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Un cheval à bascule sous le sapin en 1922

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À l’occasion de la numérisation des catalogues du Bon Marché, découvrez des objets emblématiques (et parfois inattendus) des étrennes d’antan ! Aujourd’hui, un classique : le cheval à bascule 

 
Affiche "Jouets et étrennes", Leonetto Cappiello, 1922

Jouet emblématique du monde de l’enfance, compagnon de cavalcades effrénées, de combats épiques, d’exploits chevaleresques, de chevauchées périlleuses le long de chemins semés d’embûches et de dangers, le cheval à bascule occupe une place de choix dans les catalogues d’étrennes tout au long du XIXe et du début du XXe siècle. 

Un « cheval balançoire» dans le catalogue d’étrennes du Bon Marché en 1923

Les affiches publicitaires, témoins de la popularité du cheval à bascule

La publicité joue un rôle essentiel dans l’expansion du grand magasin qui connaît un développement considérable sous le Second Empire. De véritables campagnes publicitaires annoncent les ventes spéciales comme les étrennes. Ces catalogues sont distribués à partir de fin novembre et sont édités à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. Les jouets y apparaissent vers 1875. Poupées de porcelaine, soldats de plomb, chevaux à bascule... ces articles sont alors rendus disponibles bien plus aisément. A l’époque, pédagogues et psychologues commencent également à s’intéresser au jouet, en écho à l’évolution du statut de l’enfant, de plus en plus perçu comme un individu avec ses spécificités. Dans cette mouvance, c’est à partir des années 1880-1885 que la fête de Noël s’impose comme la fête des enfants et, à cette occasion, des affiches sont réalisées par de grands illustrateurs comme Jules Chéret ou Georges Meunier. Sur ces affiches, le cheval (ou l’âne!), à roulettes ou à bascule, demeure un objet récurrent jusqu’au début du XXe siècle. Emblématique, ce jouet dispose de plusieurs atouts ludiques : il invite l'enfant à développer son imagination, se transformant au gré des envies en destrier courageux, en cheval sauvage ou en pur-sang de course par exemple.
 

Affiche du Tapis Rouge, Etrennes [...] choix immense [...], 1873
Le cheval à bascule est sur la gauche de l'affiche

  

Affiche Grands magasins du Printemps, Jules Chéret, 1884

Affiche Aux Buttes Chaumont. Jouets et objets pour étrennes, Jules Chéret, 1885
 

Affiche Etrennes, jouets, entrée libre, prix fixes, 1890

Affiche A la Place Clichy. Etrennes, Georges Meunier, 1897
 

Au XIXe siècle, le jouet n’est plus seulement un jeu... 

Le jouet devient un objet de collection avec l'émergence d'une littérature historique sur le sujet. Des "Dictionnaires de jeux" introduisent une dimension historique dans leurs notices dès le début de ce siècle. En 1807, Jean-Félicissime Adry (1749-1818), enseignant de la congrégation de l’Oratoire, rédige un Dictionnaire des jeux de l'enfance et de la jeunesse chez tous les peuples où se mêlent histoire et ethnologie. Des publications archéologiques et philologiques voient également le jour. Le premier ouvrage de synthèse sur l’Antiquité, Les jeux des anciens : leur description, leur origine, leurs rapports avec la religion, l'histoire et les moeurs, date de 1869. Il est écrit par Louis Becq de Fouquières, autodidacte et critique littéraire. Confrontant, réinterprétant et contextualisant sources et documents archéologiques, il pose les bases d’une histoire scientifique des jouets. Il initie également une réflexion sur les rapports entre le jeu et les différents aspects de la société. Quelques années plus tard, deux auteurs donnent à l’histoire du jouet ses lettres de noblesse, Léo Claretie et Henry-René D’Allemagne. Si ces deux intellectuels se passionnent pour le jouet, c’est que ce sont aussi des collectionneurs de jouets anciens. La réflexion sur le jeu perçu comme miroir de son temps est notamment développée par Léo Claretie dans Les jouets : histoire, fabrication… paru en 1883, et dont l’adresse « Au lecteur » commence ainsi :

Ce livre est une monographie du Jouet considéré à tous les points de vue, dans son histoire, dans sa fabrication, comme dans ses rapports avec la vie et avec les différentes manifestations de l'esprit individuel ou de l'âme sociale."

