En garde ! Les duels dans Gallica
Le duel, « quel sujet est plus d’actualité que celui-ci ? », s’interroge le journaliste Lacarre, en 1904. « Il ne se passe guère de semaine qui n’ait son duel plus ou moins retentissant ; et les journaux débordent de procès-verbaux. » Ce constat sans appel permet de revenir sur l’évolution d’une pratique très ancienne, traversée par de nombreux soubresauts depuis l’époque féodale jusqu’au XXe siècle.
Duel entre Gottlieb et Kissling au sabre, Agence Meurisse, 1914
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Forme de combat disputé le plus souvent entre deux individus, le duel entend prouver par la victoire au combat la vérité d’une cause défendue. Déjà présent au haut Moyen-Age, et considéré comme une des formes de l’ordalie, le duel judiciaire doit être séparé du duel « d’honneur », plus fréquent à l’époque moderne, et mettant en avant le courage individuel et l’habileté dans le maniement des armes. L’exemple le plus fameux des duels de l’époque est le combat qui opposa Guy Chabot de Jarnac et François de La Châtaigneraye en 1547, au cours duquel le premier asséna à son adversaire un coup au jarret, jugé déloyal, et qui donna naissance à l’expression « coup de Jarnac ».
Le duel comme expression de passions violentes et individuelles est condamné tant par l’Eglise, depuis le concile de Latran de 1215 – les duellistes, du fait de leur sacrifice volontaire, se donnent au diable –, que par la monarchie, à mesure que progresse une logique absolutiste de contrôle du corps social. Le Parlement de Paris qualifie le duel de crime de lèse-majesté, en 1599, puis c’est Henri IV qui signa une série d’édits contre le duel au tournant du XVIIe siècle, sans réussir à réduire leur nombre. L’époque baroque, celle de la Fronde et des revendications nobiliaires, est même l’occasion d’une multiplication des duels d’honneur, se transformant fréquemment en batailles rangées dès lors que les duellistes se présentaient avec leurs témoins, qui n’hésitent pas à croiser le fer avec eux. Le pouvoir royal considère ces faits d’arme comme autant de provocations, et malgré de nombreux passe-droits et pardons, certains payèrent le prix fort pour leur indiscipline. Bannissements temporaires et exécutions devinrent plus fréquents sous le règne de Louis XIII, jusqu’à l’exemplaire décapitation du comte François de Montmorency-Bouteville, coupable de s’être livré à vingt-sept duels dans sa vie, ainsi que de son cousin, le comte Rosmadec des Chapelles, en place de grève, en 1627. En cette occasion, « l’amour que le Roi portoit à son Etat prévalut à la compassion de ces deux gentilshommes », comme l’explique Richelieu dans ses Mémoires.
Au XVIIIe siècle, le duel est considéré comme archaïque et contraire au processus de civilisation des mœurs produit par le système de Cour, mais il ne disparait pas pour autant, comme l’atteste un édit de 1723, se donnant pour but « d’abolir dans ce royaume le pernicieux usage des duels, également contraire aux lois de la religion et au bien de leur Etat ». La pratique persiste sous la Révolution, comme le montrent les exemples du duel entre les députés Barnave et Cazalès ou celui de Charles de Lameth et du marquis de Castries. Comme sous Louis XIII et Richelieu, le duel peut conduire à d’autres débordements, ainsi que le prouvent les événements qui suivent le duel mentionné entre Lameth et Castries : « Le peuple irrité de toutes les agressions faites aux seuls députés patriotes, s'est mis sur le champ en mouvement pour exercer sa juste vengeance sur le sieur Castries, il a couru en force à son hôtel et a tout brisé, tout cassé ; meubles, glaces, lits, argenterie, argent, billets, de caisses ; tout a été mis en pièces et jeté par les fenêtres. »
Dès lors, dans une France où la chute de la monarchie favorise l’explosion des débats publics ou des titres de journaux, le duel se situe davantage sur le terrain politique, et plus seulement sur celui de l’honneur. Le duel politique connait un « âge d’or » sous la Troisième République. De nombreux ouvrages sur la question sont d’ailleurs publiés, comme l’essai Physiologie du duel d’Alfred d’Alembert, qui commence par ces mots : « Les hommes civilisés se sont depuis longtemps accoutumés à vider leurs différents dans les fourrés du bois de Boulogne. » Mais c’est bien sur le terrain de l’affrontement politique que le duel s’intensifie sous la « République triomphante ». Même s’il est très différent des anciennes formes du duel, il répond également à une codification des pratiques assez précise. Quoiqu’officiellement interdit par la loi, le duel est de fait toléré et participe de la mise en scène de l’affrontement politique, en prolongeant la bataille d’idées sur un terrain plus intime, celui de l’honneur. C’est une pratique assez courante jusqu’à la Première Guerre mondiale. N’était-ce d’ailleurs pas l’époque où l’on en venait fréquemment aux mains en pleine Chambre des députés ? Un duel est un évènement auquel on se presse. Lors du duel entre Clemenceau et Déroulède le 23 décembre 1892, les gendarmes doivent même contenir les très nombreux spectateurs présents… De nombreux curieux assistent au duel entre Jaurès et Déroulède qui se tient à la frontière espagnole le 4 décembre 1904. Certains hommes politiques de l’époque se distinguent par un instinct belliqueux marqué : Paul de Cassagnac se bat à vingt-deux reprises, Henri de Rochefort est surnommé « l’homme aux vingt duels et trente procès »… Quant au « Tigre » Georges Clemenceau, il prend part à douze duels au cours de sa vie. La liste de grands noms de la « Troisième » impliqués dans un voire plusieurs duels est longue. On peut y ajouter les exemples de Léon Gambetta, Raymond Poincaré, futur président de la République ou encore le général Boulanger. Sa défaite le 13 juillet 1888 face au président du Conseil Charles Floquet, pourtant moins aguerri, fait sensation dans l’opinion. Quoique fréquent, le duel reste dangereux et les accidents étaient nombreux. De fait, même si l’épée n'est pas toujours remplacée par le pistolet, le risque encouru est réel.
Cette forme de duel politique connait ses dernières manifestations dans la France de l’après-guerre. Le duel entre le député-maire de Marseille Gaston Defferre et René Ribière, député gaulliste de l’ancien département de Seine-et-Oise, qui a lieu le 20 avril 1967, est considéré comme le dernier duel de l’histoire de France.
François Michel - département Droit, économie, politique
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