La loi Duruy (1867), une loi pionnière pour l'Enseignement primaire
Précurseuse des célèbres lois Ferry de 1881 et 1882, la loi Duruy est peu connue. L'anniversaire de sa promulgation est l'occasion de découvrir ou redécouvrir Victor Duruy et ses actions en faveur de l'éducation de tous les enfants, garçons comme filles.
Réforme importante de l'enseignement sous le Second Empire, cette loi va être portée et défendue par un ministre d'exception, Victor Duruy (1811-1894). Issu d'une famille d'artisans, il s'est élevé dans l'échelle sociale grâce aux études. Major de sa promotion à l'Ecole normale, agrégé, il débute une brillante carrière de professeur et d'historien. Politiquement, il se range du côté des Bourbons, jugeant Michelet son confrère, trop "républicain". Cependant partisan "d'un juste milieu", il condamne le coup d'Etat du 2 décembre 1851 qui instaure le Second Empire. Parce qu'il est anticlérical, sa carrière est bloquée durant la première époque de ce régime et ne semble pas devoir évoluer. Mais en 1861, Napoléon III qui se passionne pour Jules César, dont il écrit une vie, souhaite rencontrer le brillant auteur d'une Histoire des Romains. Au-delà de leurs divergences, les deux hommes s'apprécient immédiatement, à tel point que l'empereur engage Victor Duruy en tant que secrétaire personnel (et relecteur de sa Vie de César).
L'avancée républicaine aux élections de 1863 fait entrer l'Empire dans sa seconde phase dite libérale. Il faut des hommes neufs aux postes de commande, et Napoléon III choisit Duruy pour le ministère de l'Instruction publique. Un emploi où l'enfant de milieu modeste parvenu aux arcanes du pouvoir donnera toute sa mesure. Ministre résolu, il travaille sur de vastes et profondes réformes de l'enseignement primaire au supérieur. Son activité, prolifique, marquera durablement le système éducatif français. Mais son nom reste attaché à la loi du 10 avril 1867 sur l'Enseignement primaire. Le constat est alarmant. A cette époque un enfant sur cinq ne fréquente pas l'école et plus de huit cents communes sont dépourvues d'école primaire. Précurseur de Jules Ferry, Duruy souhaite la gratuité et l'obligation de l'instruction entre 7 et 13 ans, filles et garçons.
La bataille parlementaire est rude, l'opinion publique est partagée. Car le projet est attaqué tant par les républicains qui le trouvent trop modéré que par les cléricaux qui combattent toute perte d'influence de l'Eglise. Monseigneur Dupanloup, évêque d'Orléans, fer de lance du courant conservateur, s'indigne que l'éducation des filles, de la femme chrétienne et française ne soit plus assurée au sein des congrégations féminines, mais par des hommes. Le combat se poursuivra au-delà du Second Empire. Le coût d'une telle réforme (gratuité partielle ou totale, embauche de personnel enseignant, entretien des écoles) inquiète également le reste du gouvernement, à quoi Duruy répond : « La France dépense vingt-cinq millions pour une préfecture, cinquante ou soixante pour un Opéra et elle ne peut en dépenser sept ou huit pour l'instruction du peuple ! ».
L'instruction primaire en France. Carte comparative des départements classés au point de vue de la diffusion de l'instruction primaire
d'après la statistique officielle dressée par Paul Malras, pour Son Excellente M. Duruy, Avril 1865
La loi, amendée, est adoptée le 11 mars, promulguée le 10 avril. Toute commune de plus de cinq cents habitants (et non plus de huit cents habitants comme c'était le cas auparavant) doit se doter d'une école publique pour les filles, qui peut être une section au sein de l'école communale. Si l'école est mixte – c'est souvent le cas dans les petites communes –, une femme est nommée par le Préfet pour les travaux d'aiguilles pour les filles. Le financement est assuré non par l'Etat mais par les Communes. Les Caisses des Ecoles sont instituées ; ce sont des cagnottes, composées de cotisations volontaires et de subventions de la commune, destinées à encourager la fréquentation des élèves par des récompenses et à aider les familles les plus pauvres lorsque la commune ne prend pas entièrement à sa charge les frais de l'école.
Autre versant de la loi, le salaire des instituteurs et des institutrices est revalorisé. En ce qui concerne les programmes, l'histoire et la géographie deviennent des matières obligatoires. Et enfin, le contrôle de l'Etat est renforcé sur les écoles "libres" (privées). Bien qu'en deçà des souhaits de Duruy qui souhaitait établir une école primaire gratuite et obligatoire pour tous les enfants, la loi de 1867 marque un tournant décisif pour un enseignement ouvert à toute la jeunesse sous les auspices de l'Etat, incitant à la gratuité et à l'enseignement féminin.
Précurseuse des grandes lois Ferry de 1881 et 1882 sous la Troisième République, la loi Duruy demeure relativement méconnue et sous-estimée, même si l'homme a suscité de nombreux hommages dès la fin du XIXe siècle, par exemple de la part d'Ernest Lavisse. Comblé d'honneur, membre de l'Académie française, il laisse deux tomes de mémoire. Il s'éteint en 1894, sans avoir renié son attachement à Napoléon III.
Retrouvez ici toutes les bibliographies thématiques réalisées par la Fondation Napoléon à partir du fonds Gallica, en particulier la bibliographie consacrée à la loi Duruy.
Chantal Prévot, Fondation Napoléon
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