Cet ouvrage traite de toute l'histoire du jouet depuis l'Antiquité jusqu’à la fin du XIXe siècle, mais aborde la question de sa place dans la société, de son apport éducatif, et des affiches de magasins de jouets, de la publicité de l’époque.

 

L'origine du cheval à bascule : le cheval bâton ?

Si l'origine exacte du cheval à bascule n'est pas précisément connue, il résulte probablement d'une évolution progressive de jouets et d’objets plus anciens imitant la forme du cheval, comme les chevaux bâtons utilisés dès le Moyen Âge et que l’on voit sur cette enluminure :

Heures de la famille Ango. copié et peint vers l'année 1514

 

Louis Becq de Fouquières, Léo Claretie et Henry-René D’Allemagne reviennent sur ce jouet ancien dans leurs ouvrages respectifs. 
Dans son traité dédié aux jeux des anciens, au paragraphe VI du chapitre III consacré aux jeux d’imitation, Louis Becq de Fouquières décrit ce qu’il appelle le “jeu du cheval” : 

Un enfant aperçoit-il un long bâton, il l'enfourche, le fouette et part au galop, plus fier de sa monture que d'un coursier olympique."

Revenant sur l'origine du cheval bâton, ce même auteur reprend dans son ouvrage l’anecdote célèbre de Plutarque racontant comment Agésilas II, roi de Lacédémone (Sparte), mort en 361 av. J.-C. jouait avec ses enfants à cheval sur un bâton.

Agésilas, dit-il, aimait beaucoup ses petits enfants, et chez lui il prenait part à leurs jeux, enfourchant un roseau comme un cheval. "

Léo Claretie, dans Les jouets : histoire, fabrication… commente une illustration du XVIIIe siècle où l’on voit quelques douzaines de têtes de ces chevaux de bois émerger d'un tonneau placé à côté de la boutique d’un marchand.
   

Les jouets : histoire, fabrication..., Léo Claretie, 1893

Voici passer le marchand dans les Cris de Paris, de Lauron et Boitard (XVIIe siècle). [...] Les chevaux sont piqués au bout d'un bâton qu'il porte sur l'épaule. Ce sont des paquets ronds de carton-pâte, roulés au bout d'une canne, et terminés en tête de cheval [...]. Ces mêmes coursiers sont adossés en tas contre le mur dans la boutique de jouets des "Emblèmes" de Cats, mais ils ont en plus deux pattes de devant et un poitrail à peu près figuré." 

Jusqu’au XVIIIe siècle, on peut encore voir représenter le cheval bâton mais il peut alors côtoyer le cheval à bascule comme sur cette gravure extraite de Les jouets : histoire, fabrication… de Léo Claretie :

Les jouets : histoire, fabrication..., Léo Claretie, 1893

L'apparition du cheval à bascule

Ce jouet sous sa forme actuelle n’apparaît pas avant le début du XVIIsiècle. L'un des plus anciens encore existants au monde, réputé avoir appartenu au roi Charles Ier d’Angleterre, daterait de 1610. Il est actuellement conservé au Victoria and Albert Museum de Londres.
Enfant faible et maladif, souffrant probablement de rachitisme d’après la plupart des historiens, Charles Ier avait de grandes difficultés à marcher. Les registres domestiques mentionnent, pour son usage, la fabrication d'un type de fauteuil roulant. Il portait également des bottes orthopédiques en cuir et en laiton. Ces traitements correctifs auraient pu inclure un cheval à bascule pour lui fournir de l'exercice et renforcer ses jambes. Et pourtant si ce cheval lui avait appartenu, il daterait probablement plutôt de 1605-1608, et non de 1610, car il est extrêmement improbable qu'un garçon issu d'une famille aristocratique ou royale joue encore avec un cheval à bascule à l'âge de neuf ans. Compte tenu de la datation, nécessairement approximative, on peut émettre l’hypothèse que ce cheval aurait pu être destiné à un autre enfant royal. De plus, en 1610, Charles a fait de grands progrès dans sa mobilité et peut monter de vrais chevaux.
Sur cette gravure du XVIIIe siècle, réalisée d'après une peinture d’Anton van Dyck, Portrait de Charles 1er, roi d'Angleterre (1600-1649), à la chasse, on voit le roi tout juste descendu de cheval après une course à bride abattue.
 

