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Les coulisses de la construction de la salle Labrouste sous le Second Empire

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15 septembre 2017

Dimanche prochain, le Comité d’histoire de la BnF vous invite à venir découvrir les coulisses de la construction de la salle Labrouste, sous le Second Empire, à travers une sélection de documents manuscrits issus des archives administratives de la Bibliothèque.

Alexandre Desgoffe, Esquisse de paysage ; projet pour une des lucarnes de la salle Labrouste, huile sur papier marouflé sur toile ; 65 x 100 cm. Collection BnF, département des Estampes et photographie, RESERVE B-28 (2)-FT 6.

Si la visite de la salle de lecture, construite par Henri Labrouste en 1868, sera bien sûr un élément incontournable du parcours du visiteur sur le site Richelieu, dimanche prochain, une vitrine particulière installée dans une pièce située à droite du salon d’honneur pourrait également attirer son attention.

En parallèle de la découverte des magnifiques coupoles de verre et des belles cariatides de la salle de lecture, une sélection de documents manuscrits proposera en effet au visiteur une immersion dans les coulisses de la réalisation de ce chef d’œuvre architectural.

Revenons, dans un premier temps, sur le contexte ayant entraîné la décision de construire ce nouvel espace, et rappelons, pour cela, quelques éléments de l’histoire de l’institution.

La Bibliothèque Nationale, considérablement désorganisée depuis la Révolution française, et l’afflux de documents provenant de la confiscation des biens d’ecclésiastiques et d’émigrés, peine tout au long de la première moitié du XIXe siècle à se remettre de cet événement et à en assimiler l’héritage. La vétusté des bâtiments et la désorganisation de l’établissement font même l’objet de chansons ou de poèmes, comme celui que composent les bibliothécaires Pillon et Demanne en 1848, intitulé Plaintes de la Bibliothèque nationale au peuple français et à ses représentants, qui donne la parole à la Bibliothèque :

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Il faut attendre le Second Empire, régime centralisé, désireux d’imposer sa légitimité en Europe – dans un contexte marqué par une émulation culturelle entre États, par le biais des expositions universelles notamment – pour voir les choses changer. Napoléon III souhaite faire de la Bibliothèque Impériale la vitrine culturelle de son régime et rivaliser avec l’Angleterre, dont la salle de lecture construite au British Museum fait figure de modèle bibliothéconomique.

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Vue de La nouvelle salle de lecture du British Museum
in Illustrated London News, 9 mai 1857, p.430. Collection BnF, département Littérature et art. Z-1480

Soucieux de la question des bâtiments, l'empereur nomme nomme dès 1854, Henri Labrouste, qui vient de terminer avec succès les travaux de la Bibliothèque Sainte Geneviève, architecte en charge de la rénovation et de la reconstruction de la Bibliothèque impériale.

Pour mieux connaître l’œuvre accomplie par Labrouste au cours de cette période, nous renvoyons le lecteur au corpus thématique numérisé dans Gallica : Le Quadrilatère Richelieu de 1854 à 1875 et à la Rencontre Gallica sur la Salle Labrouste.

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Henri Labrouste, gravure de Dien d'après Ingres, 1852 in Catalogue de l'exposition Labrouste : architecte de la Bibliothèque nationale de 1854 à 1875, Bibliothèque nationale, 10 mars-11 avril 1953. Collections BnF, département Recherche bibliographique, 2012-353036.

Sitôt en fonctions, Labrouste fait la connaissance de Jules-Antoine Taschereau, alors administrateur-général adjoint de la Bibliothèque, connu pour son tempérament difficile.

Entré à la Bibliothèque en 1852, spécialement chargé des travaux du catalogue, Taschereau se distingue de ses prédécesseurs, souvent membres de l’Institut ou professeurs au Collège de France, par son parcours atypique. Ancien éditeur critique des œuvres de Corneille, Molière ou Tallemant des Réaux, il s’est surtout fait connaître de ses contemporains en tant que journaliste en publiant une très polémique Revue rétrospective – d’abord de 1833 à 1838, puis en 1848 – qui le fit s’opposer à Emile de Girardin. Député d’Indre-et-Loire sous la Seconde République, c’est à son ralliement précoce au Second Empire qu’il doit sa nomination à la Bibliothèque. Toute sa vie Taschereau demeurera un fidèle soutien de Napoléon III.

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Jules-Antoine Taschereau, rédacteur de la revue Rétrosopective dans l'exercice de ses fonctions (Les représentants représentés, N° 7), 1848. Collection BnF, département Estampes et photographie, Fonds Delteil, 1805 N-2 (TASCHEREAU, JULES-ANTOINE)

Labrouste et Taschereau ne s’entendent guère et l’administrateur-général adjoint ne laisse jamais passer une occasion de souligner « l’incompétence » de l’architecte, allant jusqu’à suggérer qu’il « ne prenne pas plus de responsabilités qu’il n’en est capable ». Une lettre du 10 janvier 1855, exposée dans la vitrine, relative à des travaux ayant endommagé la Galerie Mazarine, au premier étage de la Bibliothèque, en témoigne.

