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1937, création de "Marie-Claire"

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27 novembre 2024

La création de Marie-Claire en 1937 a eu une grande influence sur le développement de la presse féminine. Ses rubriques et leurs contenus ne sont pas si loin de ce que nous connaissons aujourd’hui.

« La vie en rose », Marie-Claire, 26 mars 1937, n°4

La parution du 1er numéro de Marie-Claire, le 3 mars 1937, a été préparée par une énorme campagne de communication. Des affiches dans les rues montrent un visage de femme associé à un simple prénom Marie-Claire, sans autre explication. Les autres titres de presse de Jean Prouvost (1885-1978) comme Paris-Soir annoncent, en couleur, « L’hebdomadaire de la femme tel qu’il n’a jamais été réalisé » :

Marie-Claire, 3 mars 1937, n°1 ; Publicité, Paris-Soir, 16 février 1937

Ce nouveau magazine prendra une place importante et unique dans le paysage de la presse féminine jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’engouement des lectrices fait même l’objet de brèves « publicitaires », probablement fausses, dans la presse du groupe :

Paris-Soir, 17 février 1937 ; L’Intransigeant, 18 mars 1937

Une idée de Marcelle Auclair

C’est la romancière et traductrice Marcelle Auclair (1899-1983) qui proposa à Jean Prouvost, puis à Gaston Gallimard ce nouveau magazine. Elle collaborait déjà aux rubriques mode et beauté de plusieurs journaux depuis le début des années trente (Adam, Rester jeune). Elle remplace Colette pour la rubrique « Beauté mon beau souci » de Marianne en décembre 1932, puis en janvier 1935 signe le jeudi la « Page de la femme » de Paris-Soir. C’est ainsi qu’elle comprit que la presse destinée aux femmes « était fort insuffisante. Sauf le Petit Écho de la mode et Le Pèlerin, qui avaient un caractère populaire, et un magazine snob, comme Vogue, il n’y avait que des journaux spécialisés : mode, ouvrages, décoration, couture, cuisine, enfants, et même chapeaux. Le tout assez mal fichu. » (Marcelle Auclair & Françoise Prévost, Mémoires à deux voix, Seuil, 1978).
Fin 1935, à l’occasion d’un reportage « Mode et beauté à New-York » sur les instituts de beauté pour Marianne, elle précise son projet en s’inspirant des magazines féminins américains.

Marie-Claire, 12 mars 1937, n°2

Ce nouveau magazine est un hebdomadaire d’une cinquantaine de pages, avec une couverture et certaines pages en couleur. La présentation est élégante, avec des recherches graphiques et typographiques. L’impression sur un papier bon marché permet d’atteindre un prix de vente accessible à toutes : 1 franc 50 (le luxueux Vogue coûtait 7 francs 50 et le populaire Midinette 85 centimes). Le coût est également réduit grâce aux publicités, en particulier celles de l’industrie du cosmétique, parfois personnalisées, et celles du groupe Prouvost-Béghin (notamment les multiples filiales de la Lainière de Roubaix).

Publicités, 9 avril 1937, 14 octobre 1938 et 3 février 1939

La publicité est présente dans les articles, parfois de manière insidieuse, en particulier dans la rubrique Tricot, avec la laine Pingouin. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le placement de produit.

Le prénom (Marie-Claire commence à être à la mode au début des années trente) et le ton de la conversation relèvent aussi de la technique commerciale de la personnalisation. Le texte d’intention (3 mars 1937) s’adresse directement aux lectrices à la deuxième personne du pluriel, et ce style nouveau sera une des spécificités du journal :

Marie-Claire, dans notre esprit, est le type de la jeune fille et de la femme française, à la fois simple et élégante, enthousiaste et mesurée, courageuse, obstinée sans orgueil à la tâche quotidienne, mais en même temps gaie, prenant sa part des joies comme des peines que la vie apporte. Vous êtes, toutes, un peu des Marie-Claire, ce journal a été conçu pour vous.

Ainsi le public visé est très large, il s’agit des jeunes filles et jeunes femmes entre 20 et 40 ans, et même au-delà et plus largement de la « femme française » !

« Exquise toute la vie », 2 avril 1937

Ce que Marie-Claire vous apporte

L’objectif est bien de regrouper toutes les préoccupations des femmes en une seule publication, à la fois luxueuse, pratique et pour toutes les bourses.

