Quelques tristement célèbres cyclones des Antilles françaises
Si l’ouragan Irma, qui vient de dévaster la partie nord de l’arc antillais et la côte ouest de la Floride, est bien sans précédent depuis l’enregistrement des données cycloniques, les Antilles connaissent depuis plusieurs siècles et avec régularité de tels événements destructeurs. Le blog vous propose aujourd'hui de vous plonger dans l'histoire de ces catastrophes naturelles, grâce aux fonds numérisés sur Gallica de Manioc, la bibliothèque numérique Caraïbes, Amazonie, Plateau des Guyanes.
Les Indiens autochtones nommaient Hu-Ra-Kan, en hommage à leur divinité du vent, ces violentes manifestations naturelles. Il semblerait qu’ils aient été en mesure de les pronostiquer sur la base de l’observation de leur environnement, mais leur savoir exclusivement oral, source de mépris et d’incompréhension pour les colons, ne s’est pas transmis aux nouveaux arrivants qui essuyèrent de plein fouet plusieurs ouragans majeurs.
Les ouragans, dit le Révérend Père Du Tertre, sont de très horribles et de très violentes tempêtes qu’on pourrait nommer de vraies images de l’incendie final et de la destruction générale du monde. On voit pour l’ordinaire, la mer devenir tout à coup calme et unie comme une glace, sans faire paraître le moindre petit soulèvement de ses ondes sur sa surface ; puis, tout incontinent, l’air s’obscurcit, se remplit de nuages épais et s’entreprend de toutes parts ; après quoi, il s’enflamme et s’entr’ouvre de tous côtés par d’effroyables éclairs qui durent assez longtemps ; il se fait ensuite de si étranges coups de tonnerre qu’il semble que le ciel tombe par pièces et que le monde veuille prendre fin. La terre tremble en plusieurs endroits et le vent souffle avec tant d’impétuosité que ce qu’il y a de plus dangereux, est qu’en 24 heures et quelque fois en moins de temps, il fait tout le tour du compas […]. En un mot c’est une chose si triste et si déplorable que si ce désordre arrivait souvent, je ne sais qui aurait le cœur et courage d’aller aux Indes […].
De mémoire d’hommes, l’ouragan d’octobre 1780 frappa les contemporains par son intensité jusqu’alors jamais égalé. S’abattant le 10 du mois sur la Barbade et Sainte-Lucie, il touche la Martinique le lendemain. Le rapport du gouverneur d’alors mentionne "un des raz de marée des plus furieux [qui] mit le comble au malheur que l’on éprouvait. Il détruisit dans un instant plus de 150 maisons au bord dont 30 à 40 nouvellement bâties". Saint-Pierre est durement touché, son récent fort inutilisable, les plantations détruites ou sévèrement endommagées, la récolte à suivre est estimée perdue d’un tiers au minimum.
Ouragan aux Antilles, 1780, J.M. Moreau le Jeune, N. de Launey.
Le 18 août 1891, un ouragan très concentré passe sur la Martinique en épargnant toutes les îles voisines. Mais les effets restent effroyables. Déjà, dix jours après le passage de l’ouragan, des dépêches insistent sur les ravages et la nécessité de faire parvenir aide et secours : "Opinion générale si métropole ne vient pas secours périrons de famine. Martinique perdue si ne reçoit pas prompts secours. Toutes communications téléphoniques interrompues dans l’intérieur de l’île […]. Envoyez le plus de vivres possibles en farine, morue, légumes secs, pommes de terre, viandes salées. Délégués 500,000 francs pour le moment. Nombre de morts, trois cent soixant-dix-huit" (Dépêches du Gouverneur, datées des 25 et 27 août 1891).
En Guadeloupe, les épisodes cycloniques de 1642 et d’août 1666 ont laissé de fortes impressions sur les chroniqueurs d’alors, au premier rang desquels Jean-Baptiste Du Tertre. Les descriptions font toujours et encore cas de mer démontée, d’orages violents accompagnés de pluies torrentielles, de vents déchaînés, le tout occasionnant des dégâts majeurs aux conséquences durables : "On ne sçauroit dire combien on souffrit dans Saint Christophe [actuelle Saint Kitts] ; & dans la Guadeloupe le reste de l’année, faute de vivres ; personne ne fut exempt de ce malheur commun ; les plus accomodez se virent réduits à la condition des plus misérables, jusques à l’arrivée des Vaisseaux : où on couroit plutôt pour acheter du biscuit & des viandes, que pour avoir d’autres marchandises". L’ouragan de 1928, très bien documenté, retrace avec précision les séquelles mais également les transformations radicales que son passage implique pour l’archipel :
Au cours du XXe siècle, avec la généralisation des relevés météorologiques, puis l’arrivée des modèles informatiques, les ouragans sont davantage étudiés et documentés mais leurs effets restent toujours destructeurs. Dans les Antilles françaises, les seuls noms de Lenny (Martinique, 1979), Hugo (Guadeloupe, 1989) ou Luis (Saint-Martin et Saint-Barthélémy, 1995) suffisent pour évoquer les derniers grands ouragans aux conséquences désastreuses pour la vie des hommes et l’économie de ces îles.
Pour aller plus loin :
sur Manioc.org :
Martinique. Le bourg de Sainte-Marie après un cyclone.
Saint-Pierre. Rade après un cyclone.
Cyclone du 12 septembre 1928. Livre d'or de la reconnaissance guadéloupéenne, Ministère des Colonies, Basse-Terre, Imprimerie officielle.
Et en vidéo :
Eclats de temps : anthologie des événements climatiques extrêmes de la Guadeloupe.
Predictive models, climatic fluctuations, and settlement systems in Pre-Columbian archeology.
sur Gallica :
R. P. Jean Baptiste Du Tertre, Histoire générale des Antilles habitées par les François, tome 1, 1667-1671
R. P. Jean-Baptiste Du Tertre, Histoire générale des isles de S. Christophe, de la Guadeloupe, de la Martinique et autres dans l'Amérique. Où l'on verra l'establissement des colonies françoises…, 1654.
Les dépêches et rapport du Gouverneur sont extraits de :
Pascal Saffache, Les Cyclones en Martinique : quatre siècles cataclysmiques. Eléments pour une prise de conscience de la vulnérabilité de l'île de la Martinique, Ibis Rouge, Presses universitaires créoles/GEREC-F, 2002
Pascal Saffache, Les Cyclones en Guadeloupe : quatre siècles cataclysmiques. Eléments pour une prise de conscience de la vulnérabilité de l'île de l'archipel guadeloupéen, Ibis Rouge, Presses universitaires créoles/GEREC-F, 2003
Xavier Hug,
Bibliothèque numérique Manioc,
Service commun de la documentation de l’Université des Antilles
Commentaires
Premières mentions de l'ouragan
Un siècle avant le révérend père Du Tertre, Bruneau de Rivedoux décrit le phénomène.
Voir sur Gallica ( http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8707170g/f57.image ) et sur Diacritiques ( https://diacritiques.blogspot.fr/2017/09/ouragan.html )
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