Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

Pétrarque, le « biopic » lyrique

0
14 mai 2024

Dès la naissance du genre, au tournant des XVIe et XVIIe siècles, l’opéra met en scène des personnages historiques, souverains, guerriers ou nobles. Il est en revanche beaucoup plus rare, jusqu’à la période romantique, que des artistes, écrivains, poètes, musiciens soient les héros d’ouvrages lyriques.
 

 
Pétrarque fait un peu figure d’exception, puisqu’un premier opéra lui est consacré dès 1778 : Laure et Pétrarque, « pastorale héroïque » en un acte, est créée le 24 octobre 1778 à Marly, en présence de Louis XVI et de Marie-Antoinette. L’ouvrage, mis en musique par Pierre-Joseph Candeille sur un texte de Pierre-Louis Moline, entre au répertoire de l’Académie royale de musique deux ans plus tard. Il s’agit cependant davantage d’une bluette sentimentale que d’une grande fresque historique, qui prend pour prétexte la rencontre, en 1327, de Pétrarque avec  Laure de Noves – muse et amour de sa vie – alors que le poète séjournait en Avignon.

 

 
Lorsque Laure et Pétrarque est porté à la scène, Voltaire vient juste de mourir (30 août 1778). Candeille et Moline insèrent, au début du livret, en guise d’hommage, l’adaptation que l’écrivain avait faite de la Canzone XIV de Pétrarque, publiée in extenso dans l’article « Fontaine de Vaucluse » de la première édition de l’Encyclopédie, en 1751.
 
 
L’œuvre dramatique de Moline n’a pour l’essentiel pas résisté au temps ; l’écrivain s’est tout de même assuré une place dans l’Histoire en réalisant, en 1774, la version française du livret d’Orphée et Eurydice de Gluck. De manière un peu similaire, Candeille s’est essentiellement distingué par l’ « actualisation » de la partition de Castor et Pollux, de Rameau, lors de sa reprise tardive à Paris en 1791.
 

Edition originale du livret de la version française d’Orphée et Eurydice de Gluck, 1774

Presque un siècle plus tard, le compositeur Hippolyte Duprat (1824-1889) s’intéresse lui aussi à Pétrarque. Natif de Toulon, Duprat se lance d’abord dans des études de médecine et sert en qualité de chirurgien militaire sur différents bâtiments de la marine française. En 1859, après avoir participé à la Guerre de Crimée, il quitte l’armée et monte à Paris pour se consacrer à la musique. Symboliquement, il s’installe rue Rossini, à proximité immédiate de l’Opéra (sis alors rue Le Peletier) et du Conservatoire. Hippolyte Duprat parvient à convaincre Léon Carvalho, directeur du Théâtre Lyrique, du bien-fondé de son projet d’opéra à grand spectacle autour de la vie du poète italien. Après le départ de Carvalho, en 1868, son successeur, Louis Martinet, maintient sa confiance à Duprat, et les premières répétitions ont lieu au printemps 1870. Elles sont interrompues par la guerre franco-prussienne. Lors des événements de la Commune, consécutifs à la défaite de Napoléon III à Sedan, le Théâtre Lyrique – situé sur l’emplacement de l’actuel Théâtre de la Ville – est incendié par les insurgés et la partition de Pétrarque, entreposée dans le bâtiment, est détruite.
 

Hippolyte Duprat ne se laisse pas abattre par ce coup du sort, reconstitue la musique et réussit à monter l’ouvrage à Marseille en 1873, après une tentative avortée, faute de moyens, à Toulon. Si l’on en croit le récit publié par le journaliste, aventurier et diplomate Charles de Varigny l’entreprise, "avec un rare luxe de décors et de mise en scène" est couronnée de succès, en dépit du fait que le conseil municipal de la cité phocéenne ait refusé toute subvention :

Le Pétrarque de Duprat est conçu comme un « grand opéra » dans le style de Meyerbeer, en cinq actes avec ballet. L’apogée doit en être, au 3e acte, la scène du couronnement du poète à Rome, rehaussée d’un chœur et d’une marche triomphale. Les ambitions de Dauprat et de son librettiste, Frédéric Dharmenon, vont ainsi bien au-delà de celles de Candeille et Moline. Par mesure d’économie, l’ouvrage doit cependant être condensé en quatre parties, sans les chorégraphies initialement prévues, pour les représentations marseillaises. Cela n’empêche pas Pétrarque de connaître une certaine postérité : il est repris à Lyon dès 1874. Suivent Avignon et Toulon, et plus significativement, Milan, où il est représenté en italien fin 1876 au Teatro dal Verme. Cette très grande salle de 3000 places, inaugurée en 1872, sert notamment de cadre à la première de Pagliacci de Leoncavallo, en 1892.
 

Ce n’est qu’en 1880 que Pétrarque est présenté au public parisien, au Théâtre de la Gaîté, alors dirigé par le même Louis Martinet qui avait tenté sans succès de monter l’œuvre au Théâtre Lyrique dix ans plus tôt. Pétrarque est cette fois joué dans la version en cinq actes, avec une scénographie luxueuse, réalisée par une équipe de décorateurs attitrés de l’Opéra : Émile Daran, Auguste Rubé, Philippe Chaperon, Eugène Fromont et Antoine Lavastre. Les critiques sont toutefois assez mitigées, Pétrarque souffrant par ailleurs de la concurrence d’Adelina Patti, l’une des plus grandes divas du XIXe siècle, qui fait, en alternance dans la même salle, son retour triomphal à la scène dans La Traviata de Verdi. Damon, le chroniqueur de L’Univers illustré, ne se prive d’ailleurs pas de le souligner dans son compte-rendu :

Ce grand succès, cet enivrement, cette salle lumineuse et vivante ont donné lieu à un rapprochement peu agréable pour l'Opéra-Populaire et pour le Pétrarque de M. Duprat. Hélas ! Le Pétrarque de M. Duprat n'a guère réussi, et les soirs où l'on donne cet opéra, qui vit le jour à Marseille, ne ressemblent guère aux soirées de la Patti. Nous ne voudrions pas pourtant railler une tentative honorable, ayant pour but de faire connaître à notre public l'œuvre d'un compositeur français dont le succès en province était une garantie ou tout au moins une espérance.

Après quelques reprises en province, notamment à Toulon, l’ouvrage disparaît définitivement des scènes lyriques et ne survit pas à son créateur, qui décède à Paris en 1889.

Pour aller plus loin

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.