Marie-Claire, texte d’intention du n°1 et publicité

Les premiers mois, il y a quatre rubriques : « Beauté, Mode, Lecture, Intérieur », qui évoluent légèrement en fin d’année 1937 : « Beauté et Hygiène, Mode, Lecture, Famille et art de vivre, La maison ». Il y a des numéros thématiques selon les saisons : mariage, vacances, la rentrée, Noël ou spécial mode. En somme, c’est le magazine féminin tel que nous le connaissons.

L’identité de Marie-Claire se construit autour du parti pris de l’optimisme et de l’injonction au bonheur :

11 juin 1937 ; 15 octobre 1937

Ce mot d’ordre et le souhait de plaire à toutes masquent l’ambivalence du magazine qui n’a finalement pas de ligne éditoriale puisque deux courants cohabitent : la ligne traditionnelle (importance du sens du devoir, de la morale, de la famille, de la répartition des rôles entre les hommes et les femmes) et la ligne plus moderne (développement de la personnalité, encouragement à l’action, à la prise de décision).

L’équipe

L’ours, d’abord inexistant, ne contient ensuite que le nom du directeur de la publication Jean Prouvost et celui de l’imprimeur. Les collaborateurs n’y apparaissent pas, ni même le nom du rédacteur ou de la rédactrice en chef. On sait que Jean Prouvost, Pierre Lazareff et Hervé Mille pilotent le projet et que les collaborateurs sont, pour la plupart, des professionnels de la presse comme le directeur artistique, Hubert Giron, qui travaillait pour Le Jardin des modes.

23 juin 1939, 5 avril 1940, 8 novembre 1941

Marcelle Auclair rédige la rubrique Beauté, mais n’est pas directrice de la publication.

Article de Marcelle Auclair, 20 mai 1937

Les autres rédacteurs viennent, soit des autres titres du groupe Prouvost, soit de la constellation Gallimard. Les deux se mélangeant parfois. Paul Bringuier, par exemple, collaborateur régulier et parfois éditorialiste de Marie-Claire, est un spécialiste des bas-fonds et reporter pour L’Intransigeant, Paris-Soir et surtout Détective, hebdomadaire créé par Gallimard en 1928.

Un produit pour plaire aux femmes

Presse-Publicité, l’hebdomadaire technique de toute la presse nous renseigne sur le tirage et la progression de celui-ci :

Presse-Publicité, 12 septembre 1937, n°9

Ce numéro spécial sur la presse féminine s’interroge sur l’illustration « dessins ou photos ? », sur l’éventuelle concurrence des journaux quotidiens, et sur la publicité possible. Présentant la formule souple du Petit Écho de la mode, qui n’est pas sans rappeler la ligne de Marie-Claire, les publicistes réfléchissent à la façon d’annoncer dans la presse féminine en plein essor, en s’appuyant sur un panorama historique et thématique.

20 juillet 1942, 20 septembre 1943, 1er août 1944

Le succès prévu par les annonceurs se confirme et le titre prend une place primordiale parmi les titres de presse féminine. Marie-Claire s’interrompt le 14 juin 1940 (les collaborateurs de Jean Prouvost sont à Clermont-Ferrand, puis Bordeaux) pour reprendre en zone libre, à Lyon, le 16 novembre 1940, puis paraît 3 fois par mois en 1942, 2 fois par mois en 1944 et cesse avec le numéro du 1er août 1944.

De nouveaux magazines féminins sont créés après la Libération. Tout d’abord Marie-France (17 novembre 1944) et Votre amie (15 août 1945), le magazine de l'actualité féminine dirigé par Marcelle Auclair ; ces deux titres fusionneront en 1947 sous le titre Votre amie Marie-France. Elle (21 novembre 1945), dirigé par Hélène Gordon-Lazareff, ressemble beaucoup à Marie-Claire et absorbe Claudine (mai 1945). Enfin, en 1954 Marie-Claire reparait, tout d’abord sous le titre L’Album de Marie Claire, mensuel et sans Marcelle Auclair. Elle y fera son retour en février 1955 « Marcelle Auclair reprend le dialogue avec les lectrices de Marie-Claire ».

Pour aller plus loin :

Sur le groupe de Jean Prouvost et Paris-Soir : Christian Delporte, La chute des quotidiens, La fin de l’hégémonie d’un modèle (1930-1945), BnF Les Essentiels
Sur le paysage médiatique à la Libération : Patrick Eveno, L’apparition d’une crise structurelle (1945-1972), BnF Les Essentiels

En ce moment à la BnF :

« Marie-Claire », magazine de la femme moderne ? Présentation de documents en salle B.
Du 19 novembre 2024 au 5 janvier 2025, la salle de la Presse consacre une sélection de documents patrimoniaux au magazine Marie-Claire.

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