Droit, culture, patrimoine : interview de la chercheuse Marie Cornu
Marie Cornu, juriste, directrice de recherche au CNRS et Gallicanaute, nous initie aux subtilités du droit de la culture et du patrimoine. Avis au lecteur pointilleux, la jurisprudence qui vous permettra de défendre votre propriété intellectuelle se trouve peut-être dans Gallica !
Bonjour Marie Cornu, pouvez-vous nous parler de votre activité professionnelle ?
Je suis directrice de recherches au CNRS à l’Institut des Sciences sociales du Politique et travaille notamment sur les relations entre le droit et le patrimoine, entre le droit et l’art. Je m’intéresse aux questions liées à la propriété culturelle et à la propriété intellectuelle, à leurs interactions, ce qui, plus généralement, me conduit à travailler sur la figure de la propriété.
Comment avez-vous découvert Gallica ?
Avant d’être à l’Institut des Sciences sociales du Politique, j’étais rattachée au Centre de coopération juridique internationale (CECOJI), qui est un des laboratoires pionniers dans la recherche sur l’informatique et le droit, environnement qui a évidemment contribué à appréhender les outils et ressources numériques.
Comment utilisez-vous Gallica dans le cadre de votre métier ?
Je l’utilise dans mes recherches individuelles et collectives. Pour plusieurs de nos projets, nous avons besoin d’exploiter des ressources qui ne sont pas disponibles sur les sources juridiques auxquelles nous avons habituellement accès dans nos institutions de recherche, en particulier les projets qui intègrent une dimension historique. Sur Gallica, nous avons découvert un certain nombre de documents invisibles dans nos bibliothèques physiques ou virtuelles, en particulier des thèses sur le droit et l’art, sur la propriété artistique ou encore des actes de congrès ou des documents issus de sociétés savantes. Tout cela enrichit très substantiellement nos recherches.
Avez-vous des projets en lien avec Gallica que vous souhaiteriez mettre en œuvre prochainement ?
A partir de notre programme de recherches autour de la mémoire des lois patrimoniales (Mémoloi), nous pourrions réfléchir à des coopérations, qui pourraient nous apporter beaucoup sur la collecte et le traitement de nos sources d’information. Par exemple, un travail autour des vocabulaires et des concepts en délimitant certains corpus dans Gallica, pourrait nous permettre, sur le mode de la recherche plein texte, d’approfondir des notions juridiques centrales dans nos matières (par exemple celles d’esthétique, de document rare et précieux, d’intérêt d’histoire ou d’art, de monument, de collection, de patrimoine, etc.), et ainsi de comprendre leur apparition, de tracer leur évolution au fil des différentes sources (jurisprudence, doctrine, littérature grise, etc.).
Marie Trape et Noé Wagener, à l'origine du blog du projet Mémoloi.
Quelle anecdote en lien avec un document découvert sur Gallica vous a marquée ?
L'affaire commune de Barran (CE 17 février 1932) reste un arrêt très intéressant. Il est connu particulièrement en raison des analyses qu'il a pu susciter (celles de René Capitant, grande figure du droit public français du XXe siècle. Pour un commentaire de cet arrêt et une revue des grands arrêts du Conseil d'Etat sur les monuments historiques, voir "Juger le patrimoine", exposition réalisée par Noé Wagener et Nicolas Thiébaut, Institut des Sciences sociales du Politique, Comité d'histoire du ministère de la culture, 2018).
En recherchant sur Gallica des éléments autour de cette affaire, j'ai eu connaissance d'une thèse soutenue par Maurice Guillouet à cette même époque à l'université de Rennes, en 1936, intitulée Du caractère juridique de l'occupation des édifices du culte depuis la loi de séparation, qui apporte un éclairage très utile. J'ai eu la surprise d'y trouver aussi une analyse d'une des premières affaires qui met au contact le droit moral de l'auteur à l'intégrité de son oeuvre et le droit de propriété. Il s'agissait de fresques réalisées dans la chapelle Saint-Dominique de Juvisy sur demande du desservant mais à l'insu du propriétaire, qui, alors, fait recouvrir ces fresques d'un badigeon. Le juge reconnait ici la primauté du droit de propriété, comprenant "comme un de ses attributs naturels, le droit de disposer de la chose et de la détruire" (cour d'appel Paris, 27 avril 1934). On ne peut lui imposer une création, serait-elle protégée par des droits moraux. Cette espèce est connue et citée dans tous les ouvrages de propriété littéraire et artistique, par exemple dans le traité d'Henri Desbois, mais elle l'est d'une façon succincte. Dans cette thèse contemporaine de l'affaire, elle est plus développée et surtout envisagée sous une perspective nouvelle, celle de la condition juridique des édifices cultuels et du conflit potentiel avec des activités civiles. Voilà une double découverte heureuse dans les ressources de Gallica.
Et le mot de la fin...
Poursuivez votre beau parcours en constante évolution ! De notre côté, nous serons heureux de pouvoir renforcer les liens avec Gallica.
Pour aller plus loin :
Vous aussi vous utilisez Gallica pour un projet qui vous tient à cœur et vous souhaiteriez en parler sur le blog Gallica ? N’hésitez pas à nous contacter à gallica@bnf.fr en mentionnant "Billet Gallicanautes" dans l’objet de votre message.
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