Labrouste est notamment chargé de construire une nouvelle salle de lecture au département des Imprimés et puisque le British Museum de Londres fait figure de modèle, le gouvernement impérial, en la personne du ministre d’État, décide de l’y envoyer en mission. L’architecte part en octobre 1857 pour la capitale anglaise, avec dans ses bagages, au milieu des indicateurs de chemins de fer et des adresses d’hôtels, une lettre de recommandation de Prosper Mérimée. C’est la deuxième pièce exposée dans notre vitrine.

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Marcellin Desboutin. Prosper Mérimée, de l'Académie française, estampe, 1878. Collection BnF, département Estampes et photographie, FOL-EF-415 (I, 2).

Prosper Mérimée, écrivain, inspecteur des Monuments historiques, sénateur, passe alors, en raison de son amitié avec le directeur du British Museum, Antonio Panizzi (1797-1879), et de sa bonne connaissance de l’Angleterre, pour le savant français le plus au fait des transformations opérées dans l’institution londonienne.

Mérimée a notamment publié un article sur le sujet, paru au Moniteur universel, le 26 août 1857. Sa lettre de recommandation est adressée au savant William Whewell (1794-1866), professeur au Trinity College de Cambridge, ce qui tend à prouver que Labrouste envisageait de poursuivre sa découverte de l’architecture anglaise au-delà de Londres et du British Museum.

Mérimée dirige l’année suivante, de janvier à mars 1858, une Commission chargée de proposer une réorganisation complète, intérieure et extérieure, de la Bibliothèque impériale. Son Rapport inspire en partie le décret impérial du 14 juillet 1858 qui confirme à leurs places les deux grandes figures de la Bibliothèque : Jules-Antoine Taschereau, administrateur-général directeur et Henri Labrouste, architecte.

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Alfred Franklin, La Bibliothèque impériale, son organisation, son catalogue, Paris, A. Aubry, 1861. Collection BnF, département Littérature et art, Q-7483.

Le décret prévoit aussi la création de deux salles de lecture au département des Imprimés : l’une « ouverte à tout venant », même le dimanche – dans un contexte d’important essor des bibliothèques populaires – l’autre « réservée aux travailleurs [c’est-à-dire aux chercheurs] dûment autorisés ». C’est à cette première salle « publique », ouverte à tous, que fait référence le troisième document exposé qui mentionne les frais qu’entraînera, pour l’exercice budgétaire de 1867, la création d’une entrée autonome rue Colbert, permettant d’accéder à cette salle (qui ouvre en 1868).

En revanche, c’est à la deuxième salle, la plus célèbre, celle où s’expriment tout le talent et l’inventivité de Labrouste que font référence les autres documents exposés.

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Salle de travail du département des Imprimés construite par Henri Labrouste, 1869,
Collection BnF, département Estampes et Photographie. VA-237 (4)-FOL.

Consulté sur les personnages illustres dignes d’orner le pourtour de la salle de lecture, le conservateur du département des Médailles, Anatole Chabouillet, rédige une liste de noms, en indiquant dans le coin inférieur gauche : « s’il y a trop de saints, on peut les remplacer par Mabillon, Montfaucon, Du Cange »...

Labrouste, quant à lui, au moment où s’annonce le quasi-achèvement de la salle, en 1867, note dans un document très complet tous les points, même de détails, à vérifier : lieu et place des encriers, des sabliers - destinés à faire sécher l’encre - patins des fauteuils, tuyaux acoustiques… Il note consciencieusement au crayon « adopté », « commandé », « fait » etc.

Il songe déjà à la suite des travaux et à la partie des bâtiments encore à rénover ou reconstruire. Il se trouve cependant ralenti dans son programme par… un arbre - situé probablement dans la cour d'honneur de la Bibliothèque impériale, rue de Richelieu - sur lequel il enquête pour obtenir l’autorisation de le déplacer. C’est l’objet de la note présentée à l’extrémité droite de notre vitrine.

Juste au-dessus est exposé un registre tout à fait exceptionnel. Acquis cette année par la BnF en vente publique, il a été organisé par un collectionneur, sans doute employé de la Bibliothèque, qui a conservé et collé les bulletins de demande de la salle de lecture des Imprimés, quelques années avant l’œuvre de Labrouste et jusqu’à la toute fin du XIXe siècle.

À côté de noms de savants et de littérateurs aujourd’hui tombés dans l’oubli, on note quelques personnalités plus connues comme le philosophe Victor Cousin (1792-1867) ou l’écrivain Charles Monselet (1825-1888). Auteur d’instantanés littéraires, de nouvelles, de poèmes, de romans d’amour ou policiers, Monselet est également un journaliste gastronomique, surnommé « le roi des gastronomes » par ses contemporains. Il dirigea le journal Le Gourmet et l’Almanach des gourmands, publications toutes deux numérisées dans Gallica.

 

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