roman en 4 vol.) est un admirable sujet gâché par un écrivain incapable d'en tirer parti ».

Lamothe-Langon sait parfois être novateur. On trouve en effet dans son œuvre des éléments qui présagent de ce qui va devenir un demi-siècle plus tard le roman policier. Le Spectre de la galerie du château d’Estalens (1820) expose dans un Moyen Age de fantaisie « un meurtre énigmatique, une enquête conduite à partir de l’arme du crime, et un problème de chambre close, sans doute le premier du genre » (Daniel Compère, Dictionnaire du roman populaire francophone, qui juge que Lamothe-Langon est « un précurseur d’un roman policier »). L’Espion de police (1826) décrit, vingt ans avant Eugène Sue, les bouges et tripots des quartiers mal famés, et y rajoute filatures et interrogatoires. Le succès de l’ouvrage a peut-être incité le célèbre Vidocq à écrire son autobiographie. On peut citer également les mémoires de Jacques Peuchet (et on sait ce que vaut pour Lamothe-Langon la signification du terme « Mémoires ») qui aurait travaillé dans la police : Mémoires tirés des archives de la police de Paris (1838) où, dit-on, Alexandre Dumas aurait trouvé l’idée du Comte de Monte-Cristo.

 

 

Mais son sujet romanesque de prédilection reste les histoires gothiques, inspirées de l’œuvre d’Ann Radcliffe et Matthew Gregory Lewis, fleurons du fantastique romantique anglais : Les mystères de la tour de Saint-Jean, ou Les chevaliers du Temple (1819, sous le nom de Lewis), Le spectre de la galerie du chateau d'Estalens, ou Le sauveur mystérieux (1820), Le Monastère des frères noirs, Le Fantôme du vieux château (1816), Les Mystères de la tour Saint-Jean (1818), La Cloche du trépassé (1839). Deux titres se détachent : La Vampire, ou la vierge de Hongrie, dont le héros, vampire, est pour la première fois une femme (qu'il ne sait comment appeler !). Un critique du temps expliquait que « des scènes neuves, quelques situations fortement tracées, une physionomie moderne au milieu des superstitions des temps passés, impriment à ce roman un caractère particulier » (La Pandore, 1er décembre 1824). Et en 1838 paraît Souvenirs d’un fantôme, chroniques d’un cimetière. Ce recueil de contes, contrairement au gothique traditionnel, ne finit pas en explications rationnelles. C’est un ensemble de récits horrifiques, sans justifications cartésiennes. Ce n’est pas un hasard si ces deux livres viennent d’être réédités après 180 années d’oubli. Comme l’analyse encore Richard Switzer, Lamothe-Langon a opéré de « fréquentes incursions dans des champs nouveaux où il joua le rôle d’un précurseur ».

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.