Le Tour de France de Gallica, étape 19 : Embrun
Si lors du Tour de France 1937, les cyclistes passèrent par Embrun concourant vaillamment entre Grenoble et Briançon, ce 21 juillet 2017, ils s’élancent aujourd’hui depuis Embrun mettant à l’honneur cette ville dans les contreforts des Alpes.
Tour de France 1937, 8e étape Grenoble-Briançon le 08 juillet. Avant Embrun
Mais remontons un peu dans l’histoire de la ville d’Embrun… au XVIIIe siècle, et plus particulièrement en 1727. Dans l'ancien Dauphiné, Embrun couvre jusqu'à la Révolution un archevêché dont le périmètre comprend les Hautes-Alpes et une bonne partie des Alpes du Sud. À cette date s’y déroule le Concile dit d’Embrun qui a fait quelque peu parler de lui. De nombreux textes relatent l’événement et les débats théologiques et politiques font rage à cette époque. La scène est immortalisée par une estampe partisane et satyrique qu’il convient ici de déchiffrer.
Fruit de la doctrine augustinienne, mais aussi mouvement religieux, politique et philosophique né en réaction à certaines évolutions de l'Église et du pouvoir royal, la controverse janséniste plante le décor de cet épisode qui secoue le royaume de France. La querelle tourne ici autour de la bulle pontificale Unigenitus fulminée en 1713 qui dénonce ardemment le jansénisme. À l’image, la Constitution (C. Unigenitus) trône au milieu de l'assemblée, en lieu et place traditionnellement du livre des Évangiles, sur une crédence soutenue d'un côté par un singe et de l'autre par un Pantalone, donnant à l’instant un faux air de mascarade et de justice douteuse.
Au premier plan sur l’estampe se tient le principal protagoniste, Jean Soanen (1647–1740). Prédicateur oratorien, nommé en 1695 évêque de Senez et sympathisant janséniste, il publie en 1727 son Instruction pastorale de l'évêque de Senez, qui lui vaut directement une lettre de cachet. A genoux en habits pontificaux, il fait face à un large prie-Dieu où sont posées devant lui les Évangiles, la mitre du prélat au côté gauche, le bâton pastoral au côté droit. Saint Pierre figuré avec ses clefs pose sa main sur le prélat ; du côté gauche, Saint Paul, le glaive en main, le protège. Le Saint-Esprit forme une colombe auréolée au-dessus de sa tête. Tous ces symboles placent Soanen en victime de l’injustice de ses persécuteurs, les autres prélats de l’assistance.
Ces ennemis du jansénisme apparaissent caricaturés sur la gravure, représentés comme à la botte des jésuites. Ainsi, l'archevêque d’Embrun Pierre Guérin de Tencin préside l’assemblée sous un dais dont les quatre aigrettes figurent quatre bustes de jésuites avec leur bonnet à trois cornes. Il est assis en équilibre instable sur les genoux d’un grand jésuite et tend la main vers un énième jésuite lévitant tel un diable avec des ailes de chauve-souris. Les évêques sont également de part et d’autre alignés en rangée, chacun d’eux assis sur un jésuite qui tout à la fois lui souffle à l'oreille la sentence à adopter et de sa main le « mène par le bout du nez ». Au premier plan, le promoteur du concile l’abbé d’Hugues menace l’évêque de Senez et prononce ses réquisitions impitoyables. La mise en scène symbolique de ces accusations tend à conclure à une manigance des jésuites.
Le 21 septembre 1727, l’acte final du « brigandage d’Embrun » suspend Soanen de tout pouvoir et juridiction épiscopale. Le prélat quitte Embrun sur ordres de la cour, pour être ensuite emprisonné à la Chaise-Dieu. Il y entame alors une abondante correspondance et y finit ses jours en 1740. La fin de l’« Embrunade » ramène la ville d’Embrun à sa charmante quiétude alpine.
Touring-Club de France. La France en images : 2e série (1922)
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