Chateaubriand et la presse : pour un journalisme politique libre
François-René de Chateaubriand a écrit dans les journaux, et il y a fait publier une partie de ses œuvres. Mais il ne s’agit pas à ses yeux d’un aspect honteux ou purement artistique de son écriture. Toute sa vie ou presque il écrit dans le journal, il va même en gérer et posséder un. Il utilise beaucoup la presse comme un véritable outil politique, et en défend ardemment la liberté.
On voit dans cette image humoristique M. de Chateaubriand représenté comme un moine prêchant et vendant son journal, Le Conservateur. Il déclare à ses auditeurs, parmi lesquels les autres journaux royalistes de l’époque : « le nombre, les talens, l'esprit sont pour nous, avec cela on est bien fort ». Car, si Chateaubriand a commencé proche du régime bonapartiste, il s’en éloigne vite pour rester ensuite, envers et contre tout, fidèle aux Bourbons.
Un coup d’éclat pour commencer la politique
Dans le Mercure de France, dont nous avons parlé comme d’un journal plutôt littéraire dans le billet précédent, la prise de distance avec le régime se traduit par des critiques de moins en moins voilées. La séparation est consommée suite à une comparaison fameuse de l’Empereur avec le tyran Néron. Cet article de 1807 restera dans les annales. Il marque la fin du journal, réuni à son vieil ennemi La Décade… et également une coupure définitive avec le pouvoir pour Chateaubriand, qui ira voyager en Orient, et sera désormais un partisan inamovible de la monarchie légitime.
Lorsque dans le silence de l’abjection, l’on n’entend plus retentir que la chaîne de l’esclave et de la voix du délateur, lorsque tout tremble devant le tyran, et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît chargé de la vengeance des peuples. C’est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l’Empire ; il croît inconnu auprès des cendres de Germanicus, et déjà l’intègre Providence a livré à un enfant obscur la gloire du maître du monde (4 juillet 1807, Mercure de France, « Voyage pittoresque de M. de Laborde »)
Les grandes heures de la Restauration
Sa participation la plus prolifique à la presse se fait pendant la Restauration. Dès le retour de Louis XVIII au pouvoir, Chateaubriand se déclare son défenseur en publiant la brochure De Buonaparte et des Bourbons qui est abondamment reprise dans les journaux. Il dirige l’éphémère Moniteur de Gand, journal officiel du gouvernement en exil pendant les Cent-Jours. Enfin, nommé à la Chambre des Pairs, il devient un ardent défenseur du système constitutionnel qui organise le nouveau régime, la Charte. De façon surprenante pour nous aujourd’hui, cela le pousse très vite à l’opposition…
Manuscrit autographe des Mémoires de ma vie
Très vite, en effet, se dessine dans cette monarchie constitutionnelle fragile un système de partis qui oppose les ultras (dont il fait partie) aux libéraux ; mais qui oppose également l’un comme l’autre à un parti « ministériel » dont Chateaubriand n’a de cesse de remettre en doute l’épaisseur idéologique… peut-on être encore ministériel si l’on n’est plus ministre ? Qu’est-ce qu’un parti qui ne se définit que comme étant au pouvoir ?
Lorsque sa distance vis-à-vis du gouvernement – mais pas du Roi, une distinction qu’il n’a de cesse de réitérer – devient claire, il crée chez l’éditeur Le Normand un journal, Le Conservateur, dont l’objectif est de promouvoir les idées des légitimistes. C’est là un pas dans l’histoire du rôle de la presse périodique en politique. Il met en pratique l’idée qu’une opinion politique, dans une monarchie constitutionnelle, c’est-à-dire dans un monde où une partie de la population vote, n’a pas d’existence si elle n’est pas publiée.
Première page du Conservateur
On trouve à l’époque des journaux dits « ministériels » à la botte du pouvoir, tels que L’Étoile qu’il surnomme le « journal ministériel du soir », et des journaux libéraux « Indépendants » comme la Minerve française ou Le Constitutionnel. Le Conservateur est créé pour s’opposer à leur influence, et il entraîne derrière lui la création du Drapeau blanc et la montée d’autres journaux légitimistes d’opposition. Il inspire d’ailleurs la création d’un Conservateur littéraire tenu par les frères Hugo, alors royalistes, et disparaît en 1820 lorsqu’une loi répressive sur la presse rend impossible aux yeux de Chateaubriand de continuer ce journal.
Mais la fin du Conservateur ne signifie pas la fin de son engagement politique. Défenseur notamment de la liberté de la presse, il prend part aux débats politiques, et continue à publier dans les journaux, dont le Journal des débats – auquel il participait déjà –, des articles de fond hors des sessions parlementaires : le reste du temps, ce sont ses discours à la Chambre des Pairs qui y sont publiés et, souvent, commentés. Il est d’ailleurs ministre pendant un temps, lorsque les ultras arrivent au pouvoir : il apparaît alors aussi dans la partie officielle des journaux, bulletin des informations que souhaite publier le gouvernement.
La fin du journalisme politique avec la monarchie de Juillet ?
En juillet 1830, il refuse de reconnaître le gouvernement orléaniste : Louis-Philippe n’est pas légitime à ses yeux. Cette Révolution trouve pourtant ses racines dans le refus d’une loi répressive sur les périodiques… Chateaubriand y sera d’ailleurs porté en triomphe comme le défenseur de la liberté de la presse. Il va donc démissionner de la Chambre Haute, et ne plus écrire dans les journaux que de façon épisodique, et plus pour de véritables articles de critique politique. À la marge, il va par exemple s’exprimer dans les journaux au sujet d’une affaire de cadeau à la Duchesse de Berry – représentante de la branche légitime des Bourbons : il s’agit d’une affaire de détail, où il cherche à montrer sa distance tout en réaffirmant son soutien à la monarchie légitime.
Lithographie de Nicolas-Henri-Jacob : la duchesse de Berry regardant ses enfants
Sa carrière de journaliste accompagne donc sa vie littéraire et politique. On y rencontre un homme légitimiste, mais dont l’aspiration profonde à la liberté de la presse fait montre d’une grande modernité. Le journal n’est pas pour lui un honteux passe-temps : nombre de ses articles sont repris dans les Œuvres complètes dont il entame la publication en 1826. Il aura été tour à tour homme politique et journaliste politique, ce qui nous montre la valeur qu’il donnait au journal, média capable d’atteindre voire d’influencer l’opinion.
Pour en savoir plus : "Chateaubriand et la presse : pour une littérature éphémère ?" paru le 10 décembre 2018.
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