 Charles Ier, roi d'Angleterre, accompagné du marquis de Hamilton et d'un page, gravé par Robert Strange, 1782

Évolution et popularisation du cheval à bascule

Au XVIIIe siècle, le cheval à bascule devient plus fréquent, notamment en Angleterre. En France, du XVIe au XVIIIe siècle, la fabrique des jouets se développe dans les villes. Beaucoup sont alors fabriqués en bois. Sous l’Ancien Régime, la production de jouets est répartie entre artisans, tourneurs sur bois, poupetiers, bimbelotiers, potiers, et diffusée par colportage ou sur les marchés. Objet neutre, sans implication contestataire pour le pouvoir du roi, le jouet animalier, n’a pas de mal à être propagé à grande échelle par une corporation des colporteurs par ailleurs surveillée. La suppression des corporations en 1791 par la loi Chapelier entraîne une forte augmentation du nombre de fabricants de jouets en France. C'est alors que certains secteurs commencent à se mécaniser. De nouveaux modèles, parfois luxueux, de chevaux à bascule, font leur apparition, qui peuvent être réalisés avec des matériaux précieux. 
C'est la diffusion d'une gravure qui va apporter une nouvelle popularité au cheval à bascule au début du XIXe siècle. Il s'agit de « La première course de l'Enfance », gravure de Louis Charles Ruotte d'après John Condé, représentant le roi de Rome monté sur un cheval à bascule nouveau modèle. Quelques années plus tard, sur cette image du Monde illustré de 1859 montrant la chambre d'enfant du fils de Napoléon III à Compiègne, on constate que le cheval à bascule figure toujours en bonne place parmi les jouets impériaux.


 Le Monde illustré, 26 novembre 1859

Apparus au début du XIXe siècle, à Paris, les « grands magasins de nouveautés », Au Pauvre DiableA la Ville de Paris ou Au Coin de Rue, sont les ancêtres du Bon Marché et de la Samaritaine. Quelques années plus tard, la Restauration et la monarchie de Juillet voient se développer le commerce de nouveautés qui vend beaucoup lors de la période de Noël. Dans le domaine du jouet, le cheval, à l’image de sa place dans la société, est alors l’un des principaux animaux représentés. D'autres modèles moins luxueux de cheval à bascule sont vendus et ce jouet trouve sa place dans de nouveaux foyers. Le cheval à bascule peut être fabriqué en bois, en carton moulé ou encore en tôle.
Léo Clareti explique
à la fin du XIXe siècle comment se façonne le cheval en carton moulé :


Les jouets : histoire, fabrication..., Léo Claretie, 1893

 

De l'utilité du cheval à bascule

Au moment du développement de la réflexion sur le jouet pédagogique, le cheval à bascule est mis en avant comme favorisant le développement moteur des jeunes enfants : en se balançant sur son dos, les enfants améliorent leur coordination et leur équilibre. Selon Léo Claretie, l'un des autres mérites de ce jouet est aussi d'"accoutumer l'enfance au mal de mer" (Les jouets : histoire, fabrication, 1893)...
Alors qu'aux XVIIe et XVIIIe siècles les chevaux à bascule se caractérisent par leur grande taille, difficile à atteindre pour des enfants en bas âge, on peut voir que les catalogues du Bon Marché proposent plusieurs tailles pour chaque modèle en vente afin que le cheval choisi soit adapté à la physionomie de l’enfant auquel on le destine :

 

Catalogue d'étrennes, Le Bon Marché, 1919

Catalogue d'étrennes, Le Bon Marché,1931

Vers la fin du XIXe siècle sont conçus de nouveaux modèles très perfectionnés : des chevaux à double système avec bascule et roulettes, pour galoper plus vite...mais toujours déclinés en plusieurs tailles :

Catalogue d'étrennes, Le Bon Marché, 1903


Catalogue d'étrennes, Le Bon Marché, 1919


Annuaire du commerce Didot-Bottin, 1926

Il existe aussi des modèles plus onéreux comme le « cheval mécanique », présent dans les catalogues des grands magasins dès le début du XXe siècle :

Catalogue d'étrennes, Le Bon Marché, 1912

Mais attention à ne pas galoper trop vite et trop fort...


Jumbo : hebdomadaire illustré pour enfants, 22 août 1936

Pour aller